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La normalisation avec Israël reste un sujet tabou, mais…


Publié par Gilles Munier sur 9 Mars 2021, 18:41pm

Catégories : #Liban

Les véhicules des Nations unies sur la route côtière de Naqoura, au Liban-Sud, où ont eu lieu les rounds précédents de négociations pour la démarcation des frontières maritimes entre le Liban et Israël. Mahmoud Zayyat/Archives AFP

Les difficultés intérieures du Liban pourraient l’amener à jeter du lest sur des dossiers stratégiques pour amadouer les décideurs internationaux.

Par Mounir Rabih (revue de presse : L’Orient-Le Jour – 8/3/21)*

La région du Proche et du Moyen-Orient est actuellement divisée en trois axes : l’alliance turco-qatarie, qui passe par une partie de la Libye et de la Syrie ; l’axe iranien autoproclamé de la « résistance », qui va de l’Irak à la Méditerranée ; enfin l’« alliance » israélo-émiratie, qui gagne en puissance depuis les accords de normalisation entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn en septembre 2020. Alors que la région se recompose autour de ces trois pôles essentiellement non arabes (Turquie, Iran et Israël), le Liban est empêtré dans ses contradictions stratégiques qui l’empêchent de se positionner – éventuellement en dehors de ces axes – de façon claire.

Pour le Hezbollah, la priorité doit aller à la lutte contre « le projet occidental » de remodelage de la région, c’est-à-dire la normalisation avec Israël, alors que quatre pays arabes se sont récemment engagés dans cette voie. La présence du parti chiite, également milice armée, place de facto le Liban dans l’orbite iranienne, même si de nombreuses voix s’y opposent dans le pays. Celles-ci ne vont pas toutefois jusqu’à prôner la normalisation avec Israël, une question qui demeure un tabou au Liban. Les deux pays sont encore « en guerre », même si l’accord d’armistice qu’ils avaient signé en 1949 n’a jamais été officiellement dénoncé. Les dernières négociations visant à aboutir à une paix date de la décennie 1990 durant laquelle l’ensemble du Proche-Orient, y compris la Syrie de Hafez el-Assad, était prêt à favoriser l’action diplomatique. Le Liban est également partie prenante de l’initiative arabe de paix de 2002 qui consiste à conditionner la paix avec Israël à la création d’un État palestinien dans les frontières de 1967, résumé par la formule la « paix contre la terre ». Mais depuis, le Hezbollah a gagné en puissance sur la scène libanaise tandis que l’initiative arabe a été contournée, d’abord par le refus d’Israël de s’y conformer, puis par le processus de normalisation entre l’État hébreu et les pétromonarchies du Golfe.

Dynamique en cours

La crise économique qui frappe actuellement le Liban pourrait toutefois pousser le pays du Cèdre à faire des pas en direction d’Israël, sans pour autant que l’on puisse parler de normalisation. Pour venir en aide au Liban, la communauté internationale a posé tout un tas de conditions liées à des réformes intérieures, mais d’autres dossiers, plus stratégiques, sont également pris en compte, au moins par certains pays. Parmi ces dossiers, quatre facteurs sont en lien direct avec la question des relations avec Israël : la délimitation de la frontière sud et l’établissement d’une zone tampon dans la partie méridionale du pays pour que les compagnies pétrolières puissent mener à bien les opérations de prospection gazière et pétrolière off-shore, le contrôle des voies de passage entre le Liban et la Syrie pour empêcher le flot d’armes au Hezbollah, le règlement du problème que pose la possession par la formation chiite de missiles de haute précision, ainsi que le contrôle du port et de l’aéroport pour barrer la voie à la contrebande. « Il faut aussi que le Liban mette en place une stratégie nationale de défense respectant la politique de distanciation par rapport aux conflits régionaux, à laquelle le gouvernement de Saad Hariri s’était solennellement engagé en décembre 2017 », dit l’ambassadeur d’un pays arabe influent dans la région.

La question de la stabilité du Liban-Sud, où les risques d’opérations militaires sont légion, est importante pour la communauté internationale. Sans faire pression pour une normalisation, elle encourage un gel des hostilités, ce qui signifie pratiquement un retour à l’accord d’armistice de 1949. Si le Liban ne semble pas prêt à avancer à ce niveau-là, même si le front est plutôt stable depuis la dernière confrontation de 2006, il a fait un pas important au cours de ces derniers mois dans le dossier de la délimitation de ses frontières maritimes avec Israël. Les négociations sont actuellement à l’arrêt, en raison de la « guerre des cartes » qui se joue entre les deux pays, mais le simple fait que le Liban s’engage dans une négociation qui, si elle aboutit, favorisera la stabilisation du front donne une idée des dynamiques en cours.

L’épineuse question de la délimitation des frontières maritimes avait été remise sur le tapis dans le sillage du compromis présidentiel de 2016. À l’époque, il existait une entente entre le courant du Futur et le Courant patriotique libre (CPL) sur la nécessité de maintenir une certaine stabilité au Sud. Selon des sources qui suivaient de près les pourparlers entre les deux formations, les responsables français, britanniques et américains qui discutaient avec eux insistaient également sur ce point ainsi que sur le contrôle des frontières. Durant ses contacts avec certains responsables libanais, Jared Kushner, conseiller de l’ancien président américain Donald Trump, soulevait également cette même question. C’est ce qui explique, selon ces mêmes sources, les positions adoptées au départ par le président Michel Aoun au sujet de la stratégie nationale de défense, qu’il avait promis de soumettre à examen après la formation d’un gouvernement en 2018, avant de revenir sur cet engagement. Malgré son alliance avec le Hezbollah, le CPL n’a jamais fait de la lutte contre Israël une position idéologique. Dans une interview à BFMTV, en août dernier, le chef de l’État avait répondu par un « cela dépend » à une question sur une signature possible d’un accord de paix avec Israël, avant d’ajouter qu’il ne pourrait y avoir d’avancée à ce niveau que lorsque « les problèmes » entre le Liban et l’État hébreu seraient « résolus ». Il faisait ainsi allusion à la délimitation des frontières ainsi qu’à un retrait israélien des secteurs occupés au Liban-Sud.

Cette souplesse dans l’approche des relations libano-israéliennes s’est aussi reflétée dans le discours du chef du CPL Gebran Bassil, dont les propos sur « l’absence de conflit idéologique » avec Israël avaient suscité un tollé au Liban en 2017. Plus tard, Gebran Bassil devait affirmer que le Liban « voulait la paix et non la guerre », mais qu’il se défendrait au cas où il était attaqué. À travers ses positions, le chef du courant aouniste tente ainsi de concilier ses rapports avec son allié chiite, le Hezbollah, et la communauté internationale.

Berry « parrain »

En revanche, le chef du courant du Futur Saad Hariri se garde d’aborder le sujet pour éviter de susciter une polémique, se contentant, à l’instar du patriarche maronite Béchara Raï, d’affirmer son attachement à l’application des résolutions internationales concernant le Liban et de plaider pour une délimitation de la frontière sud ou encore pour la stabilité dans la partie méridionale du pays, indispensable à ses yeux, dans la perspective de la prospection gazière et pétrolière off-shore. La modération de Saad Hariri par rapport à ce dossier peut aussi s’expliquer par les bonnes relations qu’il entretient avec les Émirats arabes unis, qui seraient disposés à jouer un rôle au niveau de la délimitation des frontières.

Du côté du Hezbollah, il va sans dire que la question de la normalisation n’est pas envisageable. « Le Hezbollah considère que les crises auxquelles le Liban est confronté et le refus de la communauté internationale de l’aider à se remettre sur pied visent dans leur finalité à affaiblir le pays pour le pousser à signer une paix avec Israël, dont la sécurité serait ainsi garantie », affirme une source proche du parti chiite. Si le mouvement Amal partage cette lecture de la situation, il n’en demeure pas moins que c’est son chef, le président de la Chambre Nabih Berry, qui a parrainé l’accord-cadre libano-israélien sur la délimitation des frontières. Tout en sachant parfaitement bien que son application équivaut à une paix indirecte avec l’État hébreu.

Le dossier de la délimitation des frontières est aujourd’hui gelé pour de nombreuses raisons, dont la principale reste que le Hezbollah en a fait une nouvelle carte de pression, utilisable dans le cadre des négociations irano-américaines, selon le chef druze Walid Joumblatt. D’autres interprétations sont données aux motivations de ce blocage, comme les sanctions américaines contre Gebran Bassil, qui auraient amené le chef de l’État à poser de nouvelles conditions dans le cadre des négociations avec Israël, qui se déroulent sous l’égide des États-Unis et de l’ONU, ou encore la volonté prêtée au CPL par ses détracteurs d’empêcher le commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, d’avoir à son actif une réalisation quelconque, alors que ce sont des représentants de l’institution militaire qui mènent les pourparlers.

Le Liban figure aujourd’hui au bas de l’échelle des priorités des superpuissances, ce que confirment de nombreux diplomates arabes et occidentaux. Incapable pour le moment de se réformer, il pourrait être tenté d’envoyer des signaux positifs à la communauté internationale sur certain dossiers stratégiques.

*Source : L’Orient-Le Jour

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