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L’Armée Syrienne Libre enrôle les enfants morts


par Louis Denghien

Mondialisation.ca, Le 28 mai 2012
infosyrie.fr

Le bilan de la tuerie de Houla, selon un bilan confirmé par les
casques bleus dépêchés sur place, s’établit à 92 morts dont 32
enfants. Selon la même source, ces personnes auraient été victimes
d’obus de chars de l’armée syrienne.

Le sang froid du général Mood

Bien évidement, ce drame est l’occasion d’une vague de condamnations –
et de menaces – à la hauteur de l’émotion – sincère ou politiquement
intéressée – ressentie, et est exploité à fond par les ennemis de la
Syrie pour obtenir enfin ce qu’ils cherchent depuis des mois, une
condamnation en bonne et due forme de Damas par le Conseil de sécurité
et, qui sait, le feu vert à une intervention militaire, au moins
aérienne, contre l’armée syrienne.  Les morts de Houla sont pour
beaucoup, de Doha à Washington en passant par les capitales
européennes, une occasion inespérée de prendre leur revanche
diplomatique des échecs répétés rencontrés depuis au moins l’été
dernier.

On ne va pas se faire ici la recension exhaustive des déclarations
émanant du bloc occidental et arabo-occidental. Citons quand même le
nouveau chef de la diplomatie française Laurent Fabius qui a annoncé
qu’il prenait « immédiatement » des contacts pour réunir à Paris le «
groupe des pays amis du peuple syrien« . Bref, le drame de Houla
permet à Fabius de reprendre en toute bonne conscience le « flambeau »
interventionniste des mains de Juppé. En tous cas sa position reflète
l’esprit diplomatique euro-américain, exprimée notamment par
l’homologue britannique de Laurent Fabius, William Hague, qui a
demandé « une réponse internationale forte ».

Cette réponse internationale forte passe, pour l’ASL et ses parrains
du Golfe, par une intervention armée « des pays amis« , au moins des
frappes aériennes contre les positions de l’armée régulière. Après
l’Arabie séoudite et le Qatar, le Koweit a donné de la voix en ce
sens, tandis que les Émirats arabes unis demandaient une réunion
d’urgence de la Ligue arabe. On prendra le temps de hausser les
épaules à la lecture de la déclaration du général dissident commandant
théoriquement l’ASL,  annonçant solennellement que ses activistes se
considéraient désormais comme dégagés de toute obligation de respect
du cessez-le-feu entré théoriquement en vigueur le 12 avril dernier :
il ne s’est pas écoulé un jour depuis cette date sans qu’un groupe se
réclamant de l’ASL commette une attaque contre des militaires mais
aussi des civils ou des infrastructures.

Citons aussi bien sûr les réactions des dirigeants des Nations-Unies :
Ban Ki-moon et Kofi Annan ont parlé de « crime révoltant et terrible »
qui constitue « une violation flagrante » des « engagements pris par
le gouvernement syrien de cesser son recours aux armes lourdes dans
les villes ».

Le chef de la mission d’observation, le général norvégien Robert Mood,
a également condamné depuis Damas une « tragédie brutale« , sans
désigner de responsables. Mais il a appelé le gouvernement syrien à ne
plus utiliser d’armes lourdes. Et il a aussi exhorté « l’opposition à
s’abstenir d’utiliser la violence » afin de parvenir à « une solution
politique » et d’éviter une guerre civile.

Robert Mood, du moins, garde,dans ce tumulte, la tête froide et pointe
– si la thèse d’un bombardement meurtrier de l’armée est confirmée –
la coresponsabilité dans ce drame d’une insurrection qui n’a cessé
d’attaquer depuis le 12 avril, les unités et positions de l’armée, et,
retranchée dans certains quartiers des villes, fait de leurs habitants
autant de boucliers humains.

Ce qui s’est passé, ce qui peut se passer

Des questions se posent quand même. Ce n’est pas la première fois que
l’armée syrienne est contrainte de pilonner des immeubles ou des
quartiers transformés en bastions ou en centres d’opérations par les
insurgés. C’est la première fois, en revanche qu’un tel bilan est
constaté. Alors le bombardement des char syriens a été dense et long à
ce point pour tuer cent personnes ? C’est, dans les annales pourtant
souvent truquées de l’OSDH, un cas de figure inédit. L’officine de
presse de l’opposition radicale parle de bombardements ayant débuté
vendredi à midi et s’étant poursuivi « jusqu’à l’aube » de samedi. Et
pendant tout ce délai, les habitants sont restés dans le quartier
visé, sans l’évacuer ?

Mis sur la sellette comme aux pires heures de la crise, le
gouvernement syrien accuse quant à lui des « groupes terroristes armés
» d’avoir, au soir du vendredi, « incendié et fait exploser des
maisons afin de faire croire que les forces armées syriennes
bombardaient la région« .

Si jamais l’armée est effectivement responsable de cette tuerie de
Houla – ce qui n’est pas encore démontré – on dira, pour reprendre une
formule de Talleyrand, que « c’est plus qu’un crime, c’est une faute«
. Car ce massacre des innocents permet à ceux qui cherchent à créer le
chaos en Syrie de faire oublier leurs crimes quotidiens, et aux
puissances qui les soutiennent à des fins non pas humanitaires mais
géostratégiques, de relancer leur machine belliciste, et d’essayer
d’intimider les soutiens de la Syrie.

Nous disons bien « essayer » parce qu’on voit mal Moscou et Pékin
changer leur fusil d’épaule. Les Russes ont, via leurs services de
renseignements mais aussi les quelque cent mille de leurs
ressortissants vivant actuellement en Syrie, une image très exacte de
la situation et des pratiques de l’opposition armée. Une machination
n’est pas impossible, et l’on doit se rappeler qu’il existe au moins
un précédent de « détournement de tuerie » par les bandes armée qui,
en mars dernier à Homs, ont présenté comme des victimes des soldats de
Bachar des Homsis dont les cadavres ont été déplacés nuitamment par
les activistes d’un quartier à l’autre, avant que des habitants
reconnaissent des membres de leur famille kidnappés plus tôt par les
insurgés (voir notamment nos articles « À Homs, l’ASL déplace et fait
parler des cadavres » et »À Homs, les crimes avérés et probables des
insurgés », mis en ligne les 12 et 13 mars).

Bref, la direction russe sait que certains secteurs de l’opposition
syrienne sont capables de tout dans le registre de la machination et
de la provocation. Et puis, quoi qu’ il se soit passé voici 48 heures
à Houla, et quel qu’en soit le responsable principal, rien n’est
changé à la donne syrienne : une majorité de Syriens suit la direction
actuelle, par conviction ou crainte du chaos. Un chaos et une
oppression sanglante – de type islamiste radicale –  qui seraient les
conséquences immédiates – et de dimension régionale – du renversement
violent de Bachar al-Assad, avec ou sans l’aide de l’OTAN. Et de cela,
les Russes, et bien d’autres, y compris dans les rangs des vertueux
Occidentaux, ne veulent pas à l’heure où le monde arabo-musulman est
devenu comme une gigantesque zone d’instabilité. Quant à l’indignation
des chancelleries occidentales, Moscou et Pékin savent ce qu’elles
doivent en penser, depuis l’Irak, la Yougoslavie et l’Irak. C’est
pourquoi les rêves de frappes aériennes de l’ASL resteront des rêves.

D’autres enfants martyrs

Un dernier point : les enfants ne meurent pas qu’à Houla en Syrie.
L’agence Sana rend compte dans son édition du samedi 26 mai de deux
massacres de civils survenus quelques heures plus tôt à Taldo et
al-Chomaryeh dans les environs de Homs et qu’elle attribue à al-Qaïda
: la famille de Mohamed Abdel Nabi Abdallah – le mari, la femme et les
six enfant – a été. Un autre habitant d’al-Chomaryeh, Rateb al-Elo a
été tué avec son fils. Et à Taldo, qui est située à 3 ou 4 kilomètres
de Houla, coïncidence ? -, c’est toute la famille al-Sayyed – homme,
femme et les trois enfants – qui a été exécutée par les mêmes
fanatiques. Parce qu’ils étaient baasistes, alaouites, chrétiens ? Là,
pas de victimes d’un éventuel bombardement à distance contre des
ennemis embusqués, mais une haine meurtrière ciblée.

Enfants de Houla, enfants de Taldo et d’al-Chomaryeh : les petits
cadavres ne s’équilibrent ou ne s’annulent pas, ils s’additionnent,
pour le malheur d’un pays qui souffre moins d’un régime autoritaire
qui s’efforce de se réformer au milieu d’énormes difficultés, que de
bandes travaillant à leur guerre sainte politico-religieuse, avec le
soutien diplomatique, technologique et financier de puissances
hypocrites autant qu’irresponsables.

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