L’Armée syrienne libre, représentant légitime du peuple syrien?
février 12, 2012
« Veni vidi, vici. » (Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.) Jules César
« We came, we saw, he died! Ha! Ha! Ha! » (Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort.) Hillary Clinton commentant la mort de Kadhafi…
Alliant la désinformation à l’absurde dans la saga syrienne, le Conseil de coopération du Golfe (CCG) s’apprêterait aujourd’hui, selon la Saudi Gazette, à reconnaître l’Armée syrienne libre comme le seul et unique représentant du peuple syrien. Un groupe paramilitaire non élu à l’origine d’une insurrection armée serait ainsi désigné par un ensemble de monarchies étrangères comme représentant légitime d’un peuple pro-démocratie. Bienvenue au théâtre de l’absurde.
Le CCG est constitué de six pétromonarchies, loin des idéaux démocratiques qu’elles exigent pourtant de la République syrienne, une monarchie étant, par définition, antidémocratique. L’Arabie saoudite, Oman, le Koweït, Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Qatar sont des régimes répressifs mal placés pour donner des leçons de bienséance au dirigeant syrien. Mais comme ces régimes autocratiques sont les alliés de Washington et Cie, leur nature est ignorée et leurs réprimandes envers Bachar Al-Assad, un représentant élu, sont les bienvenues.
La Syrie, tout comme la Libye l’an dernier, est aux prises avec une insurrection armée financée et organisée par l’étranger, drapée dans des idéaux de révolte pacifique et démocratique afin de galvaniser en Occident un appui populaire à une intervention militaire de l’OTAN. Même si cette pratique courante de révolte fabriquée et de désinformation médiatique a été dénoncée et prouvée à maintes reprises dans les médias indépendants, elle fonctionne toujours grâce aux médias mainstream qui persistent à présenter des groupes armés jusqu’aux dents comme des « militants pro-démocratie qui ont besoin d’aide ».
Le but de ce genre d’opération est de créer un problème qui amènera une « solution » voulue. L’Occident, surtout Washington, veut se débarrasser de l’actuel dirigeant syrien. Pour qu’une intervention militaire en Syrie se transforme en « intervention humanitaire » investie de légitimité, elle doit être réclamée par la « communauté internationale ». Pour ce faire, il faut que les Syriens aient « besoin d’aide », comme les Libyens avant eux, et que les « pays civilisés et démocratiques » se fasse un devoir de les « protéger », avec les conséquences désastreuses que l’on connaît : de nombreuses victimes civiles, des infrastructures anéanties, des dirigeants fantoches à la solde de Washington et des dettes pour la reconstruction du pays.
Fabrication de l’appui populaire à l’insurrection et à l’OTAN
Les médias jouent un rôle clé dans la fabrication du consensus populaire. Cet article intitulé « Syrie: intervenir ou pas? », paru dans le quotidien canadien La Presse le 2 février dernier, est un exemple classique de désinformation et de fabrication de l’opinion publique :
Après 10 mois d’horreur à huis clos, la Syrie dérive à la vitesse grand V vers la guerre civile. Au début du conflit, on y comptait de 5 à 10 morts par jour. Aujourd’hui, c’est de 50 à 100! Plus de 5000 personnes ont déjà été tuées depuis le début du soulèvement. C’est, de loin, le chapitre le plus sanglant de tout le Printemps arabe. (Agnès Gruda, Syrie: intervenir ou pas?, La Presse, 2 février 2012.)
D’abord, on nous balance 5000 morts à la figure comme s’il s’agissait d’un fait. Rien n’est moins sûr. Ces données proviennent de l’ONU qui a affirmé à maintes reprises qu’elles étaient approximatives, qu’il était impossible de les vérifier indépendamment et qu’elles provenaient de groupes d’opposants.
Par ailleurs, l’auteure donne l’impression que toutes ces morts sont imputables au régime, ignorant totalement les exactions commises par l’insurrection armée, rapportées par les médias indépendants.
Pour nous convaincre que cet article offre différents points de vue sur la question, on cite « les arguments des uns et des autres », qui incidemment, sont tous affiliés à des groupes étasuniens dont le but est de promouvoir les intérêts étasuniens et qui sont reconnus pour leur propagande.
«Nous avons la responsabilité morale de protéger la Syrie» écrit Shadi Hamid, directeur de recherche au centre de recherche américain Brookings.
En fournissant une aide militaire aux opposants syriens, Washington accélérerait la chute du régime Assad et gagnerait une influence auprès des prochains leaders de ce pays stratégique, plaide Jeffrey White, du Washington Institute for Near East Policy. Il s’agit d’un groupe de réflexion influent où siègent les anciens secrétaires d’État Henry Kissinger et George Shultz.
Il convient de rappeler qu’Henry Kissinger est accusé de complicité dans le coup d’État chilien, ayant porté Augusto Pinochet au pouvoir, et de crimes de guerre pour son rôle dans la guerre du Vietnam.
Parmi les « anti-interventionnistes », on cite des représentants du Council on Foreign Relations, de Foreign Policy et de l’International Crisis Group, où l’on trouve entre autres l’un des stratèges à l’origine d’Al-Qaïda, Zbigniew Brzezinski. De surcroît, dire qu’ils s’opposent à l’intervention est faux. Il serait plus juste de dire qu’ils ne croient pas qu’une telle intervention aurait le résultat escompté :
Ed Hasain met aussi en garde ceux qui s’imaginent qu’un nouveau régime à Damas serait automatiquement plus «gentil» envers les États-Unis et Israël, et plus hostile à l’égard de l’Iran. Penser cela, «c’est une folie» […]
Autre argument massue des «anti»: on ne voit pas très bien quelle forme une telle intervention pourrait prendre.
Les appels à une intervention militaire étrangère sont «mal définis», renchérit Peter Harling, de l’International Crisis Group. Il souligne que c’est l’intransigeance destructrice du régime Assad qui pousse ses opposants à appeler à l’aide. Mais une intervention étrangère risquerait selon lui de provoquer «une régionalisation du conflit qui pourrait être plus coûteuse» que les affrontements actuels.
Aucune mention de l’illégalité d’une telle intervention. Cette « opposition » n’en est pas une. L’article ne cite aucun militant antiguerre, réellement « anti », avec une position et des arguments réellement « massues ». Par comparaison, on pourrait prendre l’exemple d’un opposant au commerce de la fourrure dont l’argument massue serait : « la fourrure, c’est trop cher ». Mais surtout, on nous présente, malgré les apparences de neutralité, un seul côté de la médaille, une seule vision du monde où l’on doit chasser le gouvernement syrien du pouvoir et y installer les opposants.
L’Armée syrienne libre : l’éléphant dans la pièce
Pendant la mission de la Ligue arabe, les médias ont martelé que 400 Syriens étaient morts depuis leur arrivée.
Le Monde (France) : 400 morts en Syrie depuis le début de la mission de la Ligue arabe
Businessweek (États-Unis) :400 Syriens tués depuis l’arrivée de la mission de la Ligue selon un officiel de l’ONU
La Presse (Canada) : 400 civils tués depuis l’arrivée des observateurs en Syrie
La représentante des États-Unis à l’ONU, Susan Rice a dû expliquer ces données en point de presse peu après les attentats de décembre et janvier dernier.
Reporter : Vous avez parlé de 400 décès depuis l’arrivé des observateurs de la Ligue arabe en Syrie. Un grand nombre d’entre eux peuvent être attribués aux attaques terroristes et durant la même période nous avons également vu l’ascension de l’Armée syrienne libre, plus active. Croyez-vous qu’il est juste de blâmer uniquement le gouvernement Assad pour l’escalade de violence?
Susan Rice : [J]e faisais référence aux données que le Vice-secrétaire général adjoint [de l’ONU B. Lynn] Pascoe [des États-Unis] a cité dans ses séances d’information. J’ai cru comprendre qu’il ne parlait pas des pertes de vies occasionnées par les attaques terroristes, mais des données que l’ONU, comme vous savez, a citées de manière progressive et qui dépassent maintenant 5000 personnes […] (Susan E. Rice, U.S. Permanent Representative to the United Nations, U.S. Mission to the United Nations, Security Council Stakeout and Press Availability, New York City, 10 janvier 2012.)
Mme Rice ignore remarquablement la question touchant à la responsabilité de l’Armée syrienne libre dans l’escalade de la violence. Cette question, tout à fait pertinente, n’a pas été soulevée ailleurs dans les médias.
Dans le cas de la l’Armée syrienne libre, on assiste à un remake tout aussi sanglant de l’histoire des Contras du Nicaragua, des moudjahidines d’Afghanistan, de l’Armée de libération du Kosovo, des rebelles haïtiens sous Aristide, des rebelles Libyens, etc : des groupes armés s’en prenant à des régimes socialistes, souvent peu ou non endettés (Libye, Syrie, Yougoslavie), insoumis aux diktats occidentaux. Les médias occidentaux, eux, sont invariablement favorables à l’insurrection armée, diabolisent les autorités visées et ne remettent jamais en question l’intervention de l’OTAN.
Les rebelles libyens avec Hillary Clinton, secrétaire d’État des États-Unis, venue voir et conquérir la Libye
La mission de la Ligue arabe a été présentée comme un échec dès le départ. Son rapport a été entièrement ignoré par les médias. La raison est simple. En envoyant cette mission, Washington et Cie ont voulu donner l’impression qu’ils allaient vérifier la situation en Syrie. Cependant, le constat était fait avant même l’arrivée des observateurs et une seule conclusion était permise, celle avancée depuis le début, soit que le régime Assad tue des civils pacifiques manifestant pour la démocratie. Le rapport de la mission de Ligue arabe n’a pas fait ce constat. Il a au contraire démontré l’implication de la CIA, du MI6 et du Mossad derrière les violences et blamé l’Armée syrienne libre et les groupes armés pour de nombreux meurtres.
À voir la carte des « manifestations », il est évident qu’il s’agit d’une invasion, la plupart des heurts ayant lieu aux frontières du pays.
Source: http://uk.reuters.com/places/syria
L’amnésie des médias
L’opération clandestine en 2011 en Libye a fait l’objet d’un reportage dans le Newsweek… en 1981 et a été citée dans un article paru en septembre 2011 sur Mondialisation.ca :
Très peu de temps après être entré en fonction, [Ronald] Reagan a annoncé la création d’un groupe spécial pour étudier « le problème libyen » […] Un plan a rapidement été rédigé par la CIA, lequel a été révélé par Newsweek en août 1981 : « un stratagème coûteux, de grande envergure et en plusieurs étapes pour renverser le régime libyen » et obtenir ce que la CIA appelait la déposition « absolue » de Kadhafi. Le plan réclamait un programme de « désinformation » destiné à embarrasser Kadhafi et son gouvernement; la création d’un « contre-gouvernement » pour contester sa prétention au leadership national; ainsi qu’une campagne paramilitaire progressive constituée d’opérations de guérilla à petite échelle. (William Blum, Killing Hope, Common Courage Press, 2004, p.283., cité dans Julie Lévesque, La guerre de Libye, une «cause juste»? 29 septembre 2011.)
L’opération actuelle en Syrie est prévue depuis longtemps. En 2003, le Guardian révélait des documents du renseignement révélant des plans de changement de régime à Damas en 1957. Il s’agissait de la même tactique.
Qu’à cela ne tienne, les « chiens de garde de la démocratie » ne lâchent pas le morceau et continuent de nourrir la propagande néocoloniale avec de titres du genre : Un dissident syrien: «Nous avons besoin d’aide».