Le containment et l’imbroglio syrien
août 22, 2012
Des craquements qui rappellent douloureusement le syndrome sud-américain, par la menace qu’ils représentent sur l’édifice de la mondialisation capitaliste. Ainsi trois fronts ont été ouverts. Le premier est celui de la lutte contre les « débordements » potentiels des révolutions vers des remises en causes radicales du libéralisme. Le deuxième est d’éviter que les « surprises » tunisienne et égyptienne se reproduisent, en activant, s’il le faut une contre-révolution, grâce à des relais locaux, prêts à l’emploi et destinés à servir de leurres, surtout en focalisant la colère populaire sur les concepts de « liberté », de « démocratie » et de « droits de l’homme ». Le troisième front est ouvert contre les Russes, les Chinois et tous les concurrents potentiels, afin de réaliser leur « containment », selon la doctrine mise en œuvre durant la guerre froide, pour le Moyen-Orient. Le principe de la doctrine du « containment », remise au goût du jour, est l’endiguement de l’adversaire « par tous les moyens ». C’est ce qui est à l’œuvre en Syrie, un théâtre qui intègre, au départ, une dynamique sociale interne, hostile aux mesures néolibérales, qui ont produit un lumpenprolétariat massif, une influence de la Russie et de la Chine, alliées au pouvoir en place et, enfin, ce que certains analystes appellent « les Fantassins de l’empire anglo-saxon », favorablement désignés par les médias dominants, dans la confusion de la guerre en cours, comme « combattants de la liberté ». Sauf que l’imbroglio est total dans les rangs de « l’opposition » armée, ce qui rend extrêmement difficile de la contrôler et provoque beaucoup d’hésitation quant au ciblage de ceux qu’il faut soutenir financièrement et militairement. Le précédent afghan pèse encore de tout son poids dans les décisions des Etats-Unis, obligé qu’ils sont d’affronter une résistance qu’ils avaient contribué à faire émerger. Un problème auquel il faut adjoindre le jeu « propre compte » des pétromonarchies, plutôt préoccupées, elles, de juguler aussi la « démocratie », même sous sa forme tronquée et formatée. Ce qui explique la possibilité d’un échec cuisant dans la région, qui aggravera le recul de l’influence occidentale et favorisera un rééquilibrage des forces à l’échelle mondiale.
Alain Rodier Ancien officier supérieur des services de renseignement français. Directeur de recherche au Centre Français De Recherche sur le Renseignement (CF2R), en charge du terrorisme et de la criminalité organisée, vient, dans une note intitulée « Syrie/France : soyons un peu raisonnables », de commettre ces mots: « les intérêts de la France, dont les caisses sont plus que vides, passent ils par une prise de position «tartarinesque » sur la Syrie ? ». Cet homme averti ne doit pas parler à la légère, en convoquant l’ironie, et doit dire un peu moins que ce qu’il pense, au vu de ses fonctions sensibles, mais ce qu’il dit est suffisant pour conforter une opinion assez répandue, depuis l’aventure de Sarkozy en Libye, qui veut que les intérêts de la France sont ailleurs que dans un alignement obséquieux sur une ligne stratégique qui est loin de servir ses intérêts actuels et futurs. En disant cela, il pense à la Russie et à la Chine: « …deux grandes puissances à l’ego très susceptible qui peuvent rivaliser avec les Etats-Unis sur beaucoup de plans et qui laissent loin derrière la « Vieille Europe » acariâtre et donneuse de leçons ». Ce qui est un avertissement d’une clarté aveuglante sur les risques que M. Rodier perçoit, venant de « deux capitales, Moscou et Pékin,(qui) se sentent humiliées et ne sont pas prêtes à oublier le camouflet qu’elles ont subi ». Des risques qui ne sont pas des moindres, quand on compare une France « aux caisses plus que vides » et des puissances qui « laissent loin derrière la Vieille Europe ». Surtout que la Chine et la Russie, que la France devrait prendre en considération, avant qu’il ne soit trop tard pour elle, ont les moyens de faire très mal. Rodier s’adresse aux autorités de son pays pour lancer un cri d’alarme: « il est fort probable qu’elles vont nous le faire payer et leur soutien au régime de Damas n’est qu’un début » dit-il. En même temps que Rodier, une autre voix française s’est élevée. C’est celle d’un ancien préfet « gaulliste-souverainiste », Roland Hureaux, qui « doute quant à l’intérêt de l’engagement de la France aux côtés des rebelles syriens », quant elle ignore des dictatures réelles et pires que tout: « à commencer par l’Arabie saoudite et le Qatar ». Lui aussi redoute un » conflit majeur avec la Russie » et rappelle que « le Kremlin adresse depuis quelques semaines des signaux clairs qui montrent qu’avec l’appui de la Chine – et aussi de autres BRIC -, il ne lâchera pas le régime Assad : envois d’armes et de conseillers militaires, gesticulations maritimes, dernières déclarations de Poutine lui-même ». D’où, selon lui, « les Français se sont mis eux-mêmes devant le risque de n’avoir bientôt plus à choisir qu’entre une reculade humiliante et un conflit frontal avec la Russie, dont les conséquences seraient incalculables ». Puis, avec Hureaux, on a droit à quelque chose de plus, après son pays, second violon, il s’attaque au chef d’orchestre: les Etats-Unis, dont il qualifie l’attitude d’hystérique. Pour lui:
« L’acharnement mis par Washington à vouloir à tout prix renverser le régime Assad ne semble plus relever d’une rationalité ordinaire mais de l’hybris d’une grande puissance irascible qui ne supporte pas qu’on lui résiste ». Ainsi, deux Français audibles, détonnent sur la Syrie, chacun selon son statut, mais tous deux se rejoignent sur un fait: la France des Sarkozy/Hollande, Juppé/Fabius, file du mauvais coton.