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Les intellectuels au service de la guerre contre la Syrie


Y a-t-il encore des intellectuels en France? Un tello doit avant tout se poser des questions avant d’avaler bêtement tout ce que leur sursure la presse sionisée et domestiquée.
ginette

Les intellectuels au service de la guerre contre la Syrie
Angeles Diez

7 octobre 2013

L’affaire de la Syrie est l’une des plus exemplaires mettant clairement en évidence le rôle de légitimation de la guerre joué par des intellectuels réputés de gauche. Nombre de ceux-ci ont choisi de servir de chœur à la guerre médiatique contre la Syrie, investis d’une aura illustre et portant les principes moraux occidentaux. Du haut de leurs chaires dans les médias grand public mais aussi dans les médias alternatifs, ils élaborent des explications, des justifications et des rapports qu’ils présentent comme des principes éthiques quand en réalité il s’agit de leurs opinions politiques. Ils ridiculisent, manipulent et déforment les positions des militants anti-impérialistes. Se permettant aussi de faire la leçon aux gouvernements latino-américains qui défendent la souveraineté et le principe de non-ingérence, et qui donc s’opposent à la guerre contre la Syrie.

En juin 2003 dans le cadre de la guerre et de l’occupation de l’Irak, il ne fut pas très difficile, dans les milieux universitaires, dans ceux de la culture et ceux des militants de gauche, que se lèvent des milliers de voix contre la guerre ; nous avons été capables de reconnaître les pièges discursifs, capables de découvrir les intérêts de l’empire US et de ses alliés, de dévoiler les mensonges médiatiques et surtout d’établir des priorités dans la mobilisation et la dénonciation. Nous n’avons pu arrêter la guerre ni l’occupation de l’Irak mais nous avons posé les fondations d’un mouvement anti-impérialiste qui pourrait avoir été le frein à main à la barbarie belliciste et qui, d’une manière ou l’autre, ajourna l’objectif de continuer la néocolonisation de la zone.

Si en 2003 il nous fut relativement facile de nous mobiliser contre la guerre en Irak et les plans impériaux US, ce qui ne signifiait pas appuyer une quelconque dictature, beaucoup nous posent aujourd’hui la question : que s’est-il passé pour que ne naisse ou ne continue le mouvement qui fit son apparition en 2003 ? Sûrement, il y eut diverses raisons entrecroisées mais j’aimerais en distinguer deux qui me paraissent centrales : les moyens de communication de masse ont fait un bon travail de dissuasion et une partie des intellectuels de gauche qui auparavant étaient des références politiques contre la guerre ont choisi de servir l’autre camp.

Des intellectuels de gauche au service de la légitimation guerrière

Que les médias de masse mentent, déforment, cachent, soulignent, donnent une forme et un visage à nos ennemis est une évidence répétée à moultes reprises dans l’histoire. Ils font cela non parce qu’ils sont les instruments de l’empire, non, ils le font parce qu’ils sont partie inhérente du pouvoir. Mais la justification des guerres, la « fabrication du consensus » comme dirait N. Chomsky, ne se fait pas seulement au travers des corporations médiatiques. La propagande est un système dans lequel s’insèrent les entreprises de médias, la classe politique et ses discours, la culture occidentale toute-puissante et colonialiste, les journalistes, les artistes, les intellectuels, les universitaires et les philosophes médiatiques. Tous ces intellectuels se sont transformés en un « clergé séculier » qui « choisit de jouer un rôle fondamental dans l’intériorisation de l’idéologie de la guerre humanitaire comme un mécanisme de légitimation » (Bricmont, 2005). Quelques uns consciemment, les autres pas tellement, se sont mis au service de la propagande de la guerre impérialiste.

Ce qui est intéressant c’est que cette cohorte créatrice d’opinion publique se recrutait auparavant dans les rangs conservateurs, chez les libéraux et une partie chez les sociaux-démocrates (rappelons-nous la campagne du PSOE avec « Entrée dans l’OTAN ? Non ! ») mais depuis la guerre de Yougoslavie (1999), sont « recrutés » de plus en plus nombreux les groupes d’intellectuels qui proviennent des révolutionnaires de gauche, anticapitalistes et anti-impérialistes ou s’en réclament. Ils se l’expliquent avec des arguments moraux universalistes et humanitaires : lutter contre les dictatures (où qu’elles soient) et défendre la cause des peuples (que ceux-ci soient les femmes afghanes, les insurgés libyens, les manifestants syriens, ou la partie du peuple que l’opinion publique générale signale comme victimes des dictatures).

Quelques uns de ces intellectuels furent des figures de proue du « Non à la guerre » contre l’Irak en 2003 ; cependant depuis le début de ce qu’on appelle « les printemps arabes », ils jouent dans le même orchestre que leurs gouvernements soutenant le renversement du tyran B. Al-Assad et la Transition démocratique en Syrie ; il y en a aussi qui réclament l’intervention militaire de l’Occident comme la romancière Almudena Grandes : « Au fond se trouve Al Assad, un dictateur, un tyran, un assassin en série qui restera le seul bénéficiaire de la non-intervention ».

Nous supposons que pour eux Sadam Hussein était moins dictateur que B. Al-Assad ou peut-être s’agit-il du fait que dans cette guerre-là il y avait des centaines de milliers de citoyens dans les rues criant « Non à la guerre ! », fait qui ne se produit pas aujourd’hui.

Le rôle que joue ce « clergé séculier » est double, d’un côté il fournit des arguments justificatifs à l’intervention armée, et d’un autre il divise, affaiblit, ou bloque, chaque fois avec une intensité croissante, l’émergence d’une forte opposition aux guerres impérialistes.

Quelques fois par ignorance politique, d’autres fois par erreur, mais le plus souvent par un sentiment sous-jacent de supériorité morale en tant qu’intellectuels du monde développé, cette « gauche » a intériorisé les arguments de la droite. Selon Bricmont, elle a évolué en deux attitudes : a) ce qu’on appelle l’impérialisme humanitaire, qui s’appuie sur la croyance que nos « valeurs universelles » (l’idée de liberté, la démocratie) nous obligent à intervenir en n’importe quel lieu. Ce serait une sorte de devoir moral (droit d’ingérence). b) le « relativisme culturel » qui part du principe qu’il n’y a pas de bonnes ou mauvaises coutumes. Nous aurions le cas où un mouvement wahhabite ou fondamentaliste se révélait être contre la répression, il faudrait l’applaudir parce que « les peuples ne se trompent pas » ou, comme me l’a expliqué un philosophe espagnol, « quand les peuples parlent, la géostratégie se tait ».

Étranges coïncidences pour la liberté et la démocratie

La domination impériale est toujours militaire mais nécessite une idéologie qui la justifie pour éliminer les résistances d’arrière-garde. Aujourd’hui, grâce à la complexité du système de propagande toujours plus sophistiqué, technicisé et effectif, une grande partie de la construction de cette idéologie légitimante est dans les mains d’une gauche, pour le moment toujours respectable, qui pour l’opinion publique compte en crédibilité critique grâce à son curriculum tel que la défense de la cause de la Palestine. Le noyau dur des discours légitimants s’est déplacé de la « liberté » encore classique, à la cryptique « dignité », et garde la « démocratie » et les droits de l’homme comme mots d’ordre. La démocratie, comme « l’intervention rêvée » du philosophe Santiago Alba sert d’utopie light pour rallier des adeptes et confondre les désirs avec la réalité.

Cependant, il y a des circonstances où le mot d’ordre de liberté émerge tel le phénix quand le public auquel ils s’adressent est trop occidentalisé pour percer l’énigme de la « dignité ». Bricmont dit que juste au moment où l’empire abandonne le langage de la liberté parce qu’il n’est plus crédible, ce clergé humanitaire le reprend. Ainsi, à l’appel de la Campagne de solidarité globale avec la Révolution syrienne signé entre autres par G. Achcar, S. Alba et Tariq Ali, dont le titre est « solidarité avec la lutte syrienne pour la dignité et la liberté », en à peine deux pages le mot liberté s’utilise 14 fois.

A mesure que la guerre médiatique contre la Syrie est devenue plus forte, les coïncidences ont augmenté entre les rapports impérialistes et les discours de ceux qui disent appuyer les « révolutionnaires syriens ». Suivons les exemples illustratifs et comparons « l’appel de Solidarité globale avec la révolution syrienne » avec la déclaration commune sur la Syrie qu’ont signée 11 pays dans la cadre de la réunion du G20, une proposition des USA pour forcer un front de pays à appuyer l’intervention armée.

Dans l’appel du clergé humanitariste s’inscrivent les arguments suivants :

1) En Syrie il y a une révolution en marche

2) L’unique responsable des meurtres, de la militarisation du conflit et de la polarisation de la société est B. Al-Assad.

3) Il faut soutenir les révolutionnaires syriens parce qu’ils « luttent pour la liberté au niveau régional et mondial ».

4) Il faut « soutenir une transition pacifique jusqu’à la démocratie pour que les syriens décident eux-mêmes

5) On réclame une « Syrie libre, unifiée et indépendante »

6) On réclame de l’aide pour tous les Syriens réfugiés ou déplacés internes.

Sur le Web de la Campagne on présente le texte de l’appel en spécifiant que « la révolution du peuple doit être appuyée par tous les moyens » – nous supposons que tous les moyens signifie tous les moyens – et on exige que B. Al-Assad démissionne, qu’il soit jugé et qu’il mette fin au soutien militaire et financier au régime syrien – uniquement au « régime syrien ».

De son côté, la déclaration commune des USA et de ses alliés, entre lesquels curieusement ne se trouve aucun pays latino-américain et dont l’unique arabe est l’Arabie Saoudite, expose les clichés suivants :

1) Il condamne exclusivement le gouvernement syrien qu’il fait le responsable de l’attaque avec des armes chimiques

2) La guerre contre la Syrie est pour défendre le reste du monde des armes chimiques, en évitant leur prolifération

3) L’intervention essaierait d’éviter des dommages plus grands : « une plus grande souffrance du peuple syrien et l’instabilité régionale »

4) On condamne la violation des droits de l’homme « par toutes les parties »

5) On réclame une sortie politique, non militaire et on dit : « Nous sommes engagés vers une solution politique qui se traduise par une Syrie unie, unificatrice et démocratique ».

6) On appelle à l’assistance humanitaire, aux donateurs et à l’aide aux besoins du peuple syrien

Dans la comparaison des deux textes, ce qui surprend c’est que le premier se distille dans une allure beaucoup plus belliciste, on ne reconnaît pas qu’il y a deux factions dans le conflit, le conflit se réduit à B. Al-Assad, on justifie l’appui aux « révolutionnaires syriens » parce qu’ils sont en train de faire la révolution mondiale et on ne projette pas de sortie politique mais la déroute du gouvernement syrien. On dirait que cet appel a été rédigé justement par une des factions en conflit qui s’arroge le droit d’être le porte-voix du peuple syrien tout entier.

Les pièges du langage : « Nous condamnons l’intervention, ni avec les uns ni avec les autres, les peuples ont toujours raison »

La construction de l’idéologie de l’impérialisme humanitaire a eu plusieurs parcours. Comme nous les disions au début de cette intervention, cela a été l’étendard de la gauche bien pensante[2] (dont une partie liée au trotskisme de la 4° internationale) qui depuis la guerre contre la Yougoslavie (1999) s’en alla donner forme à un discours moraliste commode, qui l’homologuait en tant que « gauche respectable » bien qu’elle se déclare « anticapitaliste ».

Si nous analysons quelques-uns de ses discours sur la Syrie, nous trouvons quelques consignes qui se répètent. En premier lieu il faut toujours faire comprendre le point de départ anti-impérialiste, et nier qu’on est du côté de « l’intervention militaire étrangère » comme le fait G. Achcar dans l’article « Contre l’intervention militaire étrangère, j’appuie la révolte populaire syrienne », ou comme S. Alba dans « Syrie, l’intervention rêvée » qui se termine par un « je condamne, je condamne, je condamne l’intervention militaire des USA ». V. Klemperer disait dans son livre « la langue du troisième Reich » que le langage révèle ce qu’une personne veut occulter de manière délibérée, aux autres ou à elle-même, et cela passe inconsciemment ». Le clergé humanitariste n’est pas en faveur de l’intervention militaire mais se voit obligé de le répéter constamment dans ses écrits et conférences comme si le public auquel il s’adresse n’en était pas convaincu du tout. Il convient aussi de parler de guerre et pour cela s’utilise constamment l’euphémisme « intervention militaire étrangère » ou « intervention militaire des USA ».

Ni pour les USA, ni pour B. Al-Assad. L’équidistance est sans doute un refuge idéal pour les bonnes consciences et a l’avantage de l’ambiguïté qui permet de se positionner d’un côté ou l’autre selon qu’évoluent les événements. Il s’agit d’une fausse symétrie qui place sur le même plan l’agresseur et l’agressé. Si nous nous déclarons neutres dans une situation dans laquelle un état ou un groupe d’états menacent et déclarent la guerre à un autre, en réalité, nous appuyons la raison du plus fort. Ce n’est pas la Syrie qui a déclaré la guerre aux USA ou à l’Europe et comparativement la puissance et la capacité guerrière de la Syrie est incomparable face à l’empire US et à ses alliés (armes chimiques, nucléaires et conventionnelles).

Le positionnement « ni-ni » ne convainc pas le clergé humanitariste, qui essaye par tous les moyens de faire pencher les opinions du côté de la faction où se trouvent les dits « révolutionnaires syriens ». Dans cette tentative, on ne ménage pas les adjectifs contre le gouvernement syrien et son président et ils passent au-dessus de la réalité ou de la véracité des faits ; nous avons ainsi S. Alba qui dit que c’est un fait irréfutable que « indépendamment de ce qu’il ait ou non utilisé des armes chimiques contre son propre peuple, le régime dictatorial de la dynastie Assad est le premier et direct responsable de la destruction de la Syrie, de la souffrance de sa population et des toutes les conséquences, humaines, politiques et régionales qui en découlent » ; ou Almudena Grandes qui qualifie El Assad « d’assassin en série ». Mais ce qui est certain c’est comme le dit Bricmont : « En temps de guerre, dénoncer les crimes de l’adversaire, même en supposant qu’ils soient solidement établis, chose qui fréquemment n’est pas telle, finit par contribuer à stimuler la haine qui fait que la guerre soit acceptable ».

Un autre cliché parmi les classiques est de se situer du côté des peuples. Ici nous avons un écueil difficile à franchir puisque, dans l’affaire des printemps arabes, les gouvernements impérialistes se sont rangés clairement en faveur des peuples et ont été les premiers à montrer leur appui aux « révolutionnaires » syriens. L’explication plus rocambolesque de ces intellectuels humanitaires est la pure coïncidence, le cynisme ou les intentions perverses de l’empire US qui a apporté un appui aux peuples arabes pour ensuite s’approprier ces révolutions et imposer ses propres intérêts. La réalité est, selon eux, que ni les USA ni l’Europe n’étaient intéressés à intervenir militairement en Syrie. Mais quand « les rebelles et les réfugiés syriens », comme auparavant l’ont fait les rebelles libyens, déclarent qu’ils « réclament l’attaque de la Syrie par les USA », se complique la définition de « révolutionnaires » et celle de « peuple », car qui est ce peuple révolutionnaire ou partie du peuple qui en appelle à une attaque militaire par d’autres états ?

Étant donné la complexité de la situation, réfugions-nous dans nos principes

Nous pouvons dénoncer les grands groupes de médias, les politiques et les publicistes qui continuent à nous vendre la guerre avec la même rhétorique moraliste et avec des pratiques cyniques, le problème est que cela fonctionne, au moins avec les personnes peu conscientisées. La nouveauté est qu’aujourd’hui ils disposent d’une cohorte de philosophes, intellectuels et artistes qui se vendent comme vedettes médiatiques, même si c’est dans des milieux alternatifs, qui croient même à ce qu’ils disent, croient défendre réellement les droits de l’homme et être du côté des peuples, mais leur travail a été d’accompagner les discours impérialistes et de bloquer l’émergence de mouvements d’opposition à la guerre en nous embourbant dans des discussions stériles sur leur propre positionnement.

Leurs textes, conférences et interventions médiatiques ont eu une grande efficience pour confondre, persuader et culpabiliser les activistes contre la guerre, les personnes les plus disposées à offrir une résistance effective à la guerre de l’empire et à la propagande de guerre. Pour se refaire une santé ils ont l’habitude d’affirmer que tout est plus complexe, imprédictible, de telle sorte qu’il ne nous reste que l’unique option, en tant que personnes convenables que nous sommes, de nous réfugier dans notre bonne conscience. Si nos connaissances et rhétorique sont déformées et utilisées pour favoriser l’appui à la guerre, ce serait un effet non désiré, un dommage collatéral pour lequel nous ne pouvons être tenus pour responsables.

Ce qui est certain c’est que les discours, les appels et les exigences du clergé humanitariste n’ont pas la moindre des répercussions sur les gouvernements occidentaux mais il est certain aussi qu’ils portent tort à la possibilité d’un mouvement anti-impérialiste.

Je voudrais terminer avec quelques mots de R. Sánchez Ferlosio sur la guerre :

« à part quelques rares exaltés nous voyons tous la guerre avec des nuances mais dans les moments décisifs les nuances ne peuvent être le fardeau qui nous empêche de nous opposer à la guerre avec la ténacité nécessaire. Nous ne pouvons la laisser se transformer en munition contre notre camp. C’est notre responsabilité politique ».

*Ángeles Diez Rodríguez est Docteur en Sciences Sociales et Politiques, et Professeur à l’UCM
(Texte de la conférence donnée à l’Ateneo de Madrid le 9 septembre 2013)

Traduction : Collectif Investig’Action
Source : La pupila insomne

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