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Liban : le putsch avorté de l’attentat contre Wissam al-Hassan .


Entretien exclusif avec Bassam El Hachem, cadre dirigeant du Courant patriotique libre (CPL) au Liban. Réalisé pour Nouvelle Solidarité par Christine Bierre.

CB : Bassam El Hachem, quelle est votre analyse sur cette attentat terrible qui a coûté la vie à Wissam Al Hassan, chef des renseignements du Liban, le 19 octobre dernier ?

BEH : Je pense qu’au-delà des toutes les considérations politiques, le premier raisonnement objectif qui s’impose, le raisonnement d’un juge face à un attentat du genre, serait de procéder, comme l’a fait le directeur général des forces de sécurité du Liban, le brigadier général Achraf Rifi, à une prise de recul par rapport à la situation, et à partir de là, formuler les hypothèses semblant plausibles.

Face à cet attentat, il y a quatre pistes envisageables. Il y a en effet d’abord la piste syrienne : l’attentat serait un coup monté par le pouvoir syrien en réaction à la capture par Wissam al-Hassan de l’ex-ministre libanais de l’information Michel Samaha, qui aurait ainsi servi à épingler la Syrie. La deuxième hypothèse serait d’y voir l’intervention d’une cinquième colonne qui aurait saisi un moment jugé propice pour miser sur le désordre dans le pays et pour monter différentes factions les unes contre les autres. La troisième hypothèse mettrait au soupçon des islamistes djihadistes, tels ceux du Fatah al Islam ou d’autres groupes du même genre ayant perpétré différents crimes sur la scène libanaise entre 2005 et 2012, qui, eux, ont une dent contre Wissam Al Hassan, car il a réussi à démonter nombre de leurs réseaux. La quatrième et dernière hypothèse serait celle de la piste israélienne. Pourquoi ? Pour la bonne et simple raison que le service de renseignement dirigé par Wissam al Hassan a réussi ces deux-trois dernières années à démanteler pas moins de 32 réseaux d’espionnage œuvrant au bénéfice d’Israël sur la scène libanaise. Et donc, les Israéliens avaient aussi tout intérêt à le faire disparaître.

Laquelle de ces quatre hypothèses seraient, en définitive, la bonne ? Qui serait derrière cet acte absolument condamnable ? Il est très difficile de le savoir. Il faudrait le demander à Madame Soleil, en attendant de voir les résultats des enquêtes, si jamais elles devaient aboutir à un quelconque résultat. Mais force est de constater que le front dit des « forces du 14 mars », s’est jeté immédiatement sur l’occasion, en faisant feu de tout bois, pour atteindre deux objectifs. A savoir : d’un côté, déloger le Premier ministre du sérail (mais cette tentative fut avortée) et, de l’autre, empêcher tout changement de la loi électorale en vigueur, leur espoir étant par là de parvenir, au moyen de ladite loi et de maints biais qu’elle entretient, à se garantir, lors des élections législatives prévues pour la fin mai 2013, la prise d’une majorité de sièges par une minorité de voix exprimées dans les urnes, comme lors de élections de 2009. On peut se demander à qui profite le crime, mais jusqu’à maintenant c’est le Front du 14 mars qui cherche à en profiter.

CB : On a dit que Wissam al-Hassan était un proche de Saad Hariri. Est-ce le cas ? Parce que le profil de Wissam al-Hassan que vous venez de nous donner est plutôt celui d’un bon soldat qui a démantelé beaucoup de réseaux étrangers qui ont tenté d’infiltrer le Liban.

BEH : Je suis en train de présenter des données, et non des spéculations. C’est vrai que le général Al Hassan s’est battu simultanément dans les trois directions que j’ai citées : celles de la Syrie, d’Israël et des islamistes djihadistes de tous bords. Aussi est-il vrai qu’il fut un bon soldat. Mais il n’en fut pas moins inféodé au camp Hariri : un état de fait dont il découlait des manquements disciplinaires, que le général Michel Aoun lui reprochait encore récemment, telle par exemple l’évasion récente, de la prison de Roumieh, de détenus du Fath al Islam, qui fut une dernière dans une série d’évasions analogues, face à laquelle les services de Wissam al-Hassan sont restés passifs.

CB : Peut être a-t-il été pris comme cible, parce que cela allait donner aux “forces du 14 mars” une excuse pour déstabiliser le pays ?

BEH : Personnellement, j’ai une hypothèse. Depuis 2005, tous les assassinats que la scène libanaise a connus ont été perpétrés contre des personnalités se classant dans le camp du soi-disant 14 mars. De deux choses l’une : soit ces gens-là sont vraiment des patriotes et par conséquent, ils sont en train de partir en fils des martyrs. Ou alors il y a, en tuant des proches du 14 mars, l’objectif de transformer ce front là en héros patriotiques, ce qu’ils n’ont jamais été parce, qu’ils ont passés 20 ans à la solde de la Syrie et du pouvoir syrien lorsqu’elle occupait le pays. J’ai des raisons de me demander, si le pauvre homme n’a pas été descendu pour servir de bouc émissaire pour galvaniser a nouveau le public du 14 mars, à propos de son commandement politique.Mais, jusqu’à maintenant le coup a été avorté.

CB : Ici à l’étranger, ce qui est apparu tout de suite, c’est la ressemblance avec l’assassinat de Rafiq Hariri, en raison de la brutalité avec laquelle il a tenté de plonger le pays dans le chaos.

BEH : Qui cherche à plonger le pays dans le chaos ? Les puissances occidentales , il est manifeste qu’elles ne veulent pas voir la déstabilisation s’installer au Liban. Pour le moment, elles n’ont pas intérêt à voir le Liban entrer en période de déstabilisation, je dis bien pour le moment. Et cela, ils l’ont fait savoir en montant au créneau, en allant voir le Président de la République [Michel Sleiman] en délégation regroupant les cinq grands représentés au Conseil de sécurité, avec le représentant du secrétaire général des Nations Unies. La France et les États-Unis l’ont fait savoir.

CB : Qu’elles ne voulaient pas d’un changement de pouvoir…

BEH : Les occidentaux ne veulent pas ; la Syrie, non plus, n’a pas intérêt à créer des diversions sur la scène libanaise parce que sa position politique est de plus en plus renforcée. Les derniers développements militaires et politiques sont venus crédibiliser la thèse du pouvoir selon laquelle, désormais, la cause de la réforme en Syrie a été détournée autour des bandes financées, soutenues par les puissances étrangères régionales, la Turquie, l’Arabie Saoudite et le Qatar. Le camp occidental a affiché pour l’instant son refus de déstabiliser la scène libanaise, et la Syrie n’y a pas intérêt.

Alors qui chercherait à créer le désordre, à créer un fait accompli qui entrainerait les occidentaux à réviser leurs calculs pour l’après-élection américaine ? Ce sont des aventuriers, comme Bandar bin Sultan qui, lui, est actuellement engagé dans une course contre la montre. Ou bien il réussit à imposer un fait accompli sur le terrain, obliger les occidentaux, en tête desquels les Américains, à reconsidérer leur position. Ou alors laisser les choses aller dans le sens voulu par l’administration américaine et risquer de faire les frais de ses déboires sur la scène syrienne.

Il faut plus méditer au rôle, à l’intérêt qu’aurait Bandar bin Sultan à torpiller tout cheminement vers une stabilisation de la situation politique sur la base des données actuelles.

CB : Ce que nous voyons de notre côté, c’est plutôt la mère de Bandar bin Sultan, c’est-à-dire les Britanniques ensemble avec les Saoudiens …

BEH : Les Saoudiens, attention ! De plus en plus, il y a une faille qui apparaît en Arabie Saoudite, entre deux tendances : l’une incarnée par le camp du roi Abdallah ; l’autre par Bandar. Bandar c’est le pourfendeur qui veut tout chambouler…

CB : Mais, Bandar c’est aussi l’homme de l’accord Al Yamamah avec les Britanniques, l’accord « armes contre pétrole » signé dans les années 80 entre le clan de Bandar et BAE systèmes, et les Britanniques sont toujours des joueurs de premier plan dans la situation au Proche-Orient. C’est le même genre de réseaux qui a pu frapper l’ambassadeur Chris Stevens à Benghazi…

BEH : En tout cas il est évident que Bandar bin Sultan mise sur ses soutiens dans le camp des Israéliens. On a vu qu’il y a une faille entre Américains et Israéliens, sur la question de l’Iran. On a vu comment Netanyahou, depuis deux ans, n’a fait que mettre la pression sur l’administration américaine pour lancer une opération contre l’Iran.

CB : En Turquie, on voit aussi des choses paradoxales. Tantôt elle semble vouloir reprendre les négociations, avec ce projet de négociations sur trois piliers impliquant les Russes et les Iraniens, et l’Arabie Saoudite et l’Égypte. Mais de l’autre côté, on a vu l’escalade de guerre à la frontière…

BEH : Les Turcs sont partis un peu vite à l’aventure et ils ont découvert à quel point ils ont été de courte vue. D’abord ils avaient très, très mal apprécié la situation en Syrie et l’état des équilibres internes. Cette épreuve de force leur a donné l’occasion de découvrir combien ils étaient ignorants. Ignorants de la scène syrienne, mais aussi de courte vue par rapport à leurs propres handicaps internes. Car ils ont, à tout le moins, trois problèmes majeurs. D’abord le problème de l’opposition. Erdogan est au pouvoir mais il a une opposition sur la scène turque qui ne mâche pas ses mots. Elle est de plus en plus corsée par la formulation de son opposition aux projets impériaux d’Erdogan. Deuxièmement, il y a la question Kurde dont il a  très mal apprécié l’impact national en pareil épreuve de force. Il a cru pouvoir monter les Kurdes contre le pouvoir de Bachar el Assad, mais en réalité Bachar s’est montré beaucoup plus futé dans l’aménagement des sensibilités kurdes et dans l’aménagement de leurs dispositions vis-à-vis de son propre régime. Troisièmement, il y a une immense minorité Alaouite, en Turquie, qui compte 22 millions d’habitants et il semblerait qu’Erdogan n’en avait pas tenu compte.

La guerre se poursuivant en Syrie a conduit à faire remonter toutes ces contradictions sur la scène turque. Et  il s’avère que Bachar el Assad n’est pas près de quitter le pouvoir et qu’il n’y a rien qui l’oblige à partir, alors ils sont en train de reconsidérer leur position; ils reviennent au constat que l’objectif qu’ils s’étaient fixé à savoir celui d’obliger Bachar à partir, était de courte vue,  de ce fait ils se rabattent sur la seule alternative restante , de manière a limiter les dégâts. La semaine dernière, le ministre des Affaires étrangères, Davotoglu, reconnaissait qu’une solution à la Yémenite n’était plus envisageable. Donc, il ne reste plus qu’un processus politique en bonne et due forme pour prévoir l’avenir de la Syrie. Voilà, c’est un échec total. Et cet aventurier de Bandar ben sultan et le Qatar qui persistent à vouloir poursuivre leur « djihad », ils jouent leur va-tout. Car si jamais ils devaient perdre le pari, c’est leur propre présence sur la scène qui serait compromise.

CBI : Quelles sont les suites politiques de l’attentat contre Wissam Al Hassan au Liban. On dit que le président Sleimane serait en train de considérer une coalition centriste, soutenue par des figures comme Wallid Joumblat et Nabih Berry. Le centre jouerait alors le rôle de tampon entre les partisans du général Aoun et du Hezbollah d’un côté et ceux du 14 mars de l’autre.

BEH : On n’a aucune raison de croire que le gouvernement actuel est prêt d’être renversé. Le coup d’État échoué de la semaine dernière a redonné une nouvelle jeunesse au gouvernement de M. Miqati. Celui-ci avait pris peur au départ, il était prêt à considérer son départ au bénéfice d’un gouvernement d’union nationale, mais les développements qui ont suivi, l’on amené à dire que désormais sa disposition à démissionner est derrière lui, il n’en est plus question. Il n’est pas du tout question pour lui de reconnaître une quelconque responsabilité dans l’attentat. C’est quand même terrifiant. Du temps où Siniora était encore Premier ministre, il a vu défiler sur le terrain pas moins d’une dizaine d’attentats qui ont fauché des vies de grands leaders politiques, sans parler des bombes posées ici et là. Pendant un an et demi, des centaines de milliers de Libanais ont campé au centre ville de Beyrouth, et lui disait : je ne sourcillerai pas. Pourquoi devrait-on par conséquent sourciller aujourd’hui en sa faveur ?

CBI : Apparemment le 14 mars a installé des tentes ces derniers jours à Beyrouth

BEH : Oui, mais ce sont des tentes vides. Pourquoi ont-ils échoué à prendre d’assaut le Sérail, le siège du Premier ministre ? Parce qu’il n’y avait pas de monde. Ils étaient très peu nombreux, quelques centaines. Quand nous étions sortis, nous autres, il y a six ans, manifester contre Siniora, nous étions des centaines de milliers ! En réalité, ce sont des blagueurs, des gens en perte de vitesse qui ne savent plus sur quel pied danser.

CBI : Comment le Général Aoun voit-il la situation dans les semaines qui viennent ?

BEH : Le Général Aoun est tout à fait tranquille. Il n’y avait qu’à écouter ses propos au Canada. Il est tout à fait tranquille, rassuré sur l’avenir en disant que ces agitations ne pourront pas dépasser les limites. Pourquoi ? Parce que ceux qui ont le pouvoir de vraiment renverser les choses, le Hezbollah et le CPL, sont déterminés à ne pas se laisser entraîner dans la guerre. Donc, si ceux qui sont au pouvoir ne veulent pas la guerre, il n’y aura pas de guerre.

CBI : Merci Bassam, ces propos montrent, une fois de plus, à quel point il est nécessaire d’aller recueillir les informations dans le pays même, tellement la désinformation est devenue intense ici dans nos pays.

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