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L’Occident prêt à plonger la Syrie dans le chaos.


Par Paul Vanden Baviere

Guy Verhofstadt a invité le commandant de l’armée rebelle syrienne à venir plaider pour un plus grand armement au Parlement européen, alors que ces mêmes rebelles ont pris en otage 20 Casques bleus dans le plateau de Golan et que le flux de réfugiés syriens ne cesse d’augmenter. Un article éclairant de Paul Vanden Bavière, journaliste à Uitpers.

Selim Idriss (en tenue de camouflage), le chef de l’Armée syrienne libre,
a été invité par Guy Verhofstadt (avec la cravate), le leader de l’Alliance des
démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE) au Parlement européen, à venir
plaider pour une augmentation de leur armement. (Photo ALDEADLE)

 Les États-Unis et l’Union européenne ont « en partie » suspendu l’embargo sur les armes décrété contre la Syrie de manière à pouvoir livrer aux rebelles syriens du matériel lourd « non meurtrier » et notamment des véhicules blindés. Les États-Unis et divers pays d’Europe ont également intensifié leurs programmes d’entraînement des rebelles en Turquie et en Jordanie notamment.

Tout cela est bien la preuve que l’Occident s’apprête à conquérir la Syrie, ouvrant la voie à un évincement du Hezbollah au Liban. Après quoi, il ne restera plus qu’à mettre l’Iran au pas sous prétexte qu’il poursuivrait un programme d’armes nucléaires. Si ce plan fonctionne, le projet lancé par le président George W. Bush, à savoir construire un « grand Moyen-Orient » avec son propre pétrole et son propre gaz sous contrôle occidental sera en grande partie concrétisé. En effet, ce projet, lancé en mai 2004, un an après l’invasion de l’Irak par les États-Unis, s’est ensuite étendu à la Libye et il semblerait à présent que ce soit au tour de la Syrie.

Jusqu’à la mi-février, les Etats-Unis et l’Union européenne avaient preuve de retenue. Le 18 février, l’Union européenne a officiellement prolongé de trois mois son embargo sur les armes pour finalement le lever après que le président Obama eut lui aussi renoncé à toute opposition contre un armement des rebelles syriens.

Djihadistes

Cette attitude des États-Unis et de l’Union européenne découle de facteurs concomitants. On craint, soi-disant, que les armes ne tombent entre de « mauvaises » mains, autrement dit entre les mains des djihadistes islamistes, comme Jabhat-al Nusra, qui cherchent à introduire par la violence un émirat islamiste stricte en Syrie. De même, on n’est pas sûr que l’opposition armée syrienne « modérée » soit en mesure de maîtriser les extrémistes, comme cela a été le cas dans le nord du Mali.

À présent qu’Obama a été réélu et que son gouvernement est formé, ces arguments ne pèsent plus autant. D’ailleurs, les États-Unis et certains pays de l’Union européenne fournissent depuis longtemps, malgré leur embargo, non seulement du matériel militaire non meurtrier, mais aussi du matériel meurtrier, et ce via les pays du tiers-monde. Un article récemment publié dans le New York Times révèle que la Croatie a livré des armes d’infanterie via l’Arabie saoudite. Et il semblerait qu’aujourd’hui on soit bien parti pour un envoi sans intermédiaire d’armes meurtrières. C’est le ministre des Affaires étrangères, John Kerry, qui a lancé la perche lors d’une visite en Arabie saoudite où il a plaidé pour un armement de « l’opposition légitime modérée ».

Couverture aérienne

L’Occident n’a jamais sérieusement cherché à pousser les rebelles à trouver une solution via les négociations. Au contraire, de véritables négociations ont été rejetées comme cela s’est vu auparavant dans d’autres conflits, notamment en Irak, dans les Balkans et en Libye.

Depuis 2011, on assiste à une escalade occidentale sur le plan militaire et on prépare petit à petit l’opinion publique à une guerre ouverte. Cela va de quelques livraisons de matériel militaire, en passant par des programmes de formation et renseignements militaires, jusqu’à l’installation au début de cette année de missiles Patriot à la frontière entre la Turquie et la Syrie par l’Allemagne, les Pays-Bas et les États-Unis. Le matériel est donc déjà sur place pour créer une « zone de sécurité » qui doit renforcer une interdiction de vol qui n’a pas encore été formellement décrétée contre les forces aériennes syriennes et « protéger » les rebelles syriens en garantissant une couverture aérienne. Tout est prêt pour permettre aux rebelles de lancer une plus grande offensive. L’Occident pourra alors s’allier, comme il l’a fait en Libye, en intervenant en tant que forces aériennes des rebelles.

Irrémédiablement divisée

Ce beau projet pour la Syrie soulève néanmoins quelques questions. Le problème, c’est l’opposition syrienne elle-même qui reste irrémédiablement divisée et n’a pas le moindre programme. Mi-novembre, le Conseil national syrien, à savoir la coalition d’opposition syrienne, a été rebaptisé « Coalition nationale syrienne » lors d’une rencontre au Qatar et a élu un nouveau président. Quatre mois plus tard, la Coalition, qui n’a pratiquement pas de partisans en Syrie, comme le reconnaît l’Occident, n’est toujours pas parvenue à former un gouvernement provisoire.

Le ministre français des Affaires étrangères lui-même, Laurent Fabius, a baissé les bras lors de la rencontre des « Amis de la Syrie » qui s’est tenue à Paris fin janvier. Il a déclaré que, si l’État et la société syrienne éclataient, les islamistes gagneraient du terrain. Il a en outre exprimé sa crainte de voir la situation dégénérer en une confrontation entre milices. Il avait auparavant affirmé que la chute du régime à Damas était loin de se produire, alors que cela fait près de deux ans qu’on entend dire que ce régime subit chaque jour de nouveaux revers et qu’il est proche de l’éclatement (1).

Sur le terrain, les deux camps, opposition et gouvernement, remportent tantôt une victoire, tantôt essuient une défaite. La situation prend des airs de front de la Première Guerre mondiale. Le président Bashar al-Assad a déclaré fin janvier que l’armée syrienne avait repris les devants sur le terrain, ce qui est probablement un peu trop optimiste. Toutefois, grâce aux armes et au soutien de l’Iran et de la Russie, il semblerait bien qu’une armée régulière ait plus de chance de percer qu’une opposition divisée.

Absence de vision

L’absence de vision de l’opposition et le fait qu’elle se tourne vers l’Occident sont confirmés par les propos de plusieurs dissidents, comme le général Manaf Tlass, ami proche du président Bashar al-Assad, qui a rompu avec le régime en juillet et s’est installé à Paris. Le général a déclaré dans Le Monde (2) qu’il avait demandé à la « communauté internationale » un plan de protection pour la Syrie. Pour Basma Kodmani, intellectuel syrien en France, « si la communauté internationale avait un plan précis, nous pourrions nous organiser beaucoup plus facilement » (3).

Cette absence de vision n’a pas empêché l’Occident de poursuivre son objectif. Détruire une société et la plonger dans le chaos, comme cela s’est vu en Irak et en Libye, c’est aussi une manière de la contrôler.

 Notes
(1) Le Monde, 30 janvier 2013 : La dynamique de l’opposition syrienne semble s’essouffler, par Benjamin Barthe.

(2) Le Monde, 26 janvier 2013 : Syrie : “Si le chaos fait tomber Bachar, le chaos régnera après”, par Benjamin Barthe.

(3) Idem.

 Source : Solidaire

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