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Michel Raimbaud: Syrie, six ans de guerre…Après le cauchemar, les rêves ou la réalité ?


ITRI : INSTITTUT TUNISIEN DES RELATIONS INTERNATIONALES
Publié par Candide le 30 juin 2017 dans Chroniques

Intervention de l’Ambassadeur Michel Raimbaud à la Conférence organisée par « Chrétiens d’Orient pour la paix » le 27 juin 2017.

Merci à notre ami Michel Raimbaud de nous autoriser à publier son excellente intervention

Syrie, six ans de guerre…Après le cauchemar, les rêves ou la réalité ?
I/ Un conflit universel
Par un vilain jour de mars 2011 était donné le coup d’envoi de cette interminable guerre syrienne qui est aujourd’hui l’objet de notre réflexion. Qui aurait pu deviner alors qu’elle allait s’installer dans l’opinion sous l’image labellisée que nous lui connaissons : celle d’une guerre soi-disant « oubliée » entre un mouvement populaire « démocratique et pacifique » et un « régime massacreur », une bonne cause à défendre pour les élites (de droite ou de gauche) qui depuis vingt ans communient dans un consensus bétonné autour de toutes les certitudes molles héritées du « néoconservatisme » à l’américaine. L’adhésion spontanée ou calculée aux « valeurs » véhiculées par ce consensus, signant leur allégeance (ou leur appartenance) à « l’Etat profond », leur confère le droit – le privilège devrait-on dire – de s’exprimer sur les antennes, les écrans et dans les gazettes.
C’est adossé à cette foi idéologique sommaire que notre mainstream va très vite se polariser sur l’urgence de faire « dégager Bachar » et de renverser « le régime syrien » tout en s’employant – avec un certain succès – à faire partager cette hantise par de larges couches de la population.

Dans le paysage audio-visuel, intellectuel et politique naîtra donc comme par enchantement un front sans faille qui veillera à rendre inaudibles les contestataires de la narrative officielle. Le conflit syrien sera catalogué d’emblée comme un épisode des « printemps arabes », dans la lignée de ceux de Tunis, du Caire, du Yémen, de Libye, et on décrètera une fois pour toutes qu’un scénario à la libyenne est inéluctable en Syrie.

On croyait naguère le lavage de cerveau réservé aux régimes totalitaires : or, le conflit de Syrie, comme celui de Libye auparavant, aura donné aux « grandes démocraties », la nôtre y compris, l’occasion de montrer tout leur savoir-faire en la matière. En occultant la mise à mort d’un peuple attaché à la souveraineté, à l’intégrité et à l’indépendance de son pays, en faisant le silence sur les destructions massives, en falsifiant les réalités, c’est la résistance stoïque du peuple syrien qui sera volontairement ignorée, l’image héroïque d’une armée nationale qui sera défigurée, le déni amplifiant d’autant la souffrance.
Il faut bien le dire, la volonté de dégager Bachar al Assad (qui « ne mérite pas d’être sur terre » mais serait mieux « six pieds au-dessous »), la volonté de détruire (Bachar ne partira peut-être pas, mais nous aurons détruit sa Syrie, comme osait le dire récemment encore un opposant démocrate « modéré ») et la volonté de tuer (nous sommes prêts à sacrifier les deux tiers de la population syrienne afin de sauver le dernier tiers) n’ont pas choqué grand monde du côté de chez nous durant ces années de dévastation de la légalité et de la morale internationales. Malgré les contradictions, les évidences, les révélations, les témoignages, on trouve encore des fanatiques ou des naïfs, des cas désespérés, pour défendre mordicus la thèse selon laquelle la guerre de Syrie serait réductible à la lutte d’un peuple révolté contre un régime oppresseur. Un épisode des « printemps arabes » qui aurait mal tourné, mais n’aurait pas dit son dernier mot…
Toutefois, trop c’est trop. Les rangs des soutiers et des charbonniers de la « révolution » auront fini par s’éclaircir. Quand on a le nez plongé dans les décombres du chaos créateur, si l’on n’a pas les yeux emplis d’effroi devant la sauvagerie et la conscience révulsée par la gestion de la barbarie djihadiste, c’est que l’on a choisi de fermer les yeux. Il faut être aveugle et se contenter d’analyses convenues ou d’idées reçues pour ne voir dans la tragédie syrienne qu’un évènement banalisé dans une séquence épidémique de « printemps arabes » épars. Il faut avoir un cerveau délabré ou particulièrement sommaire pour refuser par principe d’insérer cette tragédie dans le contexte qui est le sien, et qui saute aux yeux si l’on se réfère aux crises et aux guerres des dernières décennies. C’est celui d’une entreprise géopolitique et géostratégique globale de déstabilisation et de destruction, inspirée, planifiée, annoncée, conduite par l’Empire sous direction américano-israélienne, utilisant systématiquement des régimes inféodés et des complices de circonstance (islamistes dans le cas d’espèce) dont l’agenda, pour différent qu’il soit, est compatible à court et moyen terme avec celui des maîtres atlantiques.
Vu par la lorgnette des neo-cons qui l’inspirent depuis maintenant un quart de siècle, l’Occident (l’Amérique, Israël et ses alliés européens) a pour vocation de disputer à l’Eurasie russo-chinoise la maitrise de la planète, et la déconstruction du monde arabo-musulman, qui sépare ces deux ensembles, est une condition imposée par la géopolitique. Pour les forces islamistes radicales, la décomposition des Etats de cette « ceinture verte musulmane » en entités à base ethnique ou confessionnelle est le passage obligé vers la création d’une bouillie d’Emirats, étapes incertaines vers la refondation d’un Etat islamique fondé sur la Charia (loi coranique) ou le rétablissement du Califat, un siècle après son abolition. Pour des raisons historiques, culturelles, religieuses, politiques et géopolitiques, la Syrie est le centre et l’épicentre de cette confrontation dont l’issue sera déterminante pour l’instauration d’un nouvel ordre mondial en gestation.
En tout cas, il est difficile de nier que les guerres de Syrie (ou les guerres en Syrie) ont dégénéré en un conflit universel qui oppose deux camps, l’un ayant démontré sa solidité et le second se trouvant en pleine dislocation:
– Le camp de la Syrie légale et de ses alliés (Iran, Hezbollah, Russie et Chine, par extension les BRICS), mais aussi des pays comme l’Algérie, et de plus en plus l’Irak, ses forces armées, son Hachd al Chaabi (rassemblement populaire), le Yémen « légal » du Président Ali Abdallah Saleh et d’autres forces résistantes à l’hégémonie.
– Le camp adverse, regroupant les régimes islamistes (Turquie, Arabie Saoudite, Qatar et émirats du Golfe Persique), les terroristes et djihadistes ainsi que les groupes de miliciens divers, financés, armés, soutenus par Israël et – malheureusement – les Occidentaux. Tous ces adversaires de la « Syrie légale » se concerteront régulièrement dans le cadre du groupe dit « des Amis de la Syrie ».
Cet affrontement universel, qui a connu depuis plus de six ans de nombreux développements, peut se décliner – j’ai tenté d’en faire une recension dans mon ouvrage « Tempête sur le Grand Moyen Orient » publié en février 2015, puis en février 2017 – en une bonne douzaine de conflits aussi impitoyables les uns que les autres, mêlant l’odeur de sainteté au fumet du gaz, les illuminations messianistes et les ambitions stratégiques, les références aux valeurs morales et les valeurs boursières, la guerre sainte pour la religion et la lutte profane pour le pouvoir étatique :
1/ Sur le plan syrien proprement dit :
– 1/ C’est au premier abord une guerre pour le pouvoir conduite par une opposition soi-disant « démocratique et pacifique » contre l’oppression d’un « régime massacreur ».
– 2/ Cette lutte interne se militarisera rapidement, transformée sous la plume des analystes en une « guerre civile », qui n’en est pas une dans la mesure où elle est importée…
– 3/ En effet, le conflit sera internationalisé par l’intervention massive des régimes sunnites radicaux et de combattants étrangers aux côtés de l’opposition (lourdement) armée, puis par l’ingérence et le soutien ouvert des Occidentaux, devenant clairement une guerre d’agression, le crime international par excellence, selon le Tribunal de Nuremberg.
– 4/ Elle constituera en fait un politicide – qui est à l’encontre d’un Etat ce que l’homicide est à l’encontre d’un être humain – visant à provoquer un éclatement de l’Etat-nation syrien en mini-entités à base confessionnelle ou ethnique, conformément aux plans israélo-américains. C’est l’objectif du Protocole de Doha adopté sous l’égide du Qatar en novembre 2012 par la Coalition Nationale Syrienne des Forces de l’Opposition et de la Révolution.
2/ Sous l’angle religieux :
– 5/ C’est une guerre au nom de l’islam contre un « régime impie », placée sous le signe du djihad, de « la sauvagerie et la gestion de la barbarie » qui constitue la stratégie officielle de l’Etat Islamique (Da’ech).
– 6/ Recyclée en guerre sainte par les islamistes, la guerre d’agression se résumera donc bientôt pour la communauté internationale à une guerre terroriste.
– 7/ Elle engendrera ainsi une reprise de la guerre globale contre le dit terrorisme, considéré (en paroles du moins) comme l’ennemi numéro un de tous les pays, une guerre vouée à servir de feuille de vigne à la guerre d’agression contre la Syrie.
– 8/ Un assaut des radicaux sunnites wahhabites (et assimilés) contre « l’axe chiite » allant de Téhéran au Liban, via la Syrie et l’Irak, présenté par les wahhabites et leurs alliés comme un volet du combat anti-terroriste.
– 9/ Une guerre acharnée entre les deux camps du radicalisme sunnite (Turquie et Qatar contre Arabie Saoudite, Frères Musulmans contre Wahhabites) pour la direction de l’islam sunnite et de l’islam.
3/ Du point de vue géopolitique
– 10/ Une guerre Atlantique/Eurasie par procuration
– 11/ Une guerre pour l’énergie, pour le gaz notamment
– 12/ Une guerre pour l’intérêt supérieur d’Israël, omniprésent dans les préoccupations américaines et occidentales
– 13/ Pour couronner l’ensemble, un kriegspiel planétaire joué sur le « grand échiquier », ayant pour enjeux le contrôle du « Grand Moyen-Orient » revisité et le leadership du monde.
Le bilan humain, matériel et financier de ces seules guerres syriennes à tiroirs est terrifiant, à l’image du bilan global de la « démocratisation du Grand Moyen-Orient » que l’on doit à George W. Bush et ses sbires .
II/ En légitime défense, la Syrie fait vaillamment face à la guerre d’agression
1/ La légitimité de l’Etat syrien.
Membre des Nations-Unies, la Syrie est un Etat indépendant et souverain. Son régime est républicain et de style laïcisant. Parler du « régime syrien » pour désigner son gouvernement vise évidemment à le délégitimer, au mépris d’un principe en général oublié : si l’on mentionne volontiers le droit des peuples à l’autodétermination, on oublie fréquemment le droit des Etats à décider de leur régime politique, hors de toute ingérence étrangère.
Selon la loi internationale, le gouvernement dispose du monopole d’usage légal de la force : ceci doit être rappelé à tous ceux qui ont rêvé de détruire un Etat récalcitrant, à ceux qui voulaient le « politicider » parce qu’il résistait à leurs visées néocoloniales.
L’armée syrienne n’est pas « l’armée du régime alaouite », mais une armée nationale, de conscription. Elle a le droit absolu de reconquérir ou de libérer toute portion du territoire sans demander l’autorisation de quiconque. En restaurant la souveraineté de l’Etat sur le sol national, elle ne fait que permettre à l’Etat dont elle est l’un des organes régaliens d’exercer son droit de contrôle du territoire. Elle ne fait qu’affirmer le droit de la Syrie à préserver sa souveraineté, son intégrité, son indépendance.
Depuis plus de six ans, un pays qui n’agressé personne, doit résister à une guerre d’agression impliquant d’une façon ou d’une autre (ressortissants, combattants, gouvernements…) plus d’une centaine de pays membres des Nations-Unies, se heurtant en outre à un appareil international et onusien qui est loin d’être neutre. La résistance du « régime syrien » et de ses alliés a pourtant grippé l’entreprise des « neocons » et des takfiristes, ses détracteurs et ennemis admettant désormais (comme l’ancien ambassadeur US à Damas Robert Ford) que la Syrie a potentiellement gagné.

2/ La Syrie vit dans une atmosphère de fin de guerre

Sur le front des opérations militaires : depuis la libération d’Alep qui a fait date et marqué les esprits en décembre 2016, l’armée syrienne est partout à l’offensive, du côté de Damas, d’Alep, de Homs, de la frontière jordanienne, de la steppe syrienne. Malgré les intimidations américaines, elle reconquiert peu à peu le territoire national. Même si la guerre risque d’être encore longue, l’évolution favorable de la “bataille du désert” actuellement en cours laisse entrevoir une accélération des avancées.
Passant outre aux injonctions et menaces américaines, l’armée syrienne a opéré sa jonction avec les forces irakiennes du « Hachd Chaabi » sur la frontière entre les deux pays, exploit qui semblait improbable il y a quelques mois. Cette remise en cause des frontières Sykes-Picot entre la Syrie et l’Irak est un fait considérable, puisqu’elle signifie la mise en échec ab initio du mémorandum concocté par Tel-Aviv et présenté à Trump avant ses voyages en Arabie et en Israël, qui proposait une nouvelle base de coopération avec les Etats-Unis. Repris tel quel lors des sommets de Riyad, ce plan mort-né prévoit :
°la reconnaissance par Washington de la souveraineté d’Israël sur le Golan
°le refus de toute présence militaire permanente de l’Iran en Syrie
°l’alourdissement des sanctions contre Téhéran en raison de « son soutien au terrorisme »
°l’accroissement de la pression sur le Hezbollah
°Un engagement visant à empêcher l’établissement d’un corridor Iran – Irak – Syrie – Liban qui donnerait à l’Iran un débouché sur la Méditerranée.

Les multiples provocations (un avion, puis un drone syriens abattus par les Américains, des frappes ici ou là, des attaques ponctuelles contre l’armée syrienne) ne changeront rien, tant elles apparaissent contre-productives. Loin d’intimider, ce combat d’arrière-garde mené par une puissance en déclin (et donc dangereuse) a provoqué un raidissement de Moscou quant aux conditions futures de la coopération technico-militaire entre Russes et Américains contre le terrorisme. Il a inspiré aux Iraniens une grande première, sous la forme d’un tir de missile sur Da’esh en Syrie, à partir de leur territoire.
On pourrait dire la même chose des « Forces Démocratiques de Syrie », qu’elles soient kurdes, arabes ou turkmènes, qui pourraient faire un mauvais calcul en recherchant la création d’un Kurdistan « introuvable » en Syrie.

Sur le plan politico-médiatique, la Syrie semble bel et bien avoir gagné. Les officines de propagande et les donneurs de leçons de morale ont prétendu et prétendent toujours avec l’aplomb des escrocs qu’un peuple unanime se dressait et se dresse contre « le dictateur » ou le « tyran massacreur ». Depuis 2011 pourtant, il n’est pourtant pas difficile de voir, malgré l’omerta, que les narratives officielles sèment à tous vents des farandoles de « false flags » (faux drapeaux), arme favorite des terroristes démocrates, des cannibales modérés, des révolutionnaires du circuit Elizabeth Arden et des révérends prêcheurs de l’Axe du Bien.
Les populations votent toujours avec leurs pieds lorsqu’elles en ont la possibilité, et ce genre de scrutin n’a pas besoin d’un long dépouillement. Au fur et à mesure que l’armée reconquiert le territoire national, ceux qui en ont la possibilité fuient les zones rebelles et accueillent l’armée syrienne en libératrice.
Durant des années, il a été à la mode en France, en Navarre ou ailleurs, de répéter comme des perroquets que « Bachar doit partir », que « Bachar n’a pas de place dans l’avenir de la Syrie » : or, on ne compte plus les arrogants perroquets qui ont disparu et n’ont plus de rôle à jouer dans l’avenir de leur pays, alors que leur tête de turc est toujours là. C’est que ce président, cette tête de turc est resté pour beaucoup et devenu pour beaucoup d’autres le symbole de la résistance de l’Etat et de l’attachement du peuple syrien à son modèle de société tolérante.

3/ Diplomatiquement, les évènements se bousculent
La solidité de l’alliance entre la Syrie et ses alliés (Hezbollah, Iran, Irak, Russie, Chine) contraste avec la dislocation de la coalition adverse:

°La dislocation du bloc islamiste (entre l’Arabie et la Turquie, entre l’Arabie et le Qatar, la scission au sein du Conseil de Coopération du Golfe) est si évidente qu’elle se passe de commentaires.
°Le désengagement progressif de Trump vis-à vis de l’Arabie de Ben Salman et son souci de faire payer très cher à Riyad (des centaines de milliards de dollars déjà) le maintien d’une fiction d’alliance à la vie à la mort est assez transparent. Il faut être aussi inexpérimenté et brouillon que Mohammad Ben Salman pour ne pas voir que le contrat sécurité contre pétrole a cédé la place à un arrangement armes contre dollar. De même, ses décisions ambigües concernant le Qatar, son attitude ambigüe sur les Kurdes et la Turquie, ne sont pas très rassurantes pour les intéressés. Pour reprendre la formule usuelle des humoristes : « il est dangereux d’avoir les Etats-Unis pour ennemis, mais il est deux fois plus dangereux encore de les avoir pour amis ».
°Le désamour entre l’Europe et les Etats-Unis, mis en lumière par le sommet de l’OTAN a déjà introduit une manière de schisme atlantique, sur la même base : les Européens veulent de la sécurité à nos dépens ; qu’ils la paient le juste prix ».
°L’interview accordée par le nouveau Président de la République à plusieurs journaux européens et consacrée à sa vision à venir de la politique de la France a été qualifiée par beaucoup de virage à 180° en ce qui concerne la Russie, la Syrie et le Président Bachar al Assad:
– Pour Emmanuel Macron, le départ de Bachar al Assad ne serait plus une obsession. Il n’y a pas de « successeur légitime » à Bachar al Assad. Le chef de l’Etat syrien n’est pas l’ennemi de la France.
– Le seul ennemi de la France en Syrie est Da’ech…Il faut une solution politique, avec une feuille de route.
– M. Macron a du respect pour Vladimir Poutine et souhaite engager une coopération avec Moscou, y compris sur la Syrie.
– Le Président affirme vouloir tourner la page sur dix années de « logique néo-conservatrice »…
III/ La Syrie est désormais à la croisée des chemins
1/ « Syria invicta » : c’est le titre d’un sous-chapitre de « Tempête sur la Grand Moyen-Orient », mentionné précédemment. Participant en février dernier à une conférence à Damas, j’avais avancé l’idée que si « la Syrie victorieuse » (c’était le slogan choisi par les organisateurs) n’avait pas encore gagné, elle le ferait de toute façon. S’agissant d’une conviction intime depuis le début de la crise, il serait malvenu de me dédire, alors que se produisent des changements radicaux, militaires d’une part, politiques et diplomatiques d’autre part. Les clignotants s’allument de toutes parts pour signifier que la victoire politique de la Syrie légale semble acquise. Cette perspective devrait aller de pair avec le maintien du Président en place et avec un « adieu aux révolutions arabes », dont la flamme – on peut en être certain – sera entretenue pendant quelque temps dans les palaces occidentaux et les palais orientaux.
Invaincue, la Syrie est néanmoins dévastée. A elle seule, elle compte environ 400 000 morts, sans doute 15 millions de réfugiés, déplacés et exilés, 1,5 million de blessés et handicapés divers. Près des 2/3 du pays sont en ruines, avec des dégâts estimés par certains à 1 300 milliards de USD, sans compter l’impact continu des sanctions, blocus et embargos divers…
Une question reste posée : Faut-il arrêter la guerre ? De l’avis des experts russes, bien placés pour en débattre étant donné l’investissement de leur pays dans le conflit syrien, il n’y a pas d’issue militaire à la crise. Il faudrait garantir un règlement politique en établissant un dialogue avec les représentants de l’opposition, les plus présentables d’entre eux du moins. Selon la directrice de recherches au Centre d’Etudes Arabes et Islamiques à l’Académie des Sciences de Russie, une désescalade serait susceptible de permettre le déploiement de forces de maintien de la paix. Selon Alexander Aksenyonok, membre du Conseil russe des Affaires Etrangères, l’engagement « nécessaire » de la Russie dans les dossiers du Moyen-Orient a eu des résultats positifs, en interdisant l’arrivée des forces radicales au pouvoir à Damas. Mais il pourrait y avoir des retombées négatives, telles que le risque de compétition militaire entre Russie et Etats-Unis : d’où la nécessité de maintenir ouverts des canaux diplomatiques et d’accepter de grands compromis, comme celui de s’asseoir à la table des négociations avec certaines organisations qui n’y sont pas vraiment à leur place. (Club de Valdai, 27 et 28 février 2017 à Moscou).
Cette option diplomatique est discutable et discutée, au vu des expériences de la guerre de Syrie. Certes, la guerre ne peut mettre fin à la guerre et la diplomatie seule mettra fin à la tragédie. Cependant, il est clair que l’Etat syrien doit pouvoir négocier en position de force relative : l’évolution actuellement constatée n’est pas le fruit de bons sentiments, mais le résultat de la montée en puissance de l’option militaire face aux provocations.

Le Moyen-Orient ne sera plus jamais le même. Il en ira de même pour la Syrie. Avant même l’après-conflit, la fin de guerre risque d’être longue. Pourtant il est temps de songer :
°A la poursuite du difficile dialogue politique qui aura été entamé à l’occasion des pourparlers de Genève ou d’Astana. Selon toute vraisemblance, il n’est pas facile pour ceux qui ont défendu leur pays contre l’agression dans des conditions éprouvantes de discuter « diplomatiquement » avec des interlocuteurs qui ont appelé avec constance à l’intervention étrangère afin de détruire la Syrie.
°A l’immense travail de reconstruction du pays, de ses infrastructures, de son économie, ramenée plusieurs décennies en arrière par le chaos. Le choix des partenaires s’annonce délicat.
°A la réconciliation de sa société (sérieusement ébranlée dans ses valeurs ou ses fondements), avec la poursuite du travail discret mais impressionnant conduit par le gouvernement, en particulier le ministère de la réconciliation nationale. Des expériences comme celles de l’Algérie, serviront d’inspiration.
°Au réapprentissage du vivre ensemble des forces vives, avec un soin particulier pour la jeunesse qui a grandi dans la guerre, et qui constitue à la fois l’avenir de la Syrie et un bassin de recrutement pour les groupes terroristes.
A l’incitation au retour et à la réinstallation des millions de migrants (déplacés, réfugiés, exilés), un enjeu décisif pour l’avenir du pays.
Mais, ce sera mon mot de la fin, au plan diplomatique et politique, la France, à l’origine de tant de décisions hostiles et ravageuses contre la Syrie (sanctions, soutien à la rébellion armée, rupture des relations diplomatiques, appui aux régimes islamistes et aux « amis de la Syrie ») et qui a entraîné l’Europe dans son sillage, devrait bien admettre qu’elle a un devoir de réparation. En tant qu’ancien diplomate, je ne puis que souhaiter le retour à la grande tradition gaullienne de la France, cette politique de dialogue, d’ouverture, de conciliation envers tous les autres partenaires de la communauté des nations, qui faisait notre fierté, mais qui a sombré dans les eaux de l’atlantisme.
La priorité des priorités pour la France, étant donné ses responsabilités, serait qu’elle décide la levée unilatérale des sanctions qui ont été imposées, en bonne partie à son initiative et sous ses pressions, au peuple syrien. Mais le fera-t-elle ? Espérons sans trop y croire que M. Macron joindra les actes à la parole et les mettra en conformité avec ses effets d’annonce, espérons au minimum que ses actes ne contrediront pas ses discours. Dans le climat empoisonné qui règne depuis des années du fait de notre diplomatie, il faudra plus qu’une déclaration pour réparer les dégâts.
Michel Raimbaud, le 27 juin 2017

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