Mon devoir est simplement de dire ce que je crois vrai. par Silvia Cattori
juin 9, 2012
Silvia Cattori
Tout citoyen doit savoir surmonter les obstacles qui l’empêchent d’aller voir de l’autre côté du miroir pour sortir de l’ignorance dans laquelle les pouvoirs étatiques et médiatiques cherchent à l’enfermer. Rechercher la vérité avec honnêteté, avec courage, et qu’elles qu’en soient les conséquences pour soi-même, est le devoir de tout être humain et, particulièrement, de tout journaliste.
« Il y a un mur entre nous et la réalité… Ce mur s’appelle les médias. Ce mur est un outil qui sert à nous détourner de vérités dérangeantes, » dit justement le grand musicien Roger Waters.
Tout journaliste devrait savoir aller avec empathie vers ces peuples battus, humiliés qui aspirent à être reconnus en leur simple humanité, leur besoin de liberté, et qui, comme en Palestine, sont à la merci de soldats brutaux. C’est de ce côté-là que la vérité nous attend.
0ffrir une information indépendante et honnête, mettre à nu les diverses formes d’oppression, peut contribuer à sauver des vies, à alléger des souffrances, à promouvoir la justice.
Brève biographie
Silvia Cattori, journaliste indépendante, de nationalité suisse et de langue maternelle italienne, s’est toujours rangée du côté de ceux qui souffrent. On peut lire ses articles en plusieurs langues sur de nombreux médias.
Marquée par la brutalité du coup d’État militaire contre le président du Chili, Salvador Allende, choquée par la présentation biaisée de la presse en faveur des putschistes, c’est en étudiant la façon dont celle-ci a traité cet évènement qu’elle mesure, pour la première fois, le rôle des médias dans la mise en place de régimes dictatoriaux et l’acceptation de leurs crimes par nos démocraties. Elle consacre un ouvrage à ce sujet : « Septembre 1973 au Chili vu au travers de quatre quotidiens – Qualité de l’information et droit à l’information ».
Les années fascinantes qu’elle passe outre-mer, notamment en Asie du sud-est et dans l’Océan indien, en contact étroit avec le milieu de la diplomatie et des agences des Nations Unies, lui donnent une certaine compréhension du monde, de ses mécanismes de pouvoir et de ses injustices.
Dans les années 70 elle se trouve confrontée aux guerres et leurs atrocités, à l’extrême pauvreté de ces pays du sud, aux limites et aux paradoxes de l’assistance bilatérale et internationale. Elle assiste aux bouleversements consécutifs de la guerre menée par les États-Unis contre le Vietnam, le Laos et le Cambodge. Elle se rend notamment au Vietnam du Nord où elle témoigne de la gravité des dévastations causées par les bombardements de l’armée US et de la résistance héroïque du peuple vietnamien.
Témoin du coup d’État militaire sanglant du 6 octobre 1976, où en quelques heures plusieurs centaines d’étudiants sont tués, lynchés, à l’Université Thammasat, en plein Bangkok, elle ouvre sa maison à des intellectuels et étudiants mis sur la liste des gens recherchés, traqués par la répression, qui se sont vus obligés d’entrer en clandestinité. Elle est, en 1978, la première journaliste occidentale à pouvoir se rendre dans les maquis du parti communiste thaïlandais, au sud de la Thaïlande, où se sont réfugiés des milliers d’étudiants. Sur cette période troublée, elle publie en 1979, aux Editions L’Harmattan, « Asie du Sud-Est, l’enjeu thaïlandais ».
Revenue en Europe, après l’Asie, et de longues années passées sur l’île de Madagascar, et à voyager dans l’Océan indien et sur divers continents, elle se tourne principalement vers l’écriture de textes littéraires.
Lorsque, en 1989, éclate en Suisse le « scandale des fiches », établies par la police politique, sans base légale, sur 900’000 personnes et organisations (sur une population de 6.5 millions d’habitants), elle a la surprise de découvrir qu’elle figure sur la base des données du Service du renseignement intérieur ; qu’elle était étroitement surveillée par des agents secrets. Ceci à la suite des contacts de travail qu’elle avait eus, dès les années 70, avec le responsable de la revue Inprecor, Pierre Rousset [fils de David Rousset, résistant, déporté, et auteur de « L’Univers concentrationnaire » ; ouvrage fondamental sur les camps nazis].
Les espions de pacotille, chargés de la poursuivre en permanence, avaient tout noté : ses rencontres, l’heure, ses déplacements, les versements d’abonnements à des revues, les courriers qu’elle recevait… Tout cela ressemblait étrangement aux méthodes policières que nos sociétés reprochaient aux régimes communistes. Pareil ! Mais tout cela se passait dans un pays démocratique, la Suisse, à l’insu de ses pacifiques citoyens (et tout cela continue aujourd’hui sur une très grande échelle).
En 2002, elle est rattrapée par la politique dont elle avait cherché à s’évader dans l’écriture littéraire. Elle se trouve en Israël au moment où Ariel Sharon lance, en Cisjordanie, une vaste et sauvage offensive militaire appelée « Opération rempart ».
Horrifiée par la découverte des horreurs commises contre les Palestiniens par les soldats de l’armée occupante israélienne, elle se consacre depuis a témoigner de ces graves violations, que les médias occidentaux, malheureusement, minimisent.
Au cours de sa trajectoire, Silvia Cattori a eu l’occasion de côtoyer des personnalités politiques et des diplomates de premier plan, en Asie comme en Afrique.
En 2007, elle ouvre son propre site (http://www.silviacattori.net/), où elle rassemble une partie des articles qu’elle a consacré, depuis 2002, à témoigner des violences que subissent les Palestiniens.
De 2006 à 2008 elle s’associe à Greta Berlin et Mary Hughes-Thompson – et une poignée de Californiens et de Britanniques – pour réaliser le projet d’atteindre Gaza par mer ; voyage qui paraissait alors un objectif impossible. Elle en assure la communication et lui consacre de nombreux écrits pour le faire connaître également en Europe et obtenir les fonds nécessaires à son aboutissement. Programmée pour l’été 2007, cette traversée, défi lancé à la marine militaire de l’État d’Israël, se concrétise finalement avec succès en août 2008, et sans qu’elle puisse y participer pour des raisons de santé.
Ses investigations l’amènent également à mettre en lumière les très graves injustices subies par de nombreuses personnes suspectées, poursuivies et persécutées parce que de confession musulmane, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Elle intervient à maintes reprises auprès des autorités fédérales suisses pour dénoncer leur gestion peu glorieuse des listes noires illégales, qui punissaient et persécutaient des musulmans, alors qu’ils étaient innocents.
Elle résume ainsi son parcours : « Trois chocs majeurs ont successivement déterminé ma trajectoire : le coup d’État militaire sanglant contre Allende au Chili en 1973 ; le coup d’État militaire sanglant en octobre 1976 à Bangkok ; enfin l’opération militaire lancée par l’Etat colonial israélien en mars 2002 contre le peuple palestinien. Ce troisième choc a été très traumatisant. Il a brutalement changé le cours de ma vie. Je suis revenue à la politique à ce moment là – aussi dur que cela ait pu être pour moi – pour accomplir mon devoir qui est d’informer de la gravité des actes de barbarie commis par une armée qui se proclame “la plus morale du monde”, dont j’ai été un témoin atterré.
Je suis revenue à l’écriture politique pour faire entendre la voix de ceux qui n’en ont pas, de ces gens humbles dont les vies ont été dévastées, meurtries, et qui m’ont si généreusement accueillie en Cisjordanie et à Gaza notamment. Je suis revenue au journalisme, bien qu’à la retraite, pour dire que le peuple palestinien a des droits comme chaque peuple, des coutumes attachantes et des valeurs culturelles et religieuses qui valent les nôtres, et sont aussi importantes que les nôtres.
Mon devoir est simplement de dire ce que je crois vrai. Je suis très reconnaissante à ceux et celles qui accueillent mon message d’amour et le portent plus loin ».