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Quand la France se brûle les doigts dans le brasier syrien.Enquête sur les nouvelles filières terroristes en Syrie et en Europe


Comment sortir du bourbier syrien ? C’est la question qui tracasse, deux ans après le déclenchement de la crise syrienne, non seulement les décideurs politiques en Occident, mais aussi les services de sécurité de renseignement européens et américains qui sont aujourd’hui dans le noir total.

Terroristes islamistes en Syrie brandissant le drapeau d’Al-Qaïda

 À l’euphorie des premiers mois, quand tous les décideurs occidentaux, sans doute aveuglés par certains analystes trop pressés d’en finir avec le chef d’État syrien et ne connaissant rien à l’exception syrienne, ont succédé le doute et la confusion.

 La question qui se pose aujourd’hui à ces stratèges en herbe, auto-intoxiqués par les précédents tunisien, libyen, yéménite et égyptien, n’est plus de savoir quand le régime de Bachar al-Assad va tomber, mais comment sortir indemne de ce bourbier. Car entre-temps, les services de renseignement, particulièrement ceux en charge de la lutte anti-terroriste, avaient tiré la sonnette d’alarme et s’étaient opposés, parfois ouvertement, à la politique myope et suicidaire que certains néoconservateurs occidentaux attardés voulaient appliquer à la Syrie, avec le soutien médiatique et financier des monarchies du Golfe, de la Jordanie, de la Turquie.

 Ce constat désabusé a été dressé récemment par un diplomate français, cité en off par le quotidien Le Monde (édition du dimanche 31 mars – lundi 1er avril 2013) à propos de la politique en zigzag poursuivie par François Hollande à propos de la Syrie depuis son accession à la présidence… Pour ce diplomate, c’est « l’incertitude », voire « la confusion qui règne au sommet de l’État sur cette question. » Il commentait ainsi le renoncement de la France à armer l’opposition syrienne après avoir réclamé à cor et à cri la levée de l’embargo européen sur les livraisons d’armes à la Syrie, régime et opposition confondus, embargo instauré, faut-il le rappeler par Paris et Londres.

 Les Européens, conduits par la France et le Royaume-Uni, avaient également entraîné les autres membres de l’Union européenne à imposer un train de sanctions économiques, financières et diplomatiques contre, disent-ils, le régime syrien, mais qui, en réalité, touchait de plein fouet les catégories les plus fragiles de la société. C’est la même logique meurtrière qui avait conduit ces mêmes pays à imposer un embargo meurtrier contre l’Irak en 1991 causant la mort d’un million et demi d’Irakiens.

 Parmi ces sanctions notons celles qui visent personnellement non seulement toute la nomenklatura politique et économique du régime, mais aussi les chefs du renseignement anti-terroriste, ceux-là même avec qui ils avaient tissé, dans le passé, les meilleures relations dans la lutte commune contre les groupes terroristes et les réseaux mafieux. En visant les chefs du renseignement syrien extérieur chargé de traquer la nébuleuse d’Al-Qaïda et des réseaux dormants dhjiadistes, non seulement en Syrie, mais aussi en Europe et dans le Maghreb, la France s’est tiré une balle dans les pieds.

 Le diplomate en question cité par Le Monde a reconnu cette faute à demi-mot : « Depuis que nous avons fermé l’ambassade à Damas, avoue-t-il, notre appréhension des réalités du terrain a beaucoup diminué. Plus personne ne peut assurer que ce qu’il dit est fondé. Les trois principaux acteurs de notre diplomatie – la défense, les affaires étrangères et la présidence – n’ont pas de vision commune. De là vient l’impression de flottement. »

 Nombreux sont ceux qui dans la communauté du renseignement français, qui ont une certaine idée de la politique étrangère de la France, avaient vertement critiqué l’aveuglement des politiciens français, d’abord sous Sarkozy et aujourd’hui sous Hollande. Beaucoup, surtout parmi les anciens directeurs du renseignement, s’étaient exprimé publiquement comme c’est le cas d’Yves Bonnet ou d’Alain Chouet. D’autres, encore en fonction, partagent parfaitement la position de leurs aînés, mais ne se prononcent pas publiquement, droit de réserve oblige. Cela n’a pas empêché l’indocile juge anti-terroriste français Marc Trevidic de se soulever contre le cynisme des responsables occidentaux.

 Dans un entretien avec le JDD [1], il reconnaît que « la situation est trop confuse en Syrie. En plus, l’Occident est contre le régime en place (…) Le souci, et c’est ce que l’on voit actuellement en Syrie, est que ces élans spontanés [des dhjiadistes étrangers], sans réseau, sont tôt ou tard pris en charge par des groupes proches d’Al-Qaïda. Le terrorisme est une notion malléable, très liée à la géopolitique, aux alliances. Ces situations sont confuses, compliquées, voire hypocrites : quand ces gens-là nous servent, on ferme les yeux. Ça ne veut pas dire qu’ils ne sont pas dangereux, mais qu’ils sont dans le bon camp. Pour l’instant ».

 Ce sont sans doute les positions de ces personnalités pragmatiques, bien informées et courageuses, qui font passer l’intérêt de l’État avant les intérêts des différents lobbies médiatiques et politiciens, qui ont pesé dans le flottement de la politique française et empêché la fuite en avant suicidaire de cette politique. Ce n’est pas encore gagné, mais le dernier revirement rocambolesque de François Hollande sur la livraison des armes sophistiquées aux groupes armés syriens est un pas dans la bonne direction.

 Il y a quelques mois, le site français www.afrique-asie.fr, dans un article bien informé intitulé : « Quand la communauté du renseignement se rebelle contre la stratégie suicidaire de la France en Syrie » [2], avait consacré un article aux relations sécuritaires entre la France et la Syrie où il affirme que ces relations sont aujourd’hui « au point mort ». Le même article soulignait déjà « le mécontentement des hauts gradés de la DGSE à propos de la politique menée par leur pays à l’égard de la Syrie. Une politique qui leur a coûté cher en matière de collaboration antiterroriste ».

 Or devant la montée en puissance du péril terroriste, particulièrement après l’engagement militaire de la France dans le Sahel, et la prolifération des groupes dhjiadistes en Libye et en Tunisie, mais aussi en Europe, certains anciens agents des services français, sans doute avec l’accord de leur hiérarchie, avaient tenté de renouer le fil de la collaboration antiterroriste entre les deux pays. Selon plusieurs sites et médias arabes, Paris aurait même demandé à la Jordanie d’intercéder en sa faveur auprès de Damas pour que cette coopération reprenne d’une façon informelle. Cette demande est intervenue après que les services syriens avaient déjoué une tentative d’assassinat contre le chef de l’État syrien, commanditée par les services secrets français et turcs.

 L’agence de presse Asia News [3], reprise par de très nombreux médias de la région, était le premier média en ligne à avoir relaté en détail cet attentat manqué. En Turquie, les médias de l’opposition avaient largement commenté la nouvelle, évoquant un scandale et sommant le Premier ministre islamiste Erdogan à s’expliquer. Les médias français ont gardé jusqu’ici un black-out total sur cette affaire d’État. D’autant plus que cette révélation intervenait peu après le refus de Damas de répondre favorablement à la demande française, par Jordaniens interposés, de reprendre la coopération sécuritaire.

 Le refus syrien à l’offre française de coopération est compréhensif. Il s’explique sans doute par les incontestables succès que les services anti-terroristes de Damas venaient d’enregistrer sur le terrain. Ils avaient en effet donné un coup de pied dans la fourmilière dhjiadiste qui s’est conclu par une série de coups de filets contre les réseaux terroristes proches d’Al-Qaïda, qui projetaient de perpétrer des dizaines d’attentats spectaculaires, dont des attentats à la voiture piégée. À l’issue de ces coups de filet, ils avaient recueilli de précieuses informations sur les cellules dormantes, non seulement en Syrie, mais également en Jordanie. Sitôt transmises à leurs collègues jordaniens, ces informations leur ont permis de déjouer une série d’attentats similaires dans le royaume hachémite.

 On comprend mieux pourquoi la Jordanie avait soudainement fermé hermétiquement ses frontières avec la Syrie et avait interdit aux groupes dhjiadistes de les franchir. On a même assisté depuis à un revirement spectaculaire du Roi Abdallah II qui a réalisé qu’après la chute programmée du régime syrien par l’action conjuguée des Frères musulmans et des groupes salafistes radicaux, il serait le second sur la liste. D’où sa colère soudaine contre le nouveau « croissant sunnite » dirigé par la Turquie, l’Égypte et le Qatar, trois pays piliers de la Confrérie des Frères musulmans. Venant d’un roi proche des services britanniques, américains et israéliens, et qui avait le premier parlé d’un « croissant chiite », il y a quelques années, le retournement, il faut le reconnaître, est colossal ! Ce changement d’un roi girouette est plus dû à un réflexe d’auto-défense tactique qu’à un véritable tournant stratégique.

 C’est cette nouvelle donne qui a sans doute refroidi l’ardeur anti-syrienne des Jordaniens, et qui a poussé certaines sources proches des services secrets de Sa Majesté hachémite, à se confier, en off à l’agence arabophone en ligne asianewslb.com. « Nous avons soumis aux Syriens tous les dossiers concernant les enquêtes sur les cellules terroristes qui projetaient de commettre des attentats à la voiture piégée, affirme cette source sécuritaire jordanienne. Ces enquêtes ont mis en évidence que toutes ces cellules terroristes actives ou dormantes qui opèrent en Syrie et en Jordanie, voire en France sont dirigées par un commandement central décloisonné représenté par un personnage central dit “le facilitateur”. C’est lui qui dirige les cellules sur le terrain sans que les membres de ces cellules le connaissent. Or ce personnage clé est tombé entre les mains des services syriens qui ont pu remonter, aveux et documents à l’appui, toute la filière dont toutes les actions s’étendent de la Syrie jusqu’en Europe en passant par la Jordanie et le Liban. »

 Toujours selon les confidences recueillies par Asia News, « grâce aux renseignements fournis par Damas, nous avons pu identifier des individus qui étaient en contact avec le facilitateur. C’est après cette arrestation que les services français ont voulu renouer les contacts avec Damas qui a refusé net. Et pour cause : l’officier supérieur en charge de cette affaire n’est d’autre que le colonel Hafez Makhlouf qui fait partie d’un groupe d’officiers syriens dont les noms figurent sur les listes des sanctions française et européenne. »

 Pour rappel, l’enquête publiée par le site www.afrique-asie.fr ci haut mentionnée faisait état du mécontentement des hauts gradés de la DGSE à propos de la politique menée par leur pays à l’égard de la Syrie. Une politique qui leur a coûté cher en matière de collaboration antiterroriste. « Les syriens, écrit cette enquête, ont sauvé la vie de centaines de citoyens français grâce à leur collaboration avec leurs homologues français et occidentaux en matière de lutte antiterroriste et de lutte contre le crime organisé (notamment la mafia des contrefaçons des médicaments). »

 La politique insensée, résolument anti-syrienne, entreprise par l’ancien président Nicolas Sakozy et poursuivie avec hargne et dogmatisme par son successeur socialiste François Hollande, notamment en matière de soutien à une opposition disparate et conduite sur le terrain par des groupes terroristes, dont le seul objectif est le renversement du régime séculier du Baas et son remplacement par un « émirat wahhabite » ou un régime islamiste, a poussé Damas, soulignent hauts gradés de la communauté du renseignement français, « à geler toute coopération avec nos services, au grand dam de la sécurité de nos citoyens. »

 Le même article rappelait encore les lettres de remerciement rédigées et envoyées par les officiers français à leurs homologues syriens pour avoir aidé au démantèlement de nombreux réseaux mafieux et/ou terroristes et à déjouer de nombreuses tentatives d’attentats. En plus de son soutien aux terroristes en Syrie, l’ingratitude de Paris l’a mené à la mise sur liste noire européenne de la plupart de ces officiers dont l’un des plus connus, le colonel Hafez Makhlouf, dont le nom, avant de figurer sur la liste noire, trônait à l’entête des lettres de remerciement et de gratitude adressées par ses homologues français.

 Bassam Tayyarah, le journaliste libanais résidant à Paris partage, dans son site arabophone d’information en ligne http://www.akhbarboom.com/, la même analyse que celle des milieux du renseignement français. « Si vous avez aimé Claude Guéant (ancien ministre de l’Intérieur sous Sarkozy), vous allez adorer Manuel Valls (l’actuel détenteur du poste) », écrit-il. Il fait ainsi référence à la politique, en matière de lutte antiterroriste, de l’actuel ministre de l’Intérieur qui emboîte le pas à son prédécesseur de droite. Pour tous les deux, la lutte antiterroriste représente « une priorité absolue ». Particulièrement depuis le début de la guerre contre le Mali, et les menaces proférées par les islamistes contre ceux qu’ils qualifient de « nouveaux croisés français. »

 Claude Guéant entretenait d’excellentes relations avec les services de renseignements du Moyen-Orient, quand il n’était encore que l’homme d’ombre de Sarkozy, avant même de devenir son ministre de l’Intérieur. L’une de ses relations, et pas des moindres, était les services de sécurité syriens réputés comme les meilleurs d’après un proche de Guéant.

 La France a beaucoup profité de sa collaboration sécuritaire avec la Syrie, dont l’aide était précieuse dans des opérations telles que le démantèlement de réseaux terroristes ou la mise en échec d’attentats contre des intérêts français ou même contre le métro parisien. Toujours selon Tayyarah, les services de renseignement syriens tenaient leurs homologues français au courant des mouvements des dhjiadistes français qui traversaient ses frontières pour rejoindre l’Irak.

 Celle collaboration syrienne était tellement appréciée qu’elle a contribué, à l’époque, à la volonté d’ouverture de Sarkozy envers Damas. Mais les choses ont changé depuis deux ans, c’est-à-dire depuis le début de la « révolution » syrienne car la France a choisi d’être le fer de lance dans le soutien de l’opposition armée ce qui a logiquement conduit à la rupture de tous les ponts entre les deux pays. Le bureau annexe de la sécurité et de la lutte antiterroriste, qui coordonnait la collaboration, a été transféré de Damas à Amman.

 Face à la montée des périls terroristes, une source proche des services français se montre pourtant optimiste. « Il ne faut pas perdre espoir, confie-t-elle, car c’est maintenant de l’intérêt des deux parties d’arrêter la casse et de renouer avec la coopération sécuritaire bilatérale, à condition toutefois que Paris se fasse à l’idée que la guerre secrète qu’elle mène contre Damas ne mène nulle part et qu’elle est perdue d’avance. » En attendant cet hypothétique retour à la raison et au pragmatisme, le régime syrien ne baisse pas les bras et continue à mener une traque implacable contre les réseaux terroristes et dhjiadistes alimentés de l’extérieur.

 Selon un observateur libanais cité par le site bien informé Arabi Press, « Damas sait pertinemment qu’un nombre non négligeable de forces spéciales françaises entraînent l’armée syrienne libre. La France leur facilite l’approvisionnement en armes au marché noir. Les services syriens sont parfaitement au courant de la présence militaire française, britannique et américaine qui opère à travers les frontières avec le Liban, la Jordanie et la Turquie. Cette présence n’est pas encore de nature combattante. Elle se situe encore au stade de l’entraînement, de la gestion des centres de commandement arrière et la fourniture d’armes et de matériels de communication. Sans parler de son rôle dans la surveillance des groupes dhjiadistes et des armes qu’ils peuvent se procurer ».

 Ce sont sans doute ces agents français qui opèrent à ces frontières de la Syrie qui avaient alerté le chef de l’État et l’avaient convaincu de renoncer à fournir des armes sophistiquées à l’opposition.

 Est-ce le début d’une révision de la politique offensive française dramatique vis-à-vis de la Syrie ? Dans ce cas, la France aura de nouveau besoin de la coopération sécuritaire avec Damas en vue d’arrêter le flux ininterrompu de dhjiadistes étrangers et l’arrêt des financements à ces filières provenant des pays du Golfe. On n’en est pas encore là. Mais le spectre du retour vers l’Europe des dhjiadistes qui ont combattu (et combattent toujours) en Syrie, fait trembler ces capitales et pousse Paris à un retournement spectaculaire, dont elle est coutumière.

 Henri Sylvain

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