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SAS : complots contre Bachar al-Assad


Dimanche 22 juillet 2012

Par Gilles Munier (recension de livre : Le Chemin de Damas, par Gérard de Villiers)

On aime ou on n’aime pas les romans d’espionnage de Gérard de Villiers, père de l’impressionnante série des SAS – acronyme de Son Altesse Sérénissime – vendus à plus de 200 000 exemplaires, rien qu’en version française (1). Leur impact sur l’opinion, bonne ou mauvaise, est loin d’être négligeable.

Le succès de l’auteur – défenseur de l’Occident et pourfendeur d’islamistes – ne tient pas seulement à ses intrigues – âmes sensibles et prudes s’abstenir ! – mais au sérieux des enquêtes qu’il mène préalablement sur le terrain. On a vu, par exemple, Gérard de Villiers sous les bombes à Sarajevo à la recherche d’impressions, plutôt que d’informations et, à Benghazi … en fauteuil roulant, s’entretenant avec des towars (révolutionnaires anti-Kadhafi).

Perpétuer le régime alaouite

Avant d’écrire « Le chemin de Damas », dernier SAS (2), l’auteur est allé rafraîchir sa documentation en Méditerranée orientale. Pour faire plus vrai, il donne à ses personnages, les noms de dirigeants syriens : Ghazi Canaan(Alaouite, général, ministre de l’Intérieur qui s’est suicidé ou a été exécuté en 2005), Maher al-Assad (Alaouite, général, frère du président, commandant de la garde présidentielle et de la 4ème division blindée, majoritairement alaouite), Assef Chawcat (Alaouite, beau-frère du président Assad, ancien chef du renseignement militaire, vice-ministre de la Défense), Mohammed Makhlouf (Alaouite, général, cousin du président Assad, homme d’affaires richissime), Ali Mamlouk (Sunnite, général, chef de la Sécurité d’Etat et des services de renseignement), Ali Douba(Alaouite,général, ancien chef du renseignement militaire sous Hafez al-Assad, impliqué dans le massacre de Hama). En Syrie, les intéressés encore vivants n’ont certainement pas apprécié ce genre de publicité.

La dernière aventure de Malko Linge, héros de la série (3), commence à Chypre, « centre opérationnel de la CIA pour toute la région ». Il y apprend que les Israéliens – « tétanisés de se retrouver en face des Frères Musulmans syriens » – veulent « perpétuer le régime alaouite ». « Malko savait qu’Israël s’accommodait parfaitement de la domination alaouite à Damas. Certes, en parole, la Syrie vomissait Israël, mais dans la pratique il n’y avait jamais d’incidents de frontière et, à part quelques bavures sans gravité, tout se passait bien entre les deux pays. Israël considérait Bachar al-Assad comme un partenaire peu sympathique, mais fiable, qui tenait son pays d’une main de fer… ».

Une guerre contre l’Iran étant possible, Américains et Israéliens cherchent à provoquer «un coup d’Etat intérieur qui permette de se débarrasser de Bachar al-Assad, pour que son successeur mette un peu d’eau dans son vin, quitte à s’allier avec l’opposition ». Leur scénario s’inspire du modèle égyptien où l’armée s’est débarrassée de « Moubarak qui ne servait plus à rien », et lui a mis sur le dos tout ce qui n’allait pas ! Restait à trouver un pion au sommet de l’Etat, étant entendu que « tous ceux qui pourraient faire quelque chose sont des Alaouites, fidèles par obligation à Bachar al-Assad, ou à quelques Sunnites qui se sont goinfrés grâce au régime ».

Calife à la place du calife

Le but de la CIA est simple: « dégager » Assad. Malko Linge doit trouver l’homme qui s’en chargerait parmi les proches du président. Il n’entrevoit qu’une solution: manipuler un des membres du « Comité militaire baasiste ». S’enchaînent ensuite des scènes d’action, entrecoupées de parties de jambes en l’air – qui seraient classées X au cinéma – et de séances de tortures poussées permettant à Gérard de Villiers de rappeler que la CIA a sous-traité en Syrie «pas mal d’interrogatoires de djihadistes ».

Le général Mohammed Makhlouf, frère de la veuve de Hafez al-Assad, ferait l’affaire, à condition de lui présenter le coup d’Etat comme une opération de sauvetage du « système alaouite (4). Pour cela, dit Malko, il va lui falloir neutraliser Assef Chawcat, marié à la sœur de Bachar al-Assad, susceptible de démasquer le comploteur (5). Sachant que Maher al-Assad –frère du président –  déteste son cousin, Malko va faire croire que ce dernier veut s’emparer du pouvoir, devenir calife à la place du calife. Alors, entre en scène Ali Mamlouk qui chapeaute l’ensemble des services de renseignement. Le complot est éventé. Makhlouf a droit à une mort naturelle par empoisonnement. Tous les témoins de l’affaire sont éliminés.

Le deuxième tome du « Chemin de Damas »raconte le plan B proposé par Tamir Pardo, nom de l’actuel chef du Mossad. Il s’agit cette fois d’assassiner, pour commencer, le général Ali Douba, devenu conseiller spécial de Bachar al-Assad (6), pour introduire un « traître »,manipulé par les Israéliens, au sein du « Comité militaire baasiste »… Je laisse les éventuels lecteurs découvrir la fin inattendue de l’ouvrage.

L’appareil sécuritaire baasiste,

corrompu, est infiltré à haut niveau

Coup de pub gratuit pour Gérard de Villiers, son roman est paru après qu’un porte-parole desBrigades des Sahaba (Brigades des Compagnons du Prophète) ait déclaré, le 23 mai dernier, avoir empoisonné six hauts dirigeants : Assef Chawcat, Mohammad al-Chaar (ministre de l’Intérieur) Daoud Rajha(ministre de la Défense), Hicham Bekhtiar (chef de la Sécurité nationale), Hassan Turkméni(adjoint au vice-président syrien) et Mohammed Saïd Bakhtian (adjoint de Bachar al-Assad au secrétariat général du parti Baas). Le livreur avait pris la fuite. Le nom de Chawcat ayant disparu des médias syriens, le bruit couru qu’il était hospitalisé ou mort. Que s’est-il réellement passé ? En tous cas, ils sont vite réapparus en bonne santé, mais la même organisation a revendiqué, le 18 juillet dernier, l’attentat qui les visait. Du travail de professionnels syriens, épaulés par des services secrets étrangers… Cette fois, Chawcat, Rajha, Turkméni et Bekhtiar ont été tués. La réussite de cette opération prouve, comme l’écrit à sa façon Gérard de Villiers, que l’appareil sécuritaire baasiste, corrompu, est infiltré à haut niveau par la CIA et le Mossad. Voire par la DCRI et la DGSE…

Le dernier épisode de SAS montre aussi que les déclarations d’Alain Juppé et de Laurent Fabius sur l’instauration d’un régime démocratique à Damas ne sont peut-être pas à prendre au premier degré. Les Frères Musulmans feraient bien de se méfier. Gérard de Villiers excelle dans les intrigues tortueuses. Nul doute qu’il a tiré profit de ce que lui ont dit ses amis diplomates et des services de renseignement, parmi lesquels, probablement, le général en retraite Philippe Rondot, à qui rien de ce qui se passe en Syrie n’est étranger.

(1) Gérard de Villiers a débuté dans le journalisme à Rivarol, France-Dimanche etParis-Presse. Il est, depuis peu, un des collaborateurs du site Internet Atlantico, connu pour avoir sorti le scoop de l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn par le FBI.

(2) « Le chemin de Damas », paru en mai 2012, est le 192ème épisode de la série SAS. Le premier est sorti en 1965.

(3) Le prince autrichien Malko Linge, héros de la série des SAS, est présenté comme un contractuel travaillant pour la CIA par goût du risque… et pour couvrir les frais de réparation de son château.

(4) Mohammed Makhlouf, Alaouite, général affairiste, oncle maternel de Bachar al-Assad. Retraité, il dirigerait encore la « Section Palestine » des Renseignements syriens, le service qui aurait enlevé l’an dernier, au Liban, Chebli al-Ayssami, membre historique du Baas et ancien vice-Président de la République, opposé à la politique de Bachar al-Assad.

(5) Assef Chawkat, 62 ans, mort dans l’attentat du 18 juillet était un Alaouite de la région de Wadi Khaled. Il était le beau-frère de Bachar al-Assad. Ancien patron des services de renseignements militaires, il avait été rétrogradé en 2008 pour n’avoir pas su empêcher le Mossad d’assassiner Imad Mughniyeh, chef militaire du Hezbollah. En 2010 Bachar al-Assad l’avait nommé vice-chef d’Etat major de l’armée, puis vice-ministre de la Défense en septembre 2011. En mai dernier, l’opposition armée avait annoncé son empoisonnement au mercure par un employé d’une entreprise de livraison de nourriture à domicile, membre de l’Armée de libérationsyrienne (ASL). Assef Chawkat était très anti-irakien sous Saddam. On le disait pro-occidental !

(6) Ali Douba, Alaouite né en 1933, a été chef des services de renseignements militaires sous Hafez al-Assad. C’est un des principaux ordonnateurs du massacre de Hama. Forcé de prendre sa retraite en février 2000, il a été rappelé récemment par Bachar al-Assad qui en a fait son conseiller spécial.

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