Syrie : « A Genève, l’opposition a tout perdu »
février 2, 2014
Syrie : « A Genève, l’opposition a tout perdu »
Par RFI / Frédéric Pichon
dimanche 2 février 2014, par Comité Valmy
Syrie : « A Genève, l’opposition a tout perdu »
Lakhdar Brahimi, émissaire de l’ONU pour la Syrie, le 24 janvier à Genève. REUTERS/Jamal Saidi
Par RFI
Retour sur les discussions de Genève où pendant dix jours des représentants du régime syrien et de l’opposition syrienne se sont réunis pour trouver une solution au conflit en Syrie qui dure depuis maintenant trois ans, avec Frédéric Pichon, chercheur associé à l’université de Tours et professeur de géopolitique en classe préparatoire.
RFI : Les discussions ont commencé avec l’idée qu’il y aurait peut-être un accord sur une transition politique. Il y avait peu d’espoir, mais dès les premières heures on a très vite compris que ce ne serait pas possible du tout. Ensuite, on a pensé que les discussions permettraient d’aboutir sur des questions de trêve, d’accès humanitaire, mais même là, pas de résultat tangible. A quoi est-ce que ces dix jours de discussions ont servi ?
Frédéric Pichon : Effectivement comme vous l’avez dit et rappelé très justement, il n’est rien sorti comme c’était prévisible, du point de vue politique, c’est-à-dire du point de vue de l’idée d’une transition politique. On voit mal comment le régime serait allé à Genève pour remettre le pouvoir, il l’avait d’ailleurs à l’avance annoncé que ce ne serait jamais le cas.
Du point de vue des avancées humanitaires, effectivement ça a été assez timide, même s’il y a eu des accords de principe. Mais effectivement rien de concret sur le terrain. Là, ça prouve la difficulté, sans doute, pour la diplomatie russe de faire pression sur Bachar el-Assad.
Mais plus globalement je crois qu’au-delà du théâtre effectivement, la comédie aussi, de ces grandes séances de négociation avec Lakhdar Brahimi qui fait l’aller-retour entre les pièces où sont les négociateurs, je crois que plus généralement ça consacre une forme quand même de supériorité, en termes de reconnaissance diplomatique de la part du régime syrien.
Comment cela ?
Avoir accepté, pour l’opposition syrienne, de discuter avec le gouvernement, c’est reconnaître précisément la légitimité d’une certaine manière de ce gouvernement. Et l’opposition syrienne de ce point-de-vue-là a tout perdu. Elle avait beaucoup à perdre en allant à Genève, elle est très divisée sur la question et je crois que ça évacue totalement sa capacité à négocier.
Parce que plus fondamentalement, je crois que la vraie réalité c’est qu’on est dans un rapport de force et un rapport de force militaire. Et l’opposition syrienne n’est pas du tout articulée avec la rébellion sur le terrain. Par conséquent elle n’a rien à négocier, elle n’a rien à offrir. Elle n’a pas de position de force, si ce n’est la légitimité qu’elle a, du fait de la reconnaissance internationale d’un certain nombre de pays.
Est-ce que l’opposition aurait mieux fait de ne pas aller du coup, en Suisse, pour discuter ?
Je crois que de toute façon elle avait très bien compris que c’était un suicide politique que d’y aller. Et d’ailleurs à sa fondation en novembre 2012, l’article 3 de sa Constitution précisait qu’en aucun cas elle ne négocierait avec le régime syrien. Donc je pense que c’est les Etats-Unis qui l’ont beaucoup poussé à cela. Je crois qu’ils n’avaient pas vraiment le choix. C’était aussi une manière de faire pression sur elle. Les Etats-Unis l’ont très clairement dit ; on coupe tous les fonds qu’on vous accorde et le peu déjà, de soutien qu’on vous donne, si vous n’y allez pas. Maintenant la question, elle est sécuritaire et tout le monde l’a bien compris. Et tout le monde pouvait bien le comprendre avant.
Mais justement on voit que les Américains, les Occidentaux, ont exercé une grande pression sur cette opposition pour qu’elle se rende à Genève. Et finalement le thème qui a préoccupé tout le monde et d’abord peut-être le régime syrien, c’est la question de la lutte contre le terrorisme. C’est vraiment un thème qui appartient au pouvoir de Bachar el-Assad actuellement !
Oui, il a su démontrer… Et l’opposition syrienne aussi, par son incompétence – il faut bien le dire – a su mettre le curseur sur cette question unique qui n’est pas la question politique, mais qui est bien la question du danger que commence à faire courir cette guerre civile qui dure depuis trois ans, pour la région, voire également pour d’anciens alliés et en tout cas les puissances occidentales.
Ce n’est pas anodin qu’il y ait cette sonnette d’alarme qui soit tirée sur un phénomène qui est réel. Je crois que les services de renseignements n’ont jamais vu une telle précipitation à aller mener le jihad en Syrie. On a vu le cas ces derniers jours avec ces jeunes, ces mineurs français qui partent en Syrie.
Donc je crois qu’effectivement ce que voulait Assad, c’est-à-dire mettre la question sur le terrain de la sécurité, la question du terrorisme, eh bien tout le monde s’est rallié à ce point de vue. Pas pour faire plaisir à Assad. C’est qu’effectivement il y a très probablement une zone grise beaucoup plus importante qu’elle n’avait pu l’être en Afghanistan, au moment où les Etats-Unis sont arrivés en 2001. On parle de 80 000 à 100 000 combattants jihadistes en Syrie, ce qui est gigantesque. On n’a jamais vu ça.
Et maintenant qu’est-ce qui va se passer ? Parce qu’on dit qu’en principe les deux délégations doivent se retrouver le 10 février, mais pourquoi alors ?
Chacun des négociateurs va retourner vers son parrain, donc Assad ou les Russes vont discuter ensemble, les Américains vont discuter avec l’opposition syrienne. Et il va falloir aussi inclure les Saoudiens dans l’adéquation, qui freinent des quatre fers, qui ont l’impression à juste titre, d’être complètement lâchés par la position des Etats-Unis.
Et puis on va recommencer ce théâtre d’ombres, avec encore une fois à mon avis, toujours les questions sécuritaires qui seront mises sur le devant et peut-être quelques avancées du point de vue humanitaire. Il ne faut pas non plus négliger le fait que beaucoup de ce qui avance en ce moment se fait hors du cadre de Genève, ça se fait sur le terrain. Il y a des trêves, il y a même des ralliements de certaines brigades de l’armée syrienne [ALS, Armée syrienne libre, NDLR] à l’armée gouvernementale, et un certain nombre de choses qui n’appartiennent pas aux négociateurs et qui sont vraiment le fait des rapports de forces militaires sur le terrain.
samedi 01 février 2014