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Syrie : et c’est pour ces gens-là ?


Le 6 septembre 2013

Dominique Jamet
Journaliste et écrivain.
Il a présidé la Bibliothèque de France et a publié plus d’une vingtaine de romans et d’essais

Boulevard Voltaire

A qui profite le crime ? C’est la question, classique, que se posent les policiers lorsqu’ils ne disposent pas d’aveux ou d’indices suffisants pour résoudre une enquête.

Alors que la rébellion s’essoufflait et que le camp gouvernemental marquait des points sur le terrain, l’intérêt du régime de Bachar el-Assad était-il de procéder à une attaque massive au gaz de combat qui, par sa nature même et par le nombre de ses victimes innocentes, ne pouvait que lui attirer la réprobation du monde entier, et pour commencer les foudres promises par le Jupiter tonnant de Washington en cas de franchissement de la fameuse « ligne rouge » ? La réponse est évidemment « non ».

Mais les rebelles, de leur côté, avaient-ils et la capacité et la moindre raison de bombarder une zone qu’ils tenaient et d’accumuler les morts parmi la population de cette zone ? Était-il d’ailleurs concevable de préparer et d’organiser une telle opération criminelle sans que, soit avant qu’elle devînt effective, soit après son déroulement, les langues se délient et que l’opposition soit mise en accusation, non seulement à l’extérieur mais par les Syriens eux-mêmes ? La réponse, là encore, est « non ».

On peut bien sûr supposer que le régime, au point où il en est, ait décidé d’utiliser les armes chimiques qu’il possède, quitte à braver le monde et à braquer son propre peuple. On peut aussi imaginer que le camp rebelle, où les fanatiques, les tordus et les cyniques ne manquent pas, ait machiavéliquement organisé toute l’affaire dans l’espoir, réalisé, qu’elle serait mise sur le dos du régime.

Les services spéciaux américains affirment cependant détenir les preuves, visuelles et auditives, de l’implication de l’armée et du commandement loyalistes, dans la perpétration du massacre. Mais nous savons, depuis la guerre d’Irak, ce qu’il faut penser de la parole des services spéciaux américains et de leurs porte-parole officiels. Les services secrets russes, quant à eux, prétendent qu’ils ont la preuve que les roquettes tirées sur la Ghouta étaient de provenance rebelle. Mais rien dans le passé ni dans le présent ne nous amène à prêter plus de crédit aux assertions des espions et des dirigeants russes qu’à celles de leurs homologues américains.

Cependant, nous ne pouvons ignorer que dans cette guerre des temps modernes, les deux camps sont placés, ni plus ni moins que des rats ou des cobayes de laboratoire, sous la surveillance constante des yeux, des oreilles, des caméras, des micros, des satellites et des drones de tous les pays technologiquement avancés. C’est sur cette base que, semble-t-il, l’on a pu identifier les mouvements des spécialistes syriens des armes chimiques et enregistrer les conversations de cadres syriens, militaires et politiques, qui constitueraient en effet un faisceau de présomptions accablant pour le régime.

À partir des éléments recueillis, le scénario que proposent les services de renseignement allemands est, il faut bien le dire, particulièrement séduisant. Ayant décidé, pour desserrer l’étau autour de sa capitale, et en représailles de la tentative d’assassinat à la voiture piégée perpétrée contre Bachar le 8 août dernier, de lancer une offensive d’envergure contre la Ghouta, l’armée syrienne aurait projeté d’appuyer cette offensive sur l’utilisation de gaz paralysants ou incapacitants, plus puissants que les lacrymogènes de nos CRS, mais non létaux, et la tragédie résulterait d’une erreur de dosage.

Ce drame justifie-t-il les torrents d’indignation vertueuse à sens unique qui déferlent dans les colonnes de nos journaux, du haut des tribunes parlementaires et du perron de l’Élysée ? Justifie-t-il que notre Président, qui cherche à faire oublier ses déconvenues intérieures par des succès extérieurs et à compenser sa réputation de mollesse par une renommée de guerrier, ait décidé de s’ingérer illégalement dans une guerre civile et cherche à entraîner dans la coalition qu’il appelle de ses vœux des alliés qui se dérobent résolument ? Les socialistes et le premier d’entre eux ont-ils déjà oublié qu’ils reprochaient avec raison au prédécesseur de François Hollande de ne réagir et de n’agir que dans l’irréflexion et l’impulsivité sous le coup de l’émotion du moment ?

Alors même que s’étend des deux côtés de l’Atlantique le refus d’une intervention aussi absurde que dangereuse, trop timide pour changer le cours de la guerre, mais assez intrusive pour étendre encore l’incendie qui ravage le Moyen-Orient, le New York Times fait circuler une vidéo dont l’authenticité est indiscutable et qui nous fait assister en direct (l’expression « en live » serait ici deux fois fautive, parce qu’importée des États-Unis et parce qu’il serait plus juste de parler d’« in dead ») à l’exécution sommaire, posée, réfléchie et argumentée, en présence et sous les ordres d’un commandant « rebelle », de sept soldats faits prisonniers par les valeureux combattants révolutionnaires. Cette violation flagrante du droit international, ce crime de guerre complaisamment étalé sous le soleil dévoile au monde entier le véritable visage d’une opposition qui s’est placée sous le double signe de la religion et de la mort, et préfigure ce que serait sa victoire.

Et c’est pour ces gens-là que François Hollande et Barack Obama ont pris parti, c’est pour ces assassins que deux démocraties occidentales prétendent nous faire prendre les armes !

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