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Syrie : il n’y a ni bons ni méchants


D’une guerre civile entre deux fractions du peuple syrien, on veut à tout prix, par une sorte de reductio ad simplissimum, faire la guerre d’un seul contre tous. Or cette lecture des événements ne résiste pas à l’analyse.

Le conflit qui ensanglante la Syrie depuis deux ans n’oppose pas les bons et les méchants. Dans cette effroyable guerre civile, aucun des protagonistes ne détient la palme de l’horreur. Même si son origine exacte demeure obscure, l’utilisation présumée de gaz asphyxiants est ignoble, et elle suscite une indignation légitime. Mais les attentats à la voiture piégée dans les rues de Damas et les exécutions sommaires de prisonniers alaouites, sur le plan moral, ne valent pas mieux.

La focalisation occidentale sur les armes de destruction massive, en outre, serait compréhensible si la condamnation de leur usage n’était pas sélective. Fermant les yeux lorsqu’Israël lâchait des bombes au phosphore sur Gaza, les puissances occidentales redécouvrent soudainement les vertus de conventions internationales dont elles ne s’encombraient guère en d’autres circonstances. Sans parler des grossières manipulations dont l’administration américaine est coutumière, cette partialité ôte toute crédibilité à la rhétorique punitive du tandem franco-américain.

Ce discours moralisant à sens unique vise à accréditer l’idée que la guerre oppose une dictature sanguinaire à un peuple massivement dressé contre elle. En diabolisant le régime syrien, voué à un châtiment exemplaire pour ses crimes abominables, il accorde une sorte d’onction morale à la rébellion armée. Mais c’est faire fi de la réalité d’un conflit qui ne se laisse pas interpréter en termes aussi manichéens. Il suffit à ce sujet de consulter le dernier bilan des victimes de la guerre fourni par l’Observatoire syrien des droits de l’homme.

Selon cet organisme peu suspect de sympathie pour le régime baasiste, la guerre civile a provoqué la mort de 40 146 civils, 21 850 combattants rebelles et 45 478 membres des forces pro-gouvernementales. Emanant de sources proches de l’opposition, ce bilan, s’il est exact, laisse songeur. Comment une guerre qu’on nous dépeint comme celle d’un tyran contre son peuple peut-elle se traduire par une telle hécatombe dans les forces gouvernementales ? S’agit-il vraiment de l’affrontement entre un despote génocidaire et une rébellion composée de pacifistes déçus, contraints malgré eux à l’action violente ?

D’une guerre civile entre deux fractions du peuple syrien, on veut à tout prix, par une sorte de réduction à ce qui est le plus simple, faire la guerre d’un seul contre tous. Or cette lecture des événements ne résiste pas à l’analyse. Alors que Ben Ali et Moubarak ont quitté la scène, Bachar-Al-Assad tient toujours. Le scénario de l’effondrement d’un régime aux abois, miné de l’intérieur par la corruption et le népotisme, ne s’est pas réalisé. Pourtant, la présidence syrienne subit une pression intérieure et extérieure inouïe. Aucun régime, durant les révolutions arabes, n’a fait face à une coalition aussi impressionnante de forces hostiles.

Milliards de dollars versés à la rébellion par les pétromonarchies, diatribes haineuses des prédicateurs saoudiens, adoubement du principal groupe armé par Al-Qaida, levée de l’embargo européen sur les livraisons d’armes, camps d’entrainement turcs et jordaniens, coopération des services secrets occidentaux et israéliens, pressions diplomatiques, sanctions économiques et menaces militaires occidentales : cette extraordinaire débauche de moyens n’a pu, pour l’instant, faire rendre l’âme au régime syrien.

Dire que cet échec est imputable à des facteurs externes (aide russe et iranienne, intervention du Hezbollah) n’est guère convaincant. L’explication est essentiellement interne. En réalité, une grande partie de la population syrienne redoute la prise du pouvoir par une opposition morcelée et phagocytée par Al-Qaida. Et seul un soutien populaire, même s’il est peu enthousiaste, peut expliquer la résistance du régime à l’incroyable coalition intérieure et extérieure qui a juré sa perte.

De plus, l’attitude de l’opposition a fait le jeu du régime. En exigeant la destitution préalable de Bachar-Al-Assad, la coalition nationale syrienne a interdit toute issue négociée, sans doute parce que ce refus constituait son plus petit dénominateur commun. Ce faisant, elle a fourni au régime le motif idéal de son intransigeance : avec des gens qui exigent votre effacement, que reste-t-il à négocier ? Ravi de n’avoir pas à discuter avec des opposants qui ne le souhaitent pas non plus, le régime est dos au mur. Et il combat une rébellion armée qui ne lui laisse le choix qu’entre tuer et être tué.

A l’évidence, Damas porte une lourde responsabilité dans la genèse de l’affrontement actuel. Régime autoritaire, dont la légitimité idéologique s’est dissoute dans les travers d’un système clanique, il s’est montré incapable d’offrir une alternative au statu quo. De ce point de vue, la guerre civile est aussi le fruit de son immobilisme. Mais il serait naïf de croire, à l’inverse, que la rébellion était prête à participer à un processus politique : son idéologie sectaire, ses pratiques expéditives et ses dérives mafieuses démontrent le contraire.

La brutalité de la répression gouvernementale, en outre, ne doit pas faire oublier la longue tradition de guerre civile qui oppose en Syrie la mouvance islamiste et le régime baasiste. En fait, la guerre civile n’a pas commencé en 2011, mais le 16 juin 1979. Ce jour-là, des militants armés membres des Frères musulmans assassinèrent 83 élèves-officiers alaouites de l’école d’artillerie d’Alep. Ce massacre provoqua une répression impitoyable culminant à Hama, en 1982, lorsqu’une insurrection menée par une branche dissidente de la confrérie fut écrasée dans un bain de sang par l’armée régulière.

Or la propagande jihadiste diffusée par les officines saoudiennes ressuscite aujourd’hui le spectre de cet affrontement interconfessionnel. Le carnage antichiite provoqué par Al-Qaida dans l’Irak voisin vaut avertissement : ceux qui y ont massacré un millier de civils au cours du seul mois de juillet 2013 sont les mêmes que ceux qui posent des bombes à Damas. Fidèles à l’enseignement wahabite, ils exhalent leur haine des « hérésies » chiite et alaouite. Ils rêvent d’un ultime règlement de comptes dont leur version délirante du rigorisme sunnite ne peut que sortir vainqueur.

Dans ces conditions, une intervention militaire étrangère aurait pour seul effet d’alimenter le brasier. Prendre parti dans cet affrontement au nom de nobles principes est insensé, car aucune des forces en présence n’y détient de privilège moral. Non seulement cette intervention serait illégale (faute de mandat onusien), mais elle serait absurde, puisqu’elle rangerait les Etats belligérants au côté d’Al-Qaida. Enfin il y a fort à parier qu’elle ne provoque, une fois encore, le contraire du but recherché. Sauf si l’intention secrète des Etats-Unis, suivis de quelques supplétifs, était d’entretenir le chaos moyen-oriental.

http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/syrie-il-n-y-a-ni-bons-ni-mechants-140637__._,_.___

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