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Syrie : Les victimes de l’opposition armée ignorées


par Silvia Cattori

 

Selon les médias traditionnels, seules les forces du gouvernement el-Assad sont coupables d’exactions. Leur principale source d’« information » étant l’« Observatoire syrien des droits de l’homme » (OSDH), une ONG partisane financée par les Frères musulmans et qui sert ouvertement la propagande de l’opposition armée, comment se fier à eux ?

 

 

Le point de vue de la population, contrainte à faire profil bas et, dans les quartiers sous son contrôle, forcée à « collaborer » avec cette soi-disant « Armée syrienne libre » dont elle subit les violences, n’est jamais pris en compte. Ce qui revient à nier les souffrances que cette « armée libre » inflige à tout un peuple. En vérité une « armée » d’hommes fanatisés -comportant des mercenaires étrangers- qui terrorisent et enferment la Syrie dans la peur.

Comble d’ironie ! Ceux qui proposent une interprétation plus équilibrée des choses et cherchent à savoir ce qu’en pense la grande majorité des Syriens et, au moins, à écouter parfois ce que dit le gouvernement, sont immédiatement disqualifiés et taxés de « pro-Assad ». Or, il faut le dire et le répéter, le rejet d’une intervention occidentale – prétendument « humanitaire » – n’a rien à voir avec un « soutien à Bachar el-Assad ». Elle est simplement le rejet de la politique d’ingérence de l’Occident qui viole en permanence le principe de la souveraineté des États sur lequel est fondé l’ordre international construit après la deuxième guerre mondiale, en vue, précisément, d’assurer la paix.

Si les combattants de l’ASL n’avaient pas été présentés par les organisations humanitaires et par certains journalistes et autres égarés, comme des combattants luttant pour la « démocratie » et « la liberté », ce qui est une vaste tromperie, – en Libye il y a moins de liberté et plus de terreur qu’avant l’intervention de l’OTAN – ils n’auraient pas tenu longtemps.

Cette vision manichéenne et totalement biaisée de la crise syrienne est irresponsable. Cette complicité médiatique avec le camp de la rebellion est criminelle. Comme on l’a déjà vu en Libye, ces groupes armés que le peuple n’a pas choisis, financés et armés par les puissances occidentales et les potentats arabes du Golfe, conduisent à porter au pouvoir des gens qui n’ont que faire de la démocratie, des droits humains, de l’État de droit et du droit international.

Le devoir de tout organe de presse est de rechercher la vérité et non pas de la dévoyer. Le devoir d’un journaliste est de se situer du côté du plus faible, en empathie avec lui, et de tenter d’éviter de mettre de l’huile sur le feu en répandant la propagande des grandes puissances. Or, depuis la première guerre du Golfe contre l’Irak en 1990-91, et plus encore depuis le 11 septembre 2000, nous constatons que les journalistes s’alignent toujours du côté des pouvoirs qui s’attaquent à plus faibles qu’eux. Et dont les guerres dévastatrices ont détruit de nombreux pays et ont laissé des millions de morts derrière elles.

Depuis le début des troubles en Syrie, nous assistons au même schéma. Les journalistes occidentaux se sont tout de suite rangés du côté des opposants violents, des prétendus « révolutionnaires ». La voix des victimes, de ceux qui demandent des solutions politiques et refusent le renversement du gouvernement syrien par la force, n’a jamais été prise en compte.

Ce sont des forces extérieures qui ont inventé l’ASL et qui arment ses combattants. Il n’y a pas, comme le Belge Pierre Piccinin tend maintenant à le faire croire, quitte à déformer la réalité, des bons sunnites face à des vilains alaouites ; un gouvernement cruel d’un côté et des gentils « révolutionnaires » de l’autre [1]. Comme le dit justement Gérard Chaliand, « la déstabilisation du gouvernement el-Assad a été programmée par une coalition extérieure dont les parrains sont la France et le Qatar (…) [tout cela devant pousser] sunnites contre chiites, l’Iran, adversaire numéro un…l’objectif pour frapper l’Iran devant passer par l’affaiblissement de Bachar el-Assad » [2].

Et pour y parvenir tout le monde y va de ses mensonges et de ses appels à l’intervention étrangère, à des frappes aériennes, à l’établissement de couloirs dits « humanitaires ». D’Amnesty International à la commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Navi Pillay, du quotidien Le Monde à Libération, tout le monde renchérit et multiplie les mensonges devant conduire la Syrie à sa déstruction.

Les hommes et les femmes qui ont un reste d’humanité et de clairvoyance refusent ce manichéisme. Ils sont naturellement en quête d’informations sérieuses et souffrent, pas seulement en Syrie mais chez nous aussi, de savoir qu’on leur ment et que le peuple syrien paie ces mensonges de son sang et de ses larmes. Depuis des mois, malgré le découragement et la fatigue, nous nous efforçons de recueillir des témoignages de première main. Tout en sachant qu’avec la meilleure volonté du monde, face à l’hystérie anti-Bachar alimentée par les médias de l’establishment, les voix sincères et les remarquables écrits des nombreux journalistes honnêtes qui par le biais des nouveaux médias – et exceptionnellement, aussi dans la presse occidentale traditionnelle [3] – se répandent à travers le monde et touchent un large public, ne pourront pas sauver la Syrie, comme ils n’ont pas pu sauver la Libye, ni stopper aucun massacre israélien contre la population de Gaza.

Une fois lancée, la machinerie des ONG, de l’ONU, des médias traditionnels et des puissances occidentales dominantes au Conseil de sécurité, va presque toujours au bout de ses sinistres projets. La Russie et la Chine parviendront-elles cette fois à renverser la donne ?

Le 4 juillet, lassée d’entendre toutes les radios, toutes les télévisions répéter solennellement que « selon l’OSDH le régime… » était l’unique responsable de toutes les violences en Syrie, nous avons appelé un citoyen de Homs (*), pour entendre le point de vue d’une victime de cette coalition extérieure, « amie de la Syrie », qui soutient les bandes armées mettant ce pays à feu et à sang.

Nous lui avons encore une fois indiqué que ce que les médias occidentaux rapportent donne une image très différente de ce qu’il nous avait dit le 22 juin [4]. Nous lui avons demandé si c’était vrai par exemple que, le 27 juin, certains quartiers de Homs tenus par les rebelles ont été « pilonnés avec les hélicoptères et les chars du régime… » ; qu’il y aurait eu ce jour là « quatre bombardements par minute dans le quartier de Kousour » [5] ? Si c’était vrai que les habitants de Homs ne peuvent toujours pas sortir « à cause des bombardements de plus en plus intenses de l’armée régulière » ?

Voici ce qu’il nous a répondu :
« C’est très exagéré de parler de quatre explosions à la minute. Je n’ai pas vu d’hélicoptères intervenir à Homs. Cette semaine ça s’est un peu calmé. Mais la semaine passée les forces gouvernementales sont intervenues ; elles ont attaqué des positions rebelles. Le quartier Jourat al-Chayah a été en grande partie nettoyé [6] ; il leur reste encore à libérer les quartiers allant de l’extrémité de Bab Seeba, à Hamidiye, Bustan Diwan et Warché où il y a toujours de nombreuses familles retenues en otages. Les rebelles ont attaqué à plusieurs reprises les véhicules du Croissant rouge et du CICR les empêchant d’aller secourir les blessés et les malades.

Ces jours, il y a beaucoup d’hommes armés qui se rendent ; le gouvernement fait preuve de clémence [7]. Notre crainte est que ces hommes reprennent les armes une fois retournés chez eux. Ce sont des analphabètes. Durant les deux mois où ils m’ont tenu en otage dans leur appartement, je les entendais parler et se disputer. Une fois, un salafiste s’est même battu avec un autre homme car il refusait de prier derrière lui, le salafiste se considérant comme le chef et ne voulant pas prier derrière un non salafiste, ai-je compris. Imaginez leur niveau ! J’ai réussi à discuter avec les gardiens, en l’absence des chefs. Je leur ai demandé : « Est ce que c’est ça le Jihad (la conquête pour Dieu) ? » Certains m’ont dit qu’ils se sont trouvés obligés à s’enrôler car menacés de représailles sur leur familles, ou que c’est sous menace de mort qu’ils ont été contraints d’accepter ».

Il nous a alors rappelé que, le 28 juin à Hosn (dans la périphérie de Homs, où se trouve le « Crak des chevaliers » [8]), Mme Ahlam Ilad, une professeure du génie pétrochimique, a été assassinée chez elle ainsi que ses parents et trois enfants, parce qu’elle avait refusé de collaborer avec les hommes armés.

Au passage, nous avons demandé à notre interlocuteur pourquoi il qualifie d’« hommes armés » ou de « rebelles » les auteurs d’assassinats, de kidnappings… et ne mentionne jamais l’« Armée syrienne libre ». Sa réponse : « Parce que chez nous, entre Syriens, ce terme n’est pas utilisé ; nous les qualifions de gangs, d’hommes armés. Ils constituent un ramassis de gens comprenant des salafistes, des jihadistes etc. »

Au sujet des vidéos postées sur Youtube par les opposants dont des extraits continuent d’être montrés par les médias, il maintient ce qu’il nous avait déjà dit : « La fumée noire ce sont toujours des pneus que les rebelles brûlent et non pas, comme ils le disent, le résultat de bombardements de l’armée gouvernementale. Les tirs des forces de sécurité donnent une fumée différente, plus claire et avec du feu ».

Ce sont ces gangs, – qualifiés d’« Armée syrienne libre » et de « révolutionnaires » par une presse occidentale qui en fait l’incessante promotion – que les journalistes encensent. Ce sont encore ces gangs qui font exploser des maisons [9] et des gazoducs et paralysent le pays, qui assiègent les habitants et empêchent les autorités locales, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et le Croissant rouge syrien d’entrer dans les quartiers pour évacuer des civils et notamment les blessés. Ce sont ces gangs que le peuple syrien en sa majorité tient en horreur que le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, fervent ami de Bernard-Henri Lévy et d’Israël, appuie aujourd’hui avec zèle.

Quand le ministre russe des Affaires étrangères, Lavrov, suggère que « les analyses qualifiées et honnêtes des développements en Syrie et de leurs conséquences potentielles manquent cruellement », nous ne pouvons être plus d’accord.

Il faut être capables de garder une équidistance, de ne pas se laisser aveugler par la propagande des uns ou des autres. La guerre est quelque chose de trop grave. Le mieux qu’un journaliste puisse faire est d’éclairer le public de manière équilibrée sur les réels dangers qu’encourt une nation, un peuple entier, et de tenter de les sauver du pire en dévoilant les objectifs cachés des puissances étrangères.

Ce n’est pas à François Hollande ni à Amnesty International, ni à Bernard-Henri Lévy, ni à Hillary Clinton, de décider ce qui est bon ou pas pour le peuple syrien.

Silvia Cattori

(*) Propos concernant Homs recueillis le 04.07.2012 et traduits de l’arabe en français par Mme Rima ATASSI. Pour des raisons évidentes nous ne révélons pas le nom de notre témoin ; un cadre indépendant, âgé de 61 ans, qui réside à Homs.

 


[1] Les photographies de quartiers de Homs que M. Piccinin expose et dit avoir été détruits par « l’armée régulière » et non par l’ASL, cela reste à prouver. Tout comme ses folles affirmations, du genre : « Le conflit interne au pays (bien plus que les sanctions économiques, inefficaces, décrétées par la Communauté internationale) a entraîné une hausse du chômage qui atteint près de 60% de la population active. » [Voir : Griffes de fer à Damas ; relents de guerre civile à Beyrouth – Grotius international, 5 juillet 2012]

[2] Voir : « Gérard Chaliand dit quelques vérités sur la Syrie », par Silvia Cattori, 21 juin 2012.
http://www.silviacattori.net/article3350.html

[3] Voir par exemple :
- « Most Syrians back President Assad, but you’d never know from western media » [La plupart des Syriens soutiennent le Président Assad, mais vous ne l’apprendrez jamais des médias occidentaux], par Jonathan Steele, The Guardian, 17 janvier 2012.
http://www.silviacattori.net/article2717.html
- « « L’extermination » par les rebelles sunnites », par Rainer Hofmann, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 13 juin 2012.
http://www.silviacattori.net/article3340.html
- « Le massacre de Houla perpétré par la rébellion syrienne », par Rainer Hofmann, Frankfurter Allgemeine Zeitung, 7 juin 2012.
http://www.silviacattori.net/article3310.html
- « Massacre of al-Houla : In Syria, there is more than just one truth », par Alfred Hackensberger, Berliner Morgenpost, 23 juin 2012.
http://www.silviacattori.net/article3379.html
- En-dehors de la presse occidentale, les excellents journalistes de la chaîne d’information Russia Today, font contrepoids à la désinformation de nos journalistes embedded. Raison pour laquelle depuis 2011 c’est la chaîne la plus regardée sur les cinq principaux marchés aux États-Unis. Russia Today a battu France 24, Euronews UE, Deutsche Welle, Al Jazeera, etc.

[4] Voir : « Homs : tout ce qui est raconté est à l’envers », par Silvia Cattori, 24 juin 2012.
http://www.silviacattori.net/article3370.html

[5] Selon un opposant syrien basé à Paris, interrogé par Omar Ouaman / radio France Culture.

[6] Débarrassé des bandes armées -ndt.

[7] Pour ceux qui n’ont pas commis de crimes. Contre ceux qui mènent des actes terroristes, des lois sévères, sur le mode occidental, viennent d’être édictées – ndt.

[8] En arabe, « la citadelle de Hosn », objet ces temps-ci d’une intense manipulation médiatique – ndt.

[9] Voir : http://cort.as/2B_D
Cette vidéo a été filmée par les rebelles eux-mêmes. La caméra a été placée en face de l’immeuble où les rebelles font exploser un étage qui a été préalablement miné. Et ensuite ils ont diffusé la vidéo disant que ce sont les forces du gouvernement : « Dieu est grand, l’armée tire sur le quartier al-Qussour de la ville de Homs ». C’est ce genre de vidéo manipulée qui est repris par les rédactions depuis le début des troubles.

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