Syrie. « Moscou redoute qu’une intervention prolonge le chaos »
août 29, 2013
D’autres positions que les médias officiels ne commentent pas
mardi 27 août 2013
Depuis le début de la rébellion en Syrie, la Russie a été un allié indéfectible de Bachar el-Assad. Philippe Migault, directeur de recherches à l’IRIS, décrypte la position russe sur le dossier syrien.
Pourquoi les Russes soutiennent-ils Bachar el-Assad depuis le début de la rébellion ?
La Russie est un allié de longue date de Damas : elle soutient al-Assad, d’abord, pour une question de fidélité élémentaire. Il y a longtemps déjà, les deux pays ont conclu des contrats d’armement, notamment pour des hélicoptères et des missiles sol-air : Moscou continue d’honorer ces contrats. Enfin, la Syrie est un allié précieux au Moyen-Orient. Les Russes ont le sentiment que les Américains essaient d’avancer leurs pions, dans cette région, avec leurs alliés sunnites : Arabie saoudite, Qatar et Emirats arabes unis. Pour contrer cet axe américano-sunnite, Moscou parie sur un axe chiite élargi : Iran, Irak et Syrie.
Pourquoi Moscou craint-il une intervention armée ?
Les Russes redoutent que le chaos dans lequel est plongée la Syrie se prolonge et s’aggrave. Si intervention américaine il y a, elle ne réglera rien du tout : elle risque de faire traîner la crise en longueur, en rééquilibrant les forces.
Les Russes avaient reproché aux Occidentaux d’avoir outrepassé le mandat des Nations unies, lors de l’intervention en Libye en 2011. Sont-ils échaudés par ce précédent ?
Les Russes sont échaudés par toutes les violations du droit international, commises par les Américains depuis une quinzaine d’années. Ils refusent de subir le même scénario qu’en Libye : aux Nations unies, ils s’étaient abstenus sur la question de l’intervention. Ils s’opposent à une intervention unilatérale, comme celle en Irak en 2003. Les Russes demandent le respect du droit international, rien que du droit international.
La Russie ne craint-elle pas, aussi, que les islamistes de Syrie se dirigent vers le Caucase, sur son territoire ou à sa frontière, où la population est à majorité musulmane ?
Si les fondamentalistes musulmans venaient à l’emporter, la Syrie deviendrait un Etat problématique du point de vue du terrorisme. Les bandes d’al-Qaida, qui opèrent actuellement en Syrie, pourraient être tentés de mettre le cap sur le Caucase, qui est à quelques centaines de kilomètres seulement.
Ni la Russie ni personne n’a intérêt à ce que l’opposition syrienne, telle qu’elle est aujourd’hui, triomphe : ses troupes les plus performantes sont celles d’al-Qaida. Avons-nous vraiment envie que des disciples d’Oussama ben Laden l’emportent en Syrie ?
Comment la Russie pourrait-elle réagir à une intervention en Syrie ?
Il n’y aura pas de réaction militaire : Moscou n’en a plus les moyens et a toujours exclu, même pendant la Guerre froide, d’aller au contact des Américains. Il n’y aura pas, non plus, de mesures de restrictions économiques : les Russes ont besoin de vendre leur gaz, notamment à l’Union européenne qui est leur meilleur client.
La riposte pourrait être diplomatique : Moscou pourrait montrer son mécontentement sur les discussions à propos du bouclier anti-missile en Europe, ou pourrait annuler les traités conclus récemment avec Washington sur le désarmement nucléaire. À partir du moment où l’administration Obama ne respecte pas le droit international, en intervenant sans mandat des Nations unies, pourquoi la Russie respecterait-elle ces traités ?
Sur le dossier syrien, les Russes semblent marginalisés.
Non, ils ne sont pas d’accord avec Paris, Londres et Washington. Mais ils ont la même position que la Chine, que l’Inde ou que le Brésil. Les Russes représentent une bonne partie de l’opinion publique mondiale, qui considère que les Occidentaux n’ont pas à s’immiscer dans les affaires intérieures d’un Etat.
Par ailleurs, au sein de l’Union européenne, personne n’a entendu les Allemands demander une intervention militaire en Syrie. Ni les Espagnols, les Italiens, les Polonais, les Suédois. Il n’y a que Paris, Londres et Washington à vouloir y aller.
Recueilli par Boris MARCHAL.