« La tragédie syrienne vient de loin… »
mars 17, 2013
En marge de la «Ballade littéraire» organisée le 9 mars 2013, au théâtre Malek-Bouguermouh de Béjaïa, sous le thème: «La participation des Algériens dans la renaissance politique et culturelle du Bilâd E-Shâm… Cheikh Tahar El Djazaïri, en exemple», nous avons profité de la présence de l’ancien ambassadeur d’Algérie à Damas, Kamel Bouchama, pour lui poser quelques questions ayant trait à la situation prévalant dans ce pays. En fin connaisseur de la région, M.Bouchama apporte un éclairage à ce qui se passe en Syrie
L’Expression: La première question essentielle qui nous taraude l’esprit, nous vous la posons simplement avant même d’aller vers plus de détails. Que se passe-t-il en Syrie?
Kamel Bouchama: Aujourd’hui, la Syrie est en guerre. Qui pouvait imaginer qu’elle allait basculer dans une situation dramatique, comme celle qu’elle vit en ces instants. La Syrie se meurt de jour en jour, ce terreau de toutes les civilisations, cette «seconde patrie de tout homme civilisé», comme l’affirmait l’archéologue français André Parot, spécialisé dans le Proche-Orient ancien. Elle se meurt à cause de la bêtise humaine, de l’indifférence ou la peur, c’est selon, d’un Monde arabe qui se recroqueville dans la honte, mais surtout à cause de ces «stratégies de guerre» qui se concoctent à l’extérieur et qui trouvent, à l’intérieur malheureusement, la «main-d’oeuvre qualifiée» pour une bonne application.
Et dans ce conflit qui, par médias interposés, est présenté au monde entier comme un problème de démocratie et de pouvoir totalitaire, donc comme un conflit syro-syrien à 100% – ce qui est archi-faux -, il y a en toile de fond, et on ne le dira pas assez, cet Occident qui est capable d’«assassiner et détruire des peuples entiers, pour qu’Israël seul puisse enfin vivre et survivre». Le conflit syrien, aujourd’hui, est le prolongement d’une guerre larvée qui date depuis longtemps, entre ce pays et Israël qui a été imposé dans la région. C’est dire comme l’expliquait en bon chrétien, le prêtre Elias Zahlaoui, que «les leaders occidentaux, vils exécuteurs des projets sionistes, sont toujours empressés d’apporter à Israël, tous les soutiens possibles, connus et secrets, à tous les niveaux, aussi bien politiques et diplomatiques, que militaires, financiers et médiatiques»..
A travers cette première réponse nous avons l’impression que vous défendez le pouvoir de Damas, ce pouvoir tellement décrié par l’opposition. Voulez-vous être plus clair en ce qui concerne les gouvernants qui ne sont pas en odeur de sainteté auprès de leur peuple…, et qui s’acharnent contre ce dernier en voulant rester coûte que coûte au pouvoir?
Là est votre opinion, et ce n’est pas la mienne. Je ne défends personne, encore moins le régime de Damas, qui est ce que sont les régimes arabes, sans exception. Cependant, restons dans la crise syrienne, et disons que les véritables motivations de cette crise ne se situent pas au niveau du pouvoir qui, je vous l’accorde, est décrié par les Syriens. Il faut avoir le courage pour le dire, même si l’Occident et ses «suiveurs» parmi les pays arabes inféodés, légitiment leur intervention musclée – au moyen d’armes, de mercenaires et de diverses propagandes – par voie de conséquence, par le départ de Bachar al-Assad qui, selon eux, règlera tous les problèmes dans cette partie du Moyen-Orient. En somme, une sorte d’expédient radical pour la stabilité de la Syrie! Mais enfin, n’a-t-on pas vu ce qui se passe dans tous les pays arabes, ce que sont leurs régimes que les peuples contestent et abhorrent à cause de l’injustice, la corruption, l’arrogance, le népotisme et les compromissions de leurs dirigeants?
Ainsi, la question que tout homme politique doit se poser, est la suivante: admettons que le régime syrien est le seul dans cette communauté arabe à vouloir pérenniser coûte que coûte son pouvoir et à refuser de se prononcer pour des ouvertures importantes dans le cadre de réformes fondamentales pour dénouer la crise qui le ceint, fallait-il permettre à l’Otan, grisée par son «action libyenne», d’inciter les enfants du peuple, devenus «opposants», à adopter des positions jusqu’au-boutistes? Fallait-il faire de la Syrie un champ de bataille pour l’épuiser dans des combats sanglants, pires que ceux des guerres civiles au Liban? Quant à moi, ma réponse est claire. Dans la tête de ces «Grands» du monde il y a quelque chose d’essentiel…c’est le projet de déstabilisation, voire de la destruction de la Syrie, pour la paix et la sécurité d’Israël! «Khellatha tesfa!» dit l’adage bien de chez nous, ou – «mets-là sens dessus-dessous, elle connaîtra son dénouement» -, c’est à peu près cela où sont arrivés les promoteurs du complot contre la Syrie. Et le moment est bien choisi, bien sûr, quand on réfléchit à certains bouleversements dans le monde qui ne sont pas venus pour servir les gens de l’hémisphère Sud. Ce sont autant de facteurs qui donnent de l’appétit aux plus forts pour que se pratiquent «de tragiques politiques sans honte et sans vergogne, sous couvert de tous les mensonges, de toutes les duplicités, de toutes les lâchetés, de toutes les contorsions aux lois et conventions internationales».
Vous avez évoqué cette main étrangère dans ce conflit qui déchire la Syrie. En êtes-vous sûr? Alors, vous qui connaissez bien la région et qui avez écrit un livre remarquable concernant les Algériens dans ce pays depuis le XIIe siècle, pouvez-vous nous dire davantage sur ces «agencements» qui sont là, depuis longtemps?
En effet, depuis longtemps, et votre question est pertinente. J’ai déjà fait état de toutes ces manoeuvres de l’extérieur, dans le livre que vous citez. J’ai expliqué dans un long chapitre que la France coloniale, après l’«accord Sykes-Picot de 1916» ne ménagea aucun effort pour créer dans ce pays de grande civilisation, des situations impossibles, et ne lésina sur aucune forme de division pour instaurer un climat de dissension et de désordre. Son premier acte de bravoure dans ce pays était de fractionner et d’opposer ce qui a été intimement unifié après de grands efforts. Ainsi, l’unité nationale a volé en éclats, selon le voeu des Français.
Les Alaouites se braquaient contre les Sunnites qui se retrouvaient, à leur tour, contre les Druzes, les Arabes contre les Tcherkess et les deux contre les Arméniens, les chrétiens contre les musulmans…. Pour comprendre ce qui se passe en Syrie, revenons à l’origine des complots qui se sont toujours tramés dans cette région du Moyen-Orient.
Ainsi, nous saurons toutes ces velléités de l’Occident qui, pour devenir réalité, sont soutenues sur le terrain par des acteurs qui suivent la situation au quotidien, puisqu’ils sont les premiers bénéficiaires. Il s’agit là d’une véritable stratégie, en des plans d’actions, bien réfléchis, conséquents, à l’avantage des ouailles de la grande puissance mondiale, au moment où les nôtres – qui n’en possèdent aucune (de stratégie) – pèchent par leur manque de sérieux et d’unité.
D’ailleurs, nous et notre «Ligue arabe», une caisse de résonance, ou plutôt une coquille vide, nous ne faisons que de la figuration navrante et pitoyable pendant les conflits qu’on nous impose dans nos territoires, devenus hélas, des champs de prédilection pour des usages belliqueux. Réfléchir autrement que cela, concernant les conflits de nos frères arabes, est d’une naïveté excessive qui ne nous mène pas très loin.
Comment voyez-vous l’avenir de la Syrie?
Tout d’abord, il faut savoir, et en être convaincu, que la Syrie est un grand pays, et que son peuple est un grand peuple. Ainsi, tout ce qui se manigance présentement peut être vite pansé demain, parce que les Syriens – pour peu qu’on leur laisse le soin de régler leurs problèmes par eux-mêmes – ont cette capacité de rebondir très facilement et se mettre fermement debout, sur leurs pieds. Alors, incontestablement, l’avenir de ce pays ne devrait se faire qu’avec les Syriens. Aujourd’hui, il y a des massacres, il y a des dépassements, il y a du sang , il y a de l’incompréhension; nous avons connu tout cela, chez nous, en Algérie, en des circonstances, bien sûr différentes, mais aussi difficiles que celles que traversent nos frères syriens.
A charge pour les parties en lutte dans le territoire syrien, opposants et gouvernants, de comprendre qu’il n’y a qu’eux, et eux seuls, qui puissent mener leur pays vers une solution possible afin d’éloigner le spectre de cette guerre fratricide qui ne bénéficie qu’aux ennemis de la Syrie et de la cause palestinienne.
A charge pour cette nation syrienne qui est le produit d’une unification ethnique du peuple qui s’est constituée tout au long de l’Histoire et dont «le principe du sentiment national n’est fondé ni sur la race ni sur le sang, mais plutôt sur une unité sociale naturelle dérivée d’une homogénéisation des mélanges», comme le prônait, il y a bien longtemps, en 1947, le fondateur du Parti socialiste nationaliste syrien, à charge pour elle, dis-je, de préserver la cause nationale de la disharmonie, de la désintégration et des conflits qui résultent de complots tissés pour des intérêts occultes dans la région.
Maintenant, pour ce qui est des autres formules, que sont le multipartisme, la démocratie, la Constitution, les élections, l’alternance et tant de points qui règlent les diverses gouvernances, elles couleront de source, lorsque la raison reprendra ses droits dans tous les esprits.
C’est alors que je dis qu’il n’y a que cela qui puisse amener le peuple syrien vers la stabilité et il n’y a que le dialogue fraternel, constant, de gens civilisés, qui aidera les parties en conflit à trouver les clés de l’unité et de la stabilité de la Syrie