Lettre de Mme Simone Lafleuriel Zakri, franco-syrienne, sur la Syrie dans l’actualité
décembre 1, 2012
De Simone Lafleuriel-Zakri
Retraitée de l’Education nationale, historienne, écrivain, auteure de :
-Syrie, berceau des civilisations – ACR, Paris ;
-La Botaniste de Damas- Encre d’orient, Paris 2011.
À paraître en 2013 : « Mémoires d’un herboriste andalou » .
Syrie dans l’actualité depuis des millénaires !
Depuis quelques mois, la Syrie est entrée dans l’actualité de ce que, en Occident, on baptisa sans rien demander aux intéressés les « printemps arabes ».
Pourtant le cas syrien ne souffre pas la comparaison ou l’amalgame, on ne peut rien comprendre à son histoire et aux secousses présentes sans explications très particulières. Très hétérogène, le pays est connu pour sa mosaïque d’ethnies, de religions et de modes de vie. Il est sous un régime politique aujourd’hui dominé par le Baath : un parti unique nationaliste, pan-arabe et laïc, créé dans les années 1930 et resté, ces dernières années, le seul du genre dans le monde arabe pour cause de chute récente de l’Irak baathiste .
De son espace de Grande Syrie ou « Bilad Cham » ,restreint par les puissances mandataires de l’après-guerre, à la Syrie actuelle ,qui reste toujours au coeur d’une zone géostratégique très sensible, la singularité du pays fait l’objet dans toutes les langues, d’innombrables études érudites, peu sont de vulgarisation tant l’exercice est frustrant et difficile à condensé.
Une terre multimillénaire sous contrôle et ingérence récurrents
Millénaire et brûlante, son histoire fut le plus souvent tragique : c’est celle de la vaste aire du Bilad ash Cham dont l’actuelle Syrie n’est qu’une partie atrophiée, comme celle de cette population très hétérogène. Aire et population sont liées à l’ensemble de l’espace régional oriental dont elles constituent le cœur, à la croisée des routes de tous les échanges. De plus, sans cesse et à leur corps défendant, elles furent, et sont encore, liées à la dimension internationale.
Le territoire envahi régulièrement depuis dix mille ans fut et est encore très convoité. Le pays est de toutes les évolutions et de tous les bouleversements d’un monde qui lui donne régulièrement des rendez-vous mortels qu’il soit d’Orient ou d’Occident.
Les envahisseurs arrivèrent de partout et en tous temps: pharaoniques ou grecs, byzantins ou romains, turcs musulmans ou européens chrétiens , de l’époque des très sanglantes croisades à la fin du 11e s. jusqu’au règne des mamelouks succédant au dernier Ayyoubide à la fin du 13e s.
À la suite de ce déclin, le déferlement tragique des Mongols affaiblit toute la région et l’appauvrit , y compris par le massacre et la déportation de ses habitants dont ses meilleurs artisans. L’invasion , une fois ces barbares enfin repoussés par Baybars le mamelouk devenu sultan, prépara ainsi le terrain au règne tout puissant des Ottomans.
Ces Turcs, en fin de règne, laissèrent les lieux aux puissances occidentales pour des Mandats de tutelle qui précèdèrent l’indépendance en 1946 !
Ces mondes étrangers choisirent le Bilad ash Cham pour terrain de leurs affrontements sanguinaires et en firent payer un prix très fort à sa population. Elle fut régulièrement massacrée, réduite en esclavage (épisode tragique des croisades ou des barbares invasions mongoles). La Syrie est aujourd’hui tenue pour comptable et responsable du devenir d’intérêts étrangers sécuritaires ou économiques qui la dépassent. Ainsi, l’ombre menaçante pour son indépendance et son intégralité territoriale de la découverte d’importants gisements de gaz plane désormais sur le devenir de toute la région côtière de la Méditerranée .
Un peuple uni pour sa Syrie
Il est surprenant de constater que ces Syriens déjà si différents entre eux furent, en permanence, durant des siècles et sans en tirer de grands bénéfices, rattachés en continu au destin très chaotique de l’humanité. Et ils le sont de nouveau ! Ils se voulaient pourtant un seul peuple à voulir vivre ensemble dans ce pays aux frontières délimitées par la force des étrangers ! Les ondes des chocs récurrents qui secouent notre monde n’ont jamais manqué de se propager à travers le vaste espace jusqu’à cette petite Syrie, en apparence si modeste. Elles ne manquèrent jamais de l’ébranler et de l’impliquer, y compris dans ses avatars les plus hasardeux et dramatiques : l’exemple récent étant la création par les puissances européennes de l’Etat d’Israël sur le territoire du Bilad ash Cham.
Victorieuses, ces puissances disposèrent et découpèrent à leur gré,comme le reste de la planète, les régions du Proche et Moyen-Orient en fonction des routes pétrolières et gazières. Elles modelèrent donc le Bilad ash Cham. Elles y découpèrent une petite Syrie sans se soucier des fatales conséquences de leurs décisions. Ce sont pourtant les raisons majeures du chaos actuel .
Ces conséquences doivent entrer dans ses véritables explications. L’une est que la Syrie baathiste n’a jamais ménagé et affirmé son appui à la cause palestinienne; marginalisée pour cette solidarité et pousséee par les menaces et pressions occidentales, elle s’est rapprochée de l’Iran .
Une autre est que le pays n’a eu de cesse, depuis les luttes d’indépendance des années 20, de dénoncer et de combattre ces ingérences étrangères et leurs manoeuvres déstabilisantes, y compris en Palestine et, par d’inévitables ricochets, dans toute l’aire orientale.
un pays aux frontières sensibles.
Du grand Bilad ash Cham à la petite Syrie d’aujourd’hui, le pays est sur la plus orientale des rives de la Méditerranée. La Syrie a des frontières sensibles qui la sépare de pays tout aussi complexes. Elle partage sa très longue histoire tragique avec l’Irak . Son sort récent glaça d’effroi ses voisins syriens qui accueillirent des milliers de réfugiés. Aux premiers événements dudit « Printemps arabe » ,ainsi baptisé par ces anciens mandataires français heureux d’annoncer leur retour en Orient, nombre de Syriens ont aussitôt craint de connaître le même sort. Et c’est ce qui se fait ! À l’époque, ces exilés irakiens rejoignaient en Syrie et dans leur infortune, quelque 300.000 Palestiniens expulsés en 1948 et des Libanais fuyant les conflits internes et guerres successives depuis les années 80.
Une longue frontière de 800 kilomètres sépare la Syrie d’une Turquie qui, de Byzance à l’empire ottoman, fut omniprésente en Syrie. Elle semblait redevenir pourtant, ces temps derniers, son partenaire privilégié et celui de tout le monde arabe, au point de faire croire, aux plus clairvoyants et pessimistes, à un retour à l’esprit des « Jeunes Turcs ». D’autres y voyaient , et pour toute la région, un modèle possible de développement se référant à l’Islam .
Il faut, aujourd’hui, reprendre certains faits de cette tragique époque des Mandats : français et anglais : deux puissances en constante rivalité sur ce terrain !
Syrie et Turquie une histoire pour le moins chaotique !
La frontière syro-turque est d’autant plus sensible qu’elle fut tracée par des accords entre la puissance turque en extinction et une France à l’aube d’une nouvelle guerre. La France était confrontée aux exigences d’une Angleterre lucide et plus intéressée par les régions pétrolières (Mossoul) de l’ancien empire ottoman. D âpres marchandages avec le chef des Jeunes Turcs , Mustapha Kemal , aboutit à ce que la Turquie exige de la puissance mandataire française très velléitaire, en plus du Hatay, au nord-ouest du pays (région d’Alexandrette –Iskenderun, Antioche-Antakiyèh) le contrôle militaire d’une bande intérieure syrienne profonde d’une dizaine de kilomètres et allant vers le nord sur 800 kms de long. La Syrie sous mandat n’avait le droit que d’y déployer sa police. Ce qui expliquerait, en ces jours d’accord turco- français sur le dossier syrien, bien des déclarations troublantes. Par exemple cette récurrente allusion française , de droite sarkozyste comme de gauche socialiste, à définir en Syrie un couloir démilitarisé ( !). Situé dans cette zone, pour raisons humanitaires habituellement utilisées, il pourrait avoir d’autres utilités moins avouables pour le régime turc actuel, très demandeur envers ses nouveaux alliés et de ses nouvelles amitiés à l’Ouest. Il viserait les Kurdes amis aussi, en plus du contrôle des régions du nord syrien,une partie de la Jéziré . Dans ce centre du pays syrien assez misérable, s’étaient installées, après un génocide et un exil qui frappa chrétiens syriaques et tribus arabes,des populations non-turcophones, chassées autrefois de l’est anatolien turc !
Avec la Jordanie et le Liban…
Reste une frontière fragile avec la Jordanie, sous l’aile occidentale, en partie bédouine et palestinienne et la frontière encore plus sensible avec le Liban, détaché du Bilad esh Cham après de sanglants et douloureux événements à l’époque des Etats du Levant sous Mandat français.
Un Liban indépendant,certes , avec ses propres frontières sur le papier, mais, comme la Syrie, victime de tous ces orages qui dévastent régulièrement la région. De plus des groupes ethniques ou simplement des familles élargies coupées administrativement mais toujours ensemble et solidaires sur le terrain !
Syrie –Palestine
Reste enfin une frontière avec Israël : entité lui, créée sur la partie sud-ouest du Bilad ash Cham, qui occupe le fertile Golan syrien dont la population syrienne combat avec courage une occupation qui s’amplifie.
Ces frontières multiples, tracées à la règle, faisaient fi des relations et de réseaux d’échanges séculaires qui assuraient la survie de ces populations.
Artificielles, très poreuses, séparant arbitrairement des populations qui sont toujours solidaires des deux côtés de ces lignes tirées au cordeau, ces frontières rectilignes divisent les familles et les privent de leurs terres ancestrales. Elles leur imposent des allégeances ou des fidélités qui les troublent, installent d’autres groupes ethniques ou religieux !
Une terre de tous les échanges
Le long des côtes, des vallées, des pistes du désert aux passes des reliefs escarpés, de villes devenues capitales , ces régions sont au cœur de tous les échanges. Elles sont ces routes mythiques de la soie mais aussi des épices, du papier, des livres ou de la céramique.Aussi de celles du trafic d’armes, hélas , omniprésent dans les conflits internes ou externes des pays frontaliersdont l’Irak et le Liban. Ce trafic est permanent aux frontières.
Les grandes routes de ces échanges traversent la Syrie situé dans cette aire de passage . Elles y ont leurs étapes motorisées et alimentent les centres commerciaux syriens traditionels et modernes.
Agitées et contestataires
Ces trafics tout azimuts arrangent bien des affaires aux buts moins avouables. Certaines villes, villages ou quartiers à la périphérie des centres historiques ,sont notoirement connus pour leurs trafics habituels du « petit peuple », pauvres, déclassés et marginalisés, en partie mal sédentarisés et à la lisière des zones rurales.Pour une minorité, il y trouve une forme de survie. La majorité des Syriens déplore la renaissance et l’existence de cette économie informelle qui complique les activités légales.
Des populations venues de tous horizons !
Une façade maritime modeste mais ouverte, des plaines fertiles bien arrosées et peuplées depuis toujours, une steppe sillonnée de routes marchandes régionales au très long cours, firent de la Syrie une zone de pénétration commode. Cette pénétration se fit, se perfectionna, s’actualisa, s’adapta tout au long des millénaires, enrichit tout le monde, les arrivants et les survivants !
La terre syrienne fut, et est, une terre d’abordage et de civilisation pour des vagues successives de populations diverses , tant par leur origine que par leur religion.
Ces arrivants paisibles ou ces envahisseurs guerriers, ces colonisateurs qui se disaient chrétiens d’Occident ou mandataires, accaparèrent le territoire et le meilleur de la civilisation découverte, souvent par la force et au prix de terribles destructions et massacres. En retour, elles donnèrent naissance à de nouvelles formes de culture toujours plus riches et diversifiées.
C’est ce qui se passa quand ces Occidentaux chrétiens en route pour Jérusalem rêvèrent de conquérir ce riche Orient et s’y installèrent pour des années souvent sanglantes !
Cet Occident chrétien ne renonça jamais à « son Orient syrien », comme il ne cessa jamais de se donner sur le Bilad ash Cham, des droits de regard, d’intervention et d’ingérence : des « droits séculaires (!) qu’il justifia, comme par le passé, par l’appartenance à la chrétienté. Il s’y ajouta après-guerre, la repentance à sa complicité au régime nazi dont les Palestiniens font les frais ! C’est encore le cas aujourd’hui de beaucoup de prises de position des ex-puissances mandataires dont la française !Il n’est pas si loin le temps où De Gaulle, alors simple chef de bataillon, justifiait notre rôle dans ces « Etats du Levant » par « notre rôle historique dans ces pays » !
Les Syriens , y compris les plus humbles, ne cessent de s’étonner de l’intérêt persistant de l’Occident pour leur pays. Ils s’en inquiètent au point de suivre avec angoisse la vie politique à Washington ou à Paris , sachant d’expérience et avec raison que cela aura des conséquences inévitables sur le cours de leur vie.
Une multiplicité de minorités ethniques et religieuses
Parallèlement à la région côtière, la montagne s’élève entaillée de vallées profondes. Grâce à son relief escarpé, elle fit ,de tous temps,obstacle aux envahisseurs et servit de refuge à des minorités ethniques ou religieuses menacées: Ismaéliens, Druze, Chrétiens et Alaouites .
Ces reliefs ,comme ceux de la Syrie du sud, assurèrent la permanence de croyances, cultures, langues -dont l’araméen- et des modes de vie originaux toujours bien vivants.
Multiconfessionnels
Les Syriens sont un creuset de confessions : chrétienne, relevant de Byzance ou de Rome, grecs orthodoxes, catholiques, syriaques,assyriens,nestoriens ; une forte composante musulmane, majoritairement sunnite et une minorité chiite également de plusieurs branches.
Jusqu’à ces derniers temps, la coexistence en Syrie de toutes ces confessions et minorités semble remarquable. Même si l’équilibre peut paraître fragile et superficiel, il semble tenir bon en dépit des tentatives de déstabilisation par les ingérences extérieures occidentales et régionales dont les pays du Golfe pétroliers et gaziers. Tous, étrangers à la Syrie, n’acceptent guère que ce petit pays et qu’un Orient ne soint pas taillés à leurs mesures et mis au service de leurs propres intérêts.
Diviser les communautés de la région, les opposer pour mieux régner et fragiliser cette aire était déjà la politique des Mandats ! L’esprit en perdure avec d’autres stratégies et des acteurs mieux équipés.
Ruraux et citadins : la co-existence
Il est courant de dire que le monde des villes dont Damas au sud , Alep au nord et le monde des ruraux et des bédouins, sont dans une opposition spécifique à la Syrie ! Ce clivage toujours évoqué semble perdurer malgré les efforts de rapprochement fait par le parti Baath ! Les jeunes officiers de toutes ethnies et confessions,souvent marxisants, avec l’intention de balayer toutes ressemblances avec le pouvoir post-mandataire, eurent comme objectif de fondre cette société disparate avec un succès mitigé. Il est perceptible pour l’observateur étranger qu’il y a hiatus !
Ces Syriens ont pourtant obtenu ,peu à peu ,des autorités débordées par ces flux dynamiques, les équipements de base et de bons logements à bas coût.
Ils furent aussi les premiers à avoir eu envie de participer à ce qui leur paraît un basculement radical, qui leur fournirait l’occasion d’une revanche ou d’un moyen de s’imposer dans la vie politique. Ces parties de la société syrienne semblaient désorganisées car elles ont leur propre mode de fonctionnement qui n’est pas sans moyens de pression !
La contestation actuelle s’annonça et se développa dans certains des centres ruraux du sud, les plus éloignés des centres du pouvoir. Ces ruraux étaient solidaires et organisés en communautés frontalières. Il leur était sans doute aussi plus facile de se mobiliser. Les citadins découvrirent soudain et avec surprise la contestation de ces bourgs souvent très importants en proie, depuis quelques années, à de graves avatars climatiques sévissant surtout aux marges du pays et dans la majorité des bourgs agricoles du centre syrien !
Il faut noter que les paysans, soutenus et subventionnés par le régime, ne sont pas pauvres mais les familles doivent répartir les terres entre de nombreux enfants. De plus, attirés par des biens de consommation , ils ont de la peine à suivre ce mode de vie qu’ils découvrent !
Les lieux de la ruralité syrienne
La Syrie paysanne et bédouine se déploie dans tout le pays dans la plaine côtière verdoyante, maraîchère et fruitière, dans la région nord et frontalière avec la Turquie, dans les plaines ou plateaux du centre et du nord-est dont la Jéziré (plaine de forme triangulaire entre Tigre, Euphrate et ses affluents). C’est la terre du coton ,des céréales et de l’anis de nos apéritifs !
Depuis l’Antiquité, il s’y installa des populations très variées. Certaines furent victimes d’attaques ou de répressions dans leurs pays d’origine . D’autres peuples furent contraints à l’exil en Syrie. La plus connue de ces migrations résulte de la déportation des Arméniens au début du XXe siècle, résidants à l’est de la Turquie, alors ottomane et sous pouvoir »Jeunes Turcs ». Le but était de se séparer des populations considérées comme arabes ou acquises aux puissances mandataires ou ennemies(Russie tsariste) : des Arméniens, des chrétiens syriaques orthodoxes , des bédouins (Arabes), des Kurdes. Certaines de ces familles exilées devinrent de grands propriétaires terriens cultivant en coton sur de vastes domaines cette Jéziré.
La France céda cette bande syrienne, fin juillet 1939, à la Turquie en échange d’un accord avec Ankara de non-intervention des Turcs dans le second conflit mondial qui s’annonçait. Nombre de familles syriennes conservent précieusement leurs titres de propriétés agricoles en Turquie, dans la région Kelis-Gazientep. Elles gardent d’étroites relations familiales, parlent le turc !
Jusqu’à ces dernières années, la Syrie refusait d’accepter cette amputation de son territoire national qu’elle considérait comme provisoire.Une normalisation récente et des accords entre les deux pays avaient enfin ouvert les frontières. L’actualité braque de nouveau ses projecteurs sur cette région frontalière aux villages syriens sur les crêtes, et les parties devenus turques, en plaine, L’extrême complexité historique, géopolitique , ethnique et religieuse de la situation n’est jamais évoquée.
Syrie des marges et Syrie bédouine
La partie extrême de cette société syrienne est sans doute la bédouine : chamelière sur de très grands parcours allant de l’Arabie à l’Anatolie, ou moutonnière des pasteurs, éleveurs de bovins et d’ovins vaquant sur des parcours limités . ils sont nomades et cultivateurs aux marges du désert et ont connus de profondes mutations.
Même si citadins et bédouins semblent garder entre eux une distance, ces « badous » sont respectés. Les décisions prises pour faciliter leur existence furent peut-être inappropriées mais souvent conseillées par des instances internationales qui, elles-mêmes, tâtonnaient dans la résolution de problèmes spécifiques dont sécheresses récurrentes, puits et sources surexploités, surpâturages, etc. Ces populations semblent observer un modus vivendi avec le pouvoir et la société des villes dont certains disent avec malice qu’elle est, elle-même tribale, y compris dans ces plus chics quartiers !
Les chefs bédouins restés puissants dans l’espace nomade sont influents dans la politique du pays. Le régime se doit de s’assurer et de leur soutien et de leur fidélité. Par la fréquentation de dizaines d’années des structures éducatives, administratives et religieuses, l’identité tribale de ces populations s’allie à l’identité nationale arabo-musulmane.
Chiites et sunnites : le nœud du problème ?
En Syrie, les sunnites, majoritaires, sont établis dans les villes et les riches plaines. Les Kurdes , non arabes, communauté importante en Syrie du nord et en Jéziré, dans certains quartiers des villes, sont une ethnie de religion sunnite , certains sont zoroastriens . Les villes les réunissent souvent dans leurs quartiers et en communautés solidaires. Ils gardent le contact avec les membres de leur clan éloigné des lieux d’origine.
Les chiites sont environ 16% des syriens, partisans d’Ali, cousin et gendre du prophète Mohammed , fondateur de l’islam, qui doit perpétuer son héritage .
De Ali se réclament les duodécimains : une minorité en Syrie. S’y ajoutent les Ismaéliens, les Druzes, dissidents des premiers, surtout installés dans la région syrienne frontalière de la Jordanie ; les Nizari ou Alaoui ,branche d’Ismaéliens situés dans les parties montagneuses du pays .
La population musulmane syrienne est en plein essor. Si la transition démographique est en marche et encouragée d’ailleurs par le gouvernement actuel, l’évolution n’est pas aisée. La famille syrienne reste nombreuse y compris la Kurde. Les minorités druze, alaouie, et chrétienne, s’affaiblissent.
C’est un problème lourd pour le pays d’accueillir, éduquer et former cette importante et très jeune population si composite et lui trouver de vrais emplois en dehors de l’administration. Il convient encore de la garder unie alors que chaque groupe s’ingénie à donner à ses propres jeunes, l’éducation et l’école de sa communauté ou de sa classe sociale.
Les Alaouites :
Ce groupe fait l’actualité et pour deux raisons au moins. D’abord, leur origine et religion. Connu sous le nom d’alaouite que lui donna la puissance mandataire française, ils sont plutôt installés sur la côte et dans la chaîne de ces montagnes bordant le rivage nord-ouest. D’origine sémitique, très indépendant, ils seraient descendants d’un agglomérat de tribus anciennes. Sédentarisés, ils se replièrent dans la montagne pour échapper à de multiples persécutions de la part d’autres factions dont les Druzes et les Ismaéliens. Rebelles toujours, sous domination ottomane ou sous mandat, ils refusent de se soumettre. La France décida ,mais sans suite , de lui délimiter un territoire sous gouvernorat français. Ce fut, proclamé en juillet 1922, « l’Etat des Alaouites » avec pour capitale Lattaquié, sur la côte. Pourtant le peuplement de leur région, comme partout en Syrie d’hier et d’aujourd’hui, ne fut jamais homogène. Des sunnites et des chrétiens peuplèrent majoritairement les villes de la côte. Les Alaouites durent partager leurs collines avec des Ismaéliens, des Tcherkesses, des Arméniens et des Crétois ,si l’on en croit les archives du temps du mandat. Majoritairement agriculteurs, ils étaient relégués sur des terres ingrates et le plus souvent réduits à l’état de serfs. Ils furent enrôlés , comme les Druzes, dans l’armée par les mandataires.
Les Alaouites sont hétérodoxes. Leur nom fait référence à Ali. Au XIe, siècle, ils suivirent les prescriptions d’Ibn Nosaïr : un prédicateur irakien d’où leur nom de Nosaïri que les Français du Mandat écartèrent pour celui d’alaouites ». Ils sont souvent assimilés aux 25 millions d’Alevis de Turquie dont ils sont proches. Ce qui devrait poser problème quant aux orientations actuelles du régime turc.
S’ils s’affirment musulmans, les Alaouites rejettent la charia. Ésotériques comme les autres chiites : druzes ou ismaéliens, ils n’initient que certains garçons et sont tenus au secret. Ils croient en un Dieu suprême en trois divinités ( comme les Syro phéniciens) . Ils ont comme livre sacré : le Coran. Ils respectent tous les fondateurs de la religion. Leur croyance semble être un syncrétisme de traditions spirituelles et prend sa source dans les cultes antiques des Phéniciens de la côte où ils étaient installés. Comme les Druzes et les Ismaéliens, ils croient à la résurrection des âmes imparfaites (métempsychose). Mais les Alaouites ne sont pas tous d’accord concernant leurs cultes. Certains observent les rites ésotériques de la religion d’origine et du ciel, de la lune, du soleil et, pour les Chaïbis, de l’air. Les garçons entraient dans l’armée pour tenter de faire évoluer leur condition sociale. Leur organisation plus clanique que tribale subsiste; ces clans sont soudés plus pour raison de solidarité et de pragmatisme que d’attachement à leur origine et même à leurs croyances.
Reste de la part de la majorité sunnite une certaine méfiance , sans vraiment avoir été avouée auparavant , contre ces Alaouites. Aujourd’hui , le rejet de ces chiites par certains extrémistes musulmans très intolérants s’affirme de nouveau et constitue pour cette minorité un réel danger ! On ne connaît pas avec certitude , l’importance de la population alaouite (sans doute11%). En Syrie laïque, l’appartenance a une religion n’entre pas dans les statistiques et ne figure pas sur les cartes d’identité.
La famille reste endogame et l’adhérence au clan n’en fait pas des partenaires privilégiés par l’élite industrielle et marchande sunnite . Cette dernière veille à garder la haute main sur l’économie du pays, même quand elle tisse des liens avec ceux des Alaouites qui sont arrivés, eux, au pouvoir.
L’axe entretenu des chiites alaouites au pouvoir avec l’Iran, le nouvel Irak et les chiites libanais semble insupportable à l’axe sunnite rival et majoritaire qui se renforce aujourd’hui aux dépens de la Syrie. Cet axe privilégié par les puissances occidentales va de la Turquie aux pays du Golfe. Les deux recouvrent des axes à forts relents de pétrole et de gaz ! La deuxième raison de la méfiance et de la rupture d’avec les Alaouites est politique.
Le Baath et l’accession au pouvoir suprême
L’ascension de la communauté alaouite se fait vers 1930, sans que leur religion joue un rôle, en raison de la participation de ses fondateurs aux luttes contre l’occupant ottoman et pour l’indépendance. Ils sont de cette élite éduquée qui se dit nationaliste et adhère à l’unité syrienne. Elle participe aux péripéties post-mandataire de l’Etat syrien et à la création de ce parti Baath nationaliste, arabe, socialiste et révolutionnaire qui regroupe des Syriens de toutes origines et confessions . Elle ne tarde pas à supplanter la bourgeoisie incapable de s’unir dans les années 1950-60.
Né dans les années 1930 en Syrie et en Iraq, le Baath domine la vie politique à partir de 1963 alors que la Syrie va de coups d’Etats en guerres intestines, affronte Israël soutenu par les Occidentaux, se rapproche de l’URSS, s’allie ou divorce de l’Egypte de Nasser ou de l’Irak baasiste, devenu ennemi. Au pouvoir et dominé par divers leaders issus des luttes pour l’indépendance, le Baath est repris en main en 1970 par un énième coup d’état d’un officier alaouite qui devient général : Hafez al Assad, père de l’actuel président.
Le nouveau régime s’entoure d’une clientèle d’intérêts hors appartenance religieuse. Il veut renforcer la classe moyenne du pays, fédérer l’ensemble des communautés et des tribus, intégrer les minorités marginalisées. Dès le début, il s’oppose violemment aux Frères musulmans hostiles, entre autre, à la conception laïque du Baath. A l’extérieur, il s’affirme pro- palestinien avec toutes les conséquences qui en découlent pour la Syrie qui se voit rejeter dans « l’axe du mal » ! La Syrie est alors honnie des grandes puissances occidentales, des USA ,de l’UE et d’Israël.
La population syrienne, depuis des années, ne se réfère plus à ce parti vieilli, lourd, déconsidéré et dépassé qui n’arrive plus à encadrer la jeunesse . Ces dernières années, la société syrienne et ses jeunes se voulaient unis en un seul peuple. Ils désiraient gommer leurs particularismes et n’être qu’un ensemble moderne de citoyens réclamant les mêmes droits pour tous , par-delà leurs confessions ou origines. De nouvelles classes d’affaires et d’entrepreneurs très actifs travaillaient à l’international. Ils tiraient la Syrie vers un modèle social moderne qui laissait loin derrière elle une partie de la population sans avenir : salariés modestes, jeunes diplômés, fonctionnaires, ruraux désorganisés . Ces derniers, particulièrement touchés par les aléas climatiques ou travaillant de trop petits domaines, ne pouvaient plus rester sur leurs terres ancestrales.
Les classes influentes proches du pouvoir tiennent à leurs positions et réclament leur part de pouvoir dont une partie se sentait écartée. Depuis les récents événements, les minorités se sentent menacées, prises entre les luttes entre pseudo-opposants et le pouvoir. Tous redoutent ces ingérences étrangères , agissant aux frontières ,qui sont à l’œuvre pour faire éclater le pays et tenter de réorganiser cette région à leur façon.
Simone Lafleuriel- Zakri Novembre 2012