A propos de mon retrait « volontaire » du débat sur la Syrie
mai 29, 2013
INVESTIG’ACTION
Bahar Kimyongür
28 mai 2013
MISE AU POINT D’INVESTIG’ACTION. Que faire face à ces jeunes qui partent en Syrie ? Sur cette question brûlante, un débat a été mis sur pied par l’Association pour une Ecole Démocratique (APED). Michel Collon, fondateur d’Investig’Action, y est invité ainsi que Bahar Kimyongür, auteur du livre Syriana, Philippe Moureaux, ancien bourgmestre de Molenbeek, et Joëlle Milquet, ministre de l’Intérieur. Cette dernière a d’abord accepté, ce qui était à saluer, en sachant que d’autres dirigeants politiques comme Guy Verhofstadt ou Bernard Clerfayt se sont réfugiés dans un silence très lâche. Malheureusement, Joëlle Milquet s’est ensuite désistée, en refusant la présence de Bahar Kimyongür, indésirable aux yeux du gouvernement turc. Investig’Action regrette fortement ce désistement. Et espère que la ministre reviendra sur cette décision. Dans l’intérêt des jeunes et de leurs parents, victimes de cette tragique situation. Nous tenons à rappeler que Bahar a été acquitté par la Justice belge. Il y a donc autorité de la chose jugée, une décision que Madame Milquet, qui a aussi été ministre de la Justice, devrait respecter selon nous. D’autant que c’est l’Etat belge qui s’est rendu coupable de manoeuvres délictueuses contre lui. Aujourd’hui, nous apprenons que Bahar Kimyongür a, dans l’intérêt des familles, proposé de se retirer du débat afin que la Ministre puisse répondre aux questions que chacun se pose. Nous saluons ce geste et espérons que le débat pourra se tenir au complet (non pas le 28 mai comme il était prévu, mais selon nos infos entre le 5 et le 14 juin. Bientôt, la confirmation).
A l’initiative de l’association « Appel pour une école démocratique » (APED), le mardi 28 mai, un débat réunissant le journaliste indépendant Michel Collon, la ministre de l’intérieur Mme Joëlle Milquet, l’ex-bourgmestre de la commune de Molenbeek, M. Philippe Moureaux et moi-même devait se tenir à l’Institut des hautes études des communications sociales (IHECS) à Bruxelles avec pour objet l’enrôlement des jeunes Belges dans les mouvements djihadistes qui combattent en Syrie.
Dans un courrier électronique adressé le 13 mai dernier par le secrétariat de la ministre de l’intérieur à l’APED, Mme Milquet confirmait sa participation au débat.
Néanmoins, à la veille de son départ pour la Turquie où elle devait s’entretenir avec ses homologues néo-ottomans du cas des Belges qui traversent la frontière turco-syrienne pour combattre le régime de Damas, la ministre a fait savoir qu’elle renonçait à y participer.
Dans un article paru le 24 mai, le quotidien Le Soir a lié ce revirement de la ministre à ma présence au débat et a interprété celui-ci comme une mesure préventive face aux sempiternelles pressions turques concernant le « dossier DHKP-C » qui envenima les relations belgo-turques durant la décennie passée.
En raison de la polémique que l’article confus du Soir a créé à propos de ma présence au débat sur la Syrie, je me vois contraint d’adresser la présente mise au point aux lecteurs du quotidien concerné et plus généralement, à toutes les personnes sensibilisées par la tragédie syrienne.
En décembre 2005, j’ai été poursuivi devant les tribunaux belges pour terrorisme au seul motif que j’avais traduit un communiqué du mouvement marxiste turc appelé DHKP-C.
Au terme de cinq années de bataille judiciaire assortie d’une opération barbouzarde d’extradition vers la Turquie via les Pays-Bas et d’un passage de huit mois en prison (dont 68 jours en pays batave), j’ai été totalement acquitté des charges qui pesaient contre moi.
Suite à mon acquittement, j’ai repris mon engagement humanitaire sous sa forme initiale, c’est-à-dire sans concession envers les puissants mais dans le respect des règles du jeu démocratique.
Lorsque le Printemps des monarchies arabes éclata, je me suis particulièrement intéressé aux événements qui secouaient la Syrie, le pays d’origine de la majorité des habitants de la province (aujourd’hui turque) d’Antioche dont celui de mes parents.
J’ai rapidement découvert l’existence d’une industrie de la désinformation contre le gouvernement et le peuple de ce pays, désinformation que j’ai dénoncée dans une série d’articles publiés par Investig’action, l’agence d’information alternative administrée par le journaliste Michel Collon et dans Syriana, la conquête continue, un livre paru fin 2011 aux éditions Investig’action et Couleur Livres.
La recherche d’une solution pacifique au conflit syrien m’a conduit à collaborer avec l’Institut international pour la paix, la justice et les droits de l’homme (IIPJHR), une ONG basée à Genève dont je suis récemment devenu le directeur du bureau bruxellois.
En tant que victime collatérale de la guerre contre le terrorisme, j’ai été ému par la détresse des parents dont les enfants sont partis combattre en Syrie dans les rangs des groupes djihadistes entretenus par les royaumes du Golfe avec l’aval et les armes des puissances occidentales.
J’ai alors pris contact avec plusieurs parents afin de les aider à retrouver leurs enfants qui ont, pour la plupart, transité par Antioche, la ville turque d’origine syrienne dont je proviens.
Dans ce cadre, j’ai activé mes réseaux sur place, médecins, avocats, parlementaires, journalistes, militants associatifs etc.
Côté syrien, j’ai demandé à la Commission de réconciliation, la Moussalaha, composée de représentants des diverses religions et plus particulièrement à l’une de leurs partenaires internationaux, Mme Mairead Maguire, prix Nobel de la paix, d’entrer en contact avec certains chefs de la rébellion pour les encourager à relâcher les jeunes Belges qui combattent dans leurs rangs.
Le fait que les volontaires belges combattent dans le camp des assassins du peuple syrien et des fossoyeurs de la paix intercommunautaire syrienne ne m’a guère empêché d’aider leurs familles ni de rencontrer Madame Milquet dont le gouvernement est formellement responsable du pourrissement de la situation en Syrie.
Je comprends parfaitement que Madame la ministre ait voulu ménager ses partenaires turcs en refusant de participer au débat sur la Syrie qui devait avoir lieu ce 28 mai à Bruxelles mais elle doit aussi savoir que sa réaction est le résultat de pressions exercées par une organisation terroriste, nommément le gouvernement AKP.
Le 11 mai dernier, la clique d’Erdogan a en effet participé à l’assassinat de 51 innocents dans un double attentat à Reyhanli, ville turque située à la frontière syrienne.
La gendarmerie turque affirme dans un rapport top secret fuité par Redhack, un groupe de hackers communistes turcs, que les voitures piégées qui ont servi dans ce massacre étaient suivies depuis le 25 avril par son unité du renseignement (Source : Oda TV, 22 mai 2013)
Les véhicules auraient été aménagés à Raqqa, en zone rebelle, par des terroristes d’Al Nosra.
Visiblement, les autorités turques ont laissé faire les terroristes au motif que le massacre de Reyhanli constituait l’alibi idéal pour convaincre les Etats-Unis et leurs alliés d’attaquer la Syrie.
Pour brouiller les pistes, le gouvernement AKP avait accusé deux groupes marxistes turcs « à la solde du régime syrien » (les Acilciler et le DHKP-C) d’être derrière les attentats de Reyhanli.
Le couac dans la version officielle du régime d’Ankara est que le groupe Aciliciler n’est plus actif depuis 33 ans et le DHKP-C, qui n’a jamais mené d’attaque armée contre la population civile, a fermement démenti toute implication dans ce massacre et signale par ailleurs qu’aucun de ses membres n’a été arrêté dans les coups de filet effectués au lendemain des attentats de Reyhanli.
La troisième anomalie qui embarrasse le régime turc vient de ses propres rangs : le vice-premier-ministre turc Besir Atalay a indirectement reconnu l’authenticité des câbles révélés par Redhack (source : Radikal, 23 mai 2013).
A la suite de la découverte du pot aux roses, la police turque a arrêté Utku K., un militaire suspecté d’avoir livré ces documents top secret aux « cyber-activistes rouges ».
Le soldat inculpé accomplissait son service militaire au Commandement de la gendarmerie d’Amasya (source : Milliyet, 24 mai 2013).
Si, pour rester crédible auprès de ses citoyens, Madame la ministre se refuse de s’asseoir à ma table en raison de ma prétendue infréquentabilité, elle aurait pu également s’abstenir de collaborer avec un Etat terroriste tel que le régime d’Ankara.
Madame Milquet vient en effet de signer un accord de sécurité et de lutte contre le terrorisme avec un régime qui héberge des criminels notoires recherchés par Interpol comme le terroriste irakien Tarek el Hachimi, accusé par Bagdad d’avoir commandité l’assassinat de plusieurs avocats, juges et hommes politiques irakiens.
Les partenaires turcs de Madame Milquet laissent quotidiennement passer à partir d’Antioche et d’autres poste-frontières, non seulement des djihadistes belges mais également des égorgeurs affluant du monde entier vers la Syrie dans le but de soumettre et au besoin, d’exterminer sa population.
J’ignore combien de décennies encore on prétextera le procès inique dont j’ai été innocenté pour m’éviter et surtout pour esquiver le débat et les questions qui fâchent sur la Syrie.
Que Mme Milquet accepte ou non de confronter ses arguments aux nôtres n’importe peu, l’essentiel étant qu’elle renonce à soutenir la guerre en Syrie et ailleurs.
La demande qu’elle a adressée aux parrains turcs du terrorisme en Syrie est à la fois un aveu d’échec de la politique étrangère belge et un pas positif correspondant aux demandes que nous avions exprimées dans une lettre ouverte adressée aux parents des jeunes Belges qui partent en Syrie (Voir ma Lettre ouverte aux parents des jeunes Belges qui se battent en Syrie).
Il convient de mentionner que Mme Milquet est la première ministre européenne à avoir brisé le tabou de la complicité entre le gouvernement Erdogan et les terroristes d’Al Qaïda et ce, malgré les manœuvres de diversion de l’AKP.
Certes, la réponse du berger turc Hayati Yazici le ministre des douanes et du commerce à notre bergère nationale à savoir la promesse d’ériger un mur de 2,5 km le long de la frontière turco-syrienne qui s’étend sur… 822 km (!) pour empêcher le passage… d’agents du régime syrien (! !) relève de la blague belge.
Nous répondrons à Mme Milquet avec une pointe d’espièglerie qu’à ce train-là, il lui faudra se rendre 328 fois en Turquie pour que le régime d’Ankara mure totalement sa frontière et empêche ainsi le passage des terroristes de la Turquie vers la Syrie et vice-versa.
Chacun sait que les murs ne résoudront rien.
Ce qu’il faut, c’est inciter le régime terroriste d’Erdogan à calmer ses ardeurs guerrières et à accepter de négocier avec son voisin syrien.
Madame la ministre est parfaitement consciente que la paix en Syrie dans le respect de ses institutions et de son peuple constitue l’unique solution durable permettant à nos enfants-soldats de survivre à cette guerre et de sauver le peuple syrien de son autodestruction.
L’option de la paix n’arrange certes ni nos marchands d’armes, ni nos fournisseurs de pétrole, ni l’intouchable allié israélien.
Il faudra pourtant s’y résoudre si l’on désire épargner notre planète d’une guerre mondiale qui marquerait peut-être la fin du genre humain et du petit Royaume de Belgique par la même occasion.
La Syrie incarne l’aube de notre civilisation. Si l’on n’éteint pas le feu qui la ronge depuis deux ans, elle finira par devenir notre ultime crépuscule.
Par conséquent, qu’importe si je sens le soufre, avec la poursuite de la guerre de Syrie, ça sent déjà le sapin pour nous tous.
Cela dit, si Mme Milquet estime que mon absence est une condition absolue pour sa participation au débat sur les jeunes qui partent en Syrie, je me retire de bon cœur dans l’intérêt des parents et du combat pour la paix en Syrie.
Source : Bahar Kimyongür pour Investig’Action.
Bahar Kimyongür est l’auteur de Syriana. La conquête continue.