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Guerre contre la Syrie : les États-Unis sont-ils hors-jeu ?


jeudi 6 juin 2013 –

Ramzy Baroud

« Rien n’illustre mieux les limites de la puissance occidentale que la controverse publique entre ses élites, sur ce que les États-Unis en particulier et les États d’Europe occidentale devaient faire à propos de la guerre contre la Syrie.

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Soldats syriens dans le village d’Arjoun près de Qousseyr – Photo : Reuters/Rami Bleible

Ces limites sont palpables à la fois dans le vocabulaire et dans les actes. Le vide politique et militaire créé par les échecs passés des États-Unis et leur retraite forcée d’Irak a permis à des pays comme la Russie de réapparaître sur la scène comme un acteur avec lequel il faut compter.

Il est encore plus révélateur que plus de deux ans après le drame syrien ,les États-Unis continuent à freiner leur implication, en se contentant d’aider indirectement les terroristes, à travers leurs alliés arabes et la Turquie. Même son discours politique est indécis, souvent inconsistant.

En totale opposition, la position de la Russie reste inébranlable et ne cesse de se renforcer, tandis que les États-Unis sont poussés dans un coin, incapable de réagir si ce n’est par des condamnations et de simples déclarations. Au grand dam de ses alliés arabes. La livraison récente par la Russie de missiles anti-navires sophistiqués et sa  concentration de navires de guerre en Méditerranée orientale est un bon exemple. L’initiative a été condamnée par l’administration Obama comme « inopportune et très regrettable », selon une déclaration faite par le général Martin Dempsey, président du Joint Chiefs of Staff, comme l’a rapporté le Los Angeles Times daté du 17 mai.

Mais cette attitude américaine dans la région est assez nouvelle. Il y a derrière les États-Unis une histoire terriblement sanglante et une politique étrangère inconsidérée. Indépendamment de la façon dont les États-Unis décide de se comporter sur la question syrienne, il y a des chances qu’un retour à son ancienne volonté dominatrice ne soit plus une option.

En effet, l’impuissance politique américaine actuelle au Moyen-Orient est sans précédent, au moins depuis la désintégration du bloc soviétique des années 1990. La dissolution de l’Union soviétique a ouvert la voie à l’émergence d’un monde unipolaire, entièrement dominé par les États-Unis. La montée d’une hégémonie américaine incontestée représentait un changement majeur dans le déroulement de l’Histoire, où les grandes puissances se faisaient concurrence et que le reste du monde s’adaptait plus ou moins bien à cette situation.

Ensuite, les États-Unis ont réagi rapidement pour affirmer leur domination en commençant par des aventures militaires hâtives comme l’invasion du Panama en 1989. Puis une initiative beaucoup plus calculée, suivie d’une guerre dévastatrice contre l’Irak en 1990-91. Au Panama, l’objectif était de rappeler aux voisins du Sud que le flic de la région était toujours en service et était capable d’intervenir au pied levé pour réorganiser le contexte politique en fonction de ce que Washington jugeait nécessaire. Comme cela avait été le cas lorsque la CIA orchestra un coup d’État et une guerre au Guatemala en 1954.

L’implication militaire massive des États-Unis en Irak, fut celle d’un conquérant accompagné d’ un aréopage de pays –  alliés régionaux et occidentaux – afin de revendiquer un butin résultant de la fin de la guerre froide. C’était une arrogante démonstration de force, alors que la cible était un pays arabe isolé avec des moyens militaires et économiques modestes sans aucune mesure à ceux des grandes puissances militaires venues de si loin. La guerre a ravagé l’Irak, et la campagne de bombardements aériens qui a précédé, a à elle seule largué 88 500 tonnes de bombes. Beaucoup de nouvelles armes ont été utilisées et testées, tandis que les médias américains et occidentaux en général célébraient les prouesses de leurs forces armées. Des centaines de milliers d’Irakiens sont morts ou ont été blessés à la suite d’une des guerres les plus asymétriques de l’Histoire.

Essayant de tirer le maximum de bénéfices et de triomphe militaire, Washington a poussé rapidement à un règlement politique entre son plus proche allié, « l’israël », et les pays arabes. La logique derrière la Conférence de Madrid en 1991 était de parvenir à une pseudo paix qui répondrait à l’intérêt de l’entité sioniste, tout en ouvrant la porte à la normalisation des relations elle et ses voisins arabes. En outre, les États-Unis espéraient parvenir à une sorte de « stabilité » qui lui permettrait de contrôler la région du Moyen-Orient et ses vastes ressources dans un environnement moins hostile. Finalement, l’entité sioniste a réussi à négocier son propre accord politique avec les Palestiniens, divisant ainsi les rangs arabes et veillant à ce que le résultat des prétendus « pourparlers de paix » soient entièrement compatibles avec ses ambitions coloniales.

Au fil des ans, les visions politiques américaines et sionistes se sont encore davantage rapprochées, Washington finissant par devenir un simple relais pour les objectifs coloniaux « israéliens ». Ce fait a été souligné à plusieurs reprises sous l’administration de George W. Bush, qui a aggravé l’ échec américain dans la région par des guerres encore plus désastreuses et dangereuses.

Un défaut majeur dans la politique étrangère américaine est d’être presque entièrement tributaire de la puissance militaire . La guerre américaine en Irak qui, sous diverses formes, a duré de 1990 à 2011, comprenait un blocus dévastateur et s’est terminée par une invasion brutale. Cette longue guerre était autant dénuée de scrupules qu’elle était violente. En plus de son coût humain énorme, elle s’intégrait dans une stratégie politique horrible visant à créer et exploiter des divisions sectaires  dans le pays, déclenchant ainsi une guerre civile et  une haine inter-communautaires .

Mais les limites de la puissance militaire américaine sont devenues  évidentes  les années suivantes. L’empire n’était plus en mesure de combler le fossé entre sa volonté de domination sur le terrain – elle-même de plus en plus contestée par des groupes locaux de résistance – et le minimum de progrès politique nécessaire pour atteindre un minimum de « stabilité ». Par ailleurs, une récession économique, couplée à la retraite d’Irak et à une débâcle tout aussi coûteuse en Afghanistan – a forcé la nouvelle administration à Washington, sous la direction du président Obama, à repenser les ambitions de l’époque de Bush pour l’hégémonie mondiale. Des coupes massives dans le budget militaire ont peu après suivi. Parallèlement, l’équilibre entre les puissances mondiales évoluait lentement, mais sûrement , en faveur de la Chine, apparaissant comme un nouveau concurrent possible.

Au milieu de cette phase de transition où l’on voit les États-Unis repenser leur politique, un bouleversement a frappé le Moyen-Orient. Ses manifestations – révolutions et guerres civiles, conflits régionaux et de toutes sortes – ont résonné au-delà du Moyen-Orient. Des empires sur le déclin ou émergents en prirent note. Des lignes de friction ont été rapidement fixées et exploitées. Les joueurs ont changé de position ou avançaient leurs paris, alors qu’un nouveau jeu allait commencer. Le soi-disant « printemps arabe » allait rapidement bouleverser une région qui paraissait pourtant résister à tout type de changement.

La transformation du Moyen-Orient – prometteuse à certains moments, très sanglante à d’autres – survint à un moment où les États-Unis procédait à des ajustements forcés dans ses priorités militaires. Les priorités placées sur les régions du Pacifique et la mer de la Chine du sud en sont des exemples. Sans y être très préparés, les États-Unis se vus contraint de renouer le dialogue avec le Moyen-Orient dans son ensemble – pas avec un pays à la fois. Ses faiblesses se sont alors retrouvées sérieusement exposés et son manque d’influence est devenu plus palpable.

« Faillite » est peut-être un terme approprié pour qualifier la politique américaine actuelle au Moyen-Orient. Les aventures militaires inconsidérées ont dévasté la région et aucun des objectifs à long terme n’a été atteint. Des politiques irresponsables  basées plus sur l’objectif d’exploiter que de comprendre le Moyen-Orient et son histoire complexe, ainsi que l’insistance à maintenir coûte que coûte une priorité en faveur de « l’israël » dans un contexte en plein bouleversement, ne sont probablement pas de bon augure pour les intérêts américains.

Mais contrairement au début des années 1990, lorsque les États-Unis s’activaient à remodeler toute la région et établissaient une présence militaire permanente, de nouvelles dynamiques forcent les États-Unis à changer de tactique. Dans cette nouvelle réalité, l’Amérique est incapable de transformer à son gré la réalité et n’essaie plus que de compenser ou contrôler ses effets défavorables.

« Ce que veulent les États-Unis (et l’Europe occidentale), c’est garder sous contrôle la situation », explique Immanuel Wallerstein. « Ils ne seront pas en mesure de le faire. D’où les cris des ’interventionnistes’ et les atermoiements des ’prudents’. C’est un perdant-perdant pour l’Occident ».

Ce scénario « perdant-perdant » pourrait ne pas se traduire nécessairement, dans un proche avenir, par une crise majeure dans la politique étrangère américaine, mais il va certainement ouvrir la possibilité pour les nouveaux/anciens protagonistes de réaliser des gains importants, la Russie étant le premier exemple venant à l’esprit. Cela obligera probablement les États-Unis à changer de tactique, en dépit des cris d’orfraie des forces néo-conservatrices et du lobby « israélien ».

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Ramzy Baroud (http://www.ramzybaroud.net) est un journaliste international et le directeur du site PalestineChronicle.com. Son dernier livre, Résistant en Palestine – Une histoire vraie de Gaza (version française), peut être commandé à Demi-Lune. Son livre, La deuxième Intifada (version française) est disponible sur Fnac.com

 

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