Il n’y aura pas d’État palestinien
novembre 23, 2012
Ce qui est gravissime est que tout l’appareil politico-médiatique continue d’accréditer la fiction des « deux États ».Or aucun gouvernement israélien – qu’il soit « extrémiste » ou « modéré » – n’a jamais songé à rendre les territoires volés. Leur but étant de parvenir, guerre après guerre, massacre après massacre, à la création d’un Grand Israël. Depuis 1948 ils ont appliqué leur plan ; procédé méthodiquement de façon à transformer toute la Palestine historique en partie intégrante d’Israël. Ce que nous disait l’avocat Ziyad Clot dans cet entretien de décembre 2010, toujours d’actualité, met en lumière l’imposture dans laquelle on continue d’entretenir un faux débat autour d’un improbable État palestinien.
Silvia Cattori : Votre récit au titre osé « Il n’y aura pas d’État palestinien » écarte d’entrée toute illusion de « paix » fondée sur « deux États ». Il jette un regard sans concession sur ces protagonistes palestiniens pris dans une logique de « pourparlers » contraires aux intérêts de leur peuple [1]. Durant deux décennies ils ont contribué de fait à légitimer la poursuite du projet israélien de colonisation, d’épuration ethnique et de répression. C’est tout cela que vous mettez à jour ! Une question taraude le lecteur. Quand vous avez été recruté par l’Adam Smith International (ASI) [2] pour travailler dans « l’Unité de soutien aux négociations » (« Negotiations Support Unit ») [3] comme conseiller juridique de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), étiez-vous bien au fait du mandat qui vous était confié ?
Ziyad Clot : Quand l’Unité de Soutien aux Négociations m’a proposé de travailler à Ramallah comme conseiller de l’OLP, j’ai longuement hésité. À cette époque, Israël était bien sûr toujours lancé dans cette spirale infernale de la poursuite de la colonisation du territoire palestinien -destructions de maisons, confiscations de terre, expulsions, etc,- mais, pour la première fois depuis la seconde Intifada, un cycle de négociation se mettait en place. Certes, l’Administration Bush était derrière cette initiative, ce qui n’était guère rassurant. Plus grave, la direction politique palestinienne était divisée entre Ramallah et Gaza. Mais l’Initiative de Paix Arabe était sur la table et, à mes yeux, ce nouveau cycle de discussions était sans doute la dernière chance d’une paix sur la base des deux États (qui reste la solution privilégiée par les peuples palestinien et israélien qui, dans leur grande majorité, ne souhaitent pas cohabiter).
J’ai fini par accepter ce poste en pensant que j’avais là une opportunité très intéressante de travailler sur le dossier des réfugiés palestiniens. J’ai pensé -et je le pense encore aujourd’hui– que, si la solution « deux États » n’était vraisemblablement pas viable à moyen et long terme, il y avait peut-être aussi là une dernière chance de conclure un accord sur cette base et de trouver une solution qui puisse éviter de nouvelles effusions de sang.
Dans le sillage de la conférence d’Annapolis –et au vu des réserves évoquées- j’avais le sentiment que ce cycle de pourparlers ne durerait sans doute pas. J’ai fait une erreur d’analyse. Les négociations d’Annapolis ont duré bien au-delà de mes attentes.
Au fil de l’année passée là-bas, j’ai rapidement compris qu’en fait ces négociations n’avaient pour les Israéliens rien à voir avec la recherche d’une solution de paix réelle, juste et durable. Au contraire, l’objectif était de garder sous contrôle l’Autorité de Ramallah, Hamas et la population palestinienne dans son ensemble et, en ce sens, de faire en sorte que perdure la division inter-palestinienne (Fatah-Hamas).
Silvia Cattori : Quand vous écrivez « le processus de paix est un spectacle, une farce, qui se joue au détriment de la réconciliation palestinienne, au prix du sang versé à Gaza », on comprend que c’est également une dénonciation à l’adresse de ces notables palestiniens qui se sont prêtés à cette « farce ». À quel moment est-il devenu clair pour vous que tout cela n’avait rien à voir avec la recherche d’une solution de paix ?
Ziyad Clot : Mon livre est un témoignage. Mon objectif est avant tout de « montrer ». S’il doit y avoir dénonciation, je crois que les principaux fautifs sont à rechercher du côté de ceux qui imposent les paramètres iniques du « processus de paix » sur ceux que vous appelez « les notables palestiniens ». Autrement dit, d’abord le Gouvernement israélien et ses alliés américain et européen.
Venant de France, je n’y voyais pas forcement très clair au début. J’avais évidemment une connaissance livresque de ce conflit, des intuitions, des doutes sur le bien-fondé de ces négociations. C’est devenu plus clair pour moi, en mars ou avril 2008, quand j’ai pris connaissance de l’article du journaliste David Rose publié par Vanity Fair [4] qui démontrait que l’Autorité palestinienne s’était engagée aux côtés des États-Unis dans un plan secret qui a finalement provoqué une guerre civile entre partisans du Hamas et du Fatah. David Rose se référait à des documents confidentiels établis par l’Administration Bush : essentiellement un « plan d’action pour la Présidence palestinienne » ayant pour objectif de se débarrasser du Hamas. Il nous apprenait qu’en échange de la participation de la direction de l’Autorité Palestinienne à ce plan secret, l’administration Bush avait laissé miroiter à ces dirigeants du Fatah, qu’elle leur faciliterait leur retour à la table des négociations.
L’article de David Rose venait confirmer que les négociations d’Annapolis devaient prolonger ce « processus de paix » trompeur qui, depuis Oslo, divise la population palestinienne et la maintient sous contrôle policier pour garantir la sécurité d’Israël par toute une série de mécanismes répressifs.
Les révélations de David Rose m’ont permis de reconstituer les pièces du puzzle. Elles sont venues compléter ce que j’ai appris au fil des semaines passées à Ramallah, et de mieux percevoir ce que ce pseudo « processus de paix » signifiait réellement. J’ai tout de suite pensé à démissionner. Car il ne m’était plus possible de penser que notre collaboration aux négociations de paix au sein de la NSU était totalement neutre et qu’elle ne participait pas elle aussi d’une certaine manière de ce plan secret qui conduisait à entretenir la division du peuple palestinien. Ceci pour dire qu’il m’a fallu quelques mois pour comprendre, avec certitude, que continuer à négocier dans ces conditions c’était œuvrer contre la réconciliation palestinienne.
Silvia Cattori : En avez-vous parlé à vos supérieurs ?
Ziyad Clot : Oui, mais la critique était d’autant plus délicate que j’entrais à peine en fonction… Surtout, comme tous mes collègues de la NSU, j’étais contractuellement mis à la disposition de l’OLP dans le cadre des négociations avec Israël, et dans ce cadre exclusivement. Comme tous les conseillers, j’avais pour consigne de ne pas interférer dans la politique palestinienne. Pour faire bref, nous n’étions pas embauchés pour critiquer ou remettre en cause « la ligne du Parti » mais pour la mettre en œuvre.
Le problème est que ladite « communauté internationale » met, elle, depuis longtemps son nez dans les affaires internes palestiniennes. Depuis 2006, elle s’est encore davantage impliquée en décidant que le Hamas, qui venait de gagner les élections, n’était pas un partenaire fréquentable et qu’il n’avait pas sa place dans un gouvernement d’union national palestinien. Le rôle de la NSU s’inscrivait donc dans le cadre de directives imposées.
De toute façon, malgré mes très sérieuses réserves, j’ai dû rapidement me résoudre à poursuivre mes fonctions compte tenu des enjeux liés à l’entame des négociations sur le dossier des refugiés avec les Israéliens, et dont personne au sein de l’OLP ne souhaitait prendre la responsabilité. J’ai pensé qu’en quittant le NSU, plus personne ne serait qualifié et réellement disposé à défendre autant que faire se peut le dossier des réfugiés palestiniens dans les pourparlers. J’aurais alors laissé la direction politique de Ramallah sans expert sur la question. À la lumière des enjeux en présence, qui étaient considérables, j’ai donc estimé qu’il était de ma responsabilité de rester tant que les pourparlers se poursuivaient,
Silvia Cattori : À votre avis, les partisans du Fatah, tout comme l’entourage d’Abbas, savaient-ils que, sous couvert de paix, la direction de l’OLP s’engageait à mettre en œuvre une politique qui tout en garantissant à l’occupant et à ses alliés des avancées, leur apporterait en contrepartie les financements nécessaires au maintien au pouvoir de l’Autorité de Ramallah ?
Ziyad Clot : Ce n’est pas comme cela qu’ils voient les choses…Quand l’Autorité Palestinienne s’engage dans un nouveau cycle de négociation, les décideurs à Ramallah ont toujours l’espoir de pouvoir stopper la colonisation, de convaincre les Israéliens et les Américains que le gel des colonies est dans l’intérêt de toutes les parties.
Surtout, il faut comprendre que depuis Oslo, ou plus exactement depuis la seconde Intifada, la direction de l’OLP à Ramallah n’envisage plus que les négociations comme moyen de parvenir à l’auto-détermination. Les raisons de cette obstination sont diverses. Je n’en citerai que quelques-unes :
Tout d’abord, il y a des centaines de millions de dollars et d’euros en jeu. Dès lors, à partir du moment où les négociateurs de l’OLP s’engagent dans la reprise des pourparlers de paix, il leur est très difficile de faire machine arrière sans prendre le risque que les fonds alloués à la reprise du processus de paix, à la construction de l’État palestinien etc. soient coupés. Et ce n’est pas seulement le devenir des « notables » de l’Autorité qui est en jeu ici : n’oubliez pas qu’environ un tiers de la population de Cisjordanie dépend aujourd’hui plus ou moins directement de ces financements internationaux…Tristement, le « processus de paix » est donc en quelque sorte devenu la raison d’être de l’Autorité Palestinienne et de quelques négociateurs. Si les négociations cessent, tout est remis en cause. A partir de là, un processus de dupes se met en marche et rien ne semble susceptible de le remettre en cause.
Ensuite, la Seconde Intifada -plus de 5000 morts côté palestinien- qui a fait suite à l’échec du Sommet de Camp David reste très présent dans les esprits de certains négociateurs de Ramallah. Ils ne veulent pas prendre le risque d’une nouvelle reprise des violences dont les Palestiniens souffriraient le plus. Pour cette raison encore, le processus de paix ne doit pas s’interrompre, même si ce n’est devenu qu’une illusion…
À ceci il faut désormais ajouter que la continuité du processus de paix, selon les paramètres imposés par Israël, les États-Unis et l’UE, est la garantie que l’Autorité et le Fatah soient assurés d’être maintenus au pouvoir (puisque le Hamas continuera à être ostracisé). Les promoteurs du « processus de paix » et une certaine frange du Fatah (certains parmi le Fatah sont critiques de la politique poursuivie par l’AP) ont donc trouvé un ennemi commun. Une partie des dirigeants du Fatah voue une haine féroce au Hamas. Haine qui n’a fait que s’accentuer après le coup d’État manqué contre le gouvernement du Hamas, et sa prise de contrôle de Gaza. Cela n’est pas étonnant. Du sang a coulé, il y a eu des morts et des souffrances des deux côtés. Souvenons-nous aussi qu’au départ, l’émergence du Hamas sur la scène politique palestinienne a été grandement encouragée par Israël de sorte qu’une partie de l’OLP et du Fatah ne peut le considérer comme un représentant du peuple palestinien qui puisse être « légitime » (surtout à la lumière du rôle historique joué par le Fatah et l’OLP).
Silvia Cattori : Les conférences d’Annapolis (le 27 novembre 2007) et celle de Paris, (le 17 décembre 2007), avaient-elles selon vous un lien avec le coup d’État manqué par le Fatah à Gaza en juin 2007 ? Étaient-elles pour les puissances occidentales et Israël, une autre manière d’aider le Fatah à réussir son plan de liquidation du Hamas [5] ?
Ziyad Clot : Oui, elles avaient un lien, elles relèvent de la même dynamique. Les États-Unis et Israël ont donné un certain nombre de gages à l’OLP en contrepartie des progrès réalisés termes de « sécurité ».
Ces conférences sont en réalité la rencontre de différentes parties aux intérêts et aux motivations diverses. Il y a de la part de l’OLP, Mahmoud Abbas et Saeb Erekat en tête, un véritable engouement. Cela se produit après une longue interruption de négociations. Ils continuent de croire que l’État palestinien est quelque chose de réalisable.
Quant à l’Administration Bush, après sa politique désastreuse dans le monde arabo-musulman, elle a dû estimer que pour regagner un peu de crédit dans la région et pour assurer la sécurité d’Israël, il fallait aller vers la création de l’État palestinien. Cet État a donc été envisagé comme une bonne solution pour Israël et pour les États-Unis, sachant qu’ils pouvaient s’appuyer sur ces « modérés » palestiniens prêts à combattre le terrorisme avec eux. (Comprenez les militants du Hamas et leurs autorités ndl).
Côté israélien, et c’est la grande ironie de l’Histoire, un certain nombre de dirigeants, parmi eux Ehoud Olmert et Ehud Barak, ont compris que si cet État palestinien -un vague État croupion à l’intérieur des frontières de 1967- ne se faisait pas dans un laps de temps bref, le projet d’ « État juif », Israël en tant qu’incarnation du projet sioniste, pouvait toucher à sa fin. Ehoud Olmert a même déclaré en novembre 2008 –même s’il faut faire la part de ce qui relève aussi d’une manœuvre politique– que, si l’État palestinien ne se réalisait pas rapidement, Israël risquait de se trouver confronté, à terme, à un mouvement anti-apartheid grandissant en Israël et dans les territoires palestiniens.
Israël et les dirigeants de Ramallah, avec des motivations différentes, ont donc eu, chacun à leur manière, intérêt à se remettre à la table des pourparlers. Le négociateur de l’OLP veut, lui, obtenir son État palestinien sur 22 % de la Palestine historique, selon le compromis « historique » accepté dans le cadre de la déclaration d‘Alger de 1988. Le négociateur israélien sait, lui, qu’il peut compter sur les États-Unis pour que cet État palestinien croupion se fasse selon ses propres termes. C’est-à-dire, qu’il y ait, en guise d’État palestinien, une constitution d’enclaves qui sauvegarderait la survie de l’État d’Israël et sa sécurité.
Silvia Cattori : À la Conférence de Paris les donateurs ont versé davantage que les 7 milliards demandés pour offrir à Salam Fayyad les fonds devant servir à la construction de l’infrastructure institutionnelle et sécuritaire du « futur État palestinien ». A votre avis, l’objectif non avoué des grandes puissances qui ont organisé la Conférence de Paris n’était-il pas de garantir à terme la mainmise du Fatah sur tous les leviers, à l’exclusion du Hamas ?
Ziyad Clot : Ces milliards ont vocation à mettre en place un État palestinien démocratique, libéral, vivant en paix et en sécurité avec Israël. L’essentiel de ces dépenses sont donc consacrées à la mise en place des infrastructures de cet État qui apporteraient ces dernières garanties. Cependant, quand vous y regardez de plus près, vous constatez que plus de 30% du budget de l’Autorité Palestinienne est alloué à la sécurité. Si vous comparez cela par exemple au budget des pays européens allouent au maintien de l’ordre, c’est effrayant. Une partie considérable de ces dons internationaux ont effectivement vocation à renforcer l’appareil sécuritaire de l’Autorité avec toutes les dérives que cela implique en termes d’autoritarisme et de violation des libertés fondamentales des Palestiniens.
Silvia Cattori : C’est tout de même un plan terrifiant que la direction de Ramallah a accepté de mettre en œuvre ! Si pour le président Bush l’objectif évident de la conférence d’Annapolis, et pour Sarkozy/Kouchner de la conférence de Paris, était l’affaiblissement du Hamas, vos collègues n’étaient-ils pas révoltés de travailler pour une direction palestinienne qui, en collusion avec l’occupant israélien, se livrait à des arrestations massives et à des tortures de jeunes résistants palestiniens, membres ou sympathisants du Hamas ?
Ziyad Clot : Ce n’est pas la direction de Ramallah qui élabore ces plans « terrifiants »… Si encore elle en avait la capacité ! C’est Israël qui impose ses volontés aux Palestiniens avec le concours des Américains et, dans une moindre mesure, des Européens.
Vous savez, tout ceci est surtout une question de point de vue. Chacun voit les choses en fonction de son vécu, de ses sensibilités, de ses intérêts et de ses objectifs. Pour certains, les résistants sont des terroristes. Pour d’autres, les modérés sont des « collabos »… Ce n’est pas à moi d’en juger. C’est l’Histoire qui juge de ce genre de choses. Et la vie sous occupation ne laisse malheureusement que peu d’alternatives aux Palestiniens.
Il y a sans doute au sein du Fatah des gens pour qui la justification de ce « processus de paix » demeure dans la droite ligne de ce que disait Rabin : « Je continuerai à négocier quelques soient les circonstances du moment ; en revanche je combattrai de toutes mes forces les terroristes et les opposants au processus de paix ». On est toujours prisonnier de ce prisme-là plus de 15 ans après les accords d’Oslo, dont il faut pourtant admettre que la logique a échoué. C’est aussi pour cela que le discours, le leurre, du « processus de paix » continue. Parce que, si on ne parle plus d’État palestinien, si on ne parle plus de processus de paix, la politique belliciste menée vis-à-vis du Hamas par Israël, l’OLP, les États-Unis et l’Union européenne, n’a plus de raison d’être. La politique violente contre le Hamas -son exclusion, le blocus de Gaza, ainsi que les condamnations du Quartet ou autres- est une approche qui ne peut subsister qu’aussi longtemps que l’on peut véhiculer l’idée qu’il y a des « modérés » du côté de Ramallah avec qui ont peut négocier, que ce n’est qu’avec eux qu’on peut parler, que la justice et la paix se trouvent de ce côté-là etc.
Ce processus de négociations va donc de pair avec la démilitarisation, non seulement du Hamas, mais de toutes les factions ou personnes capables de reprendre la résistance armée ou autre. Le danger pour la direction de Ramallah, ce ne sont d’ailleurs pas seulement les factions susceptibles de mener une résistance armée, mais aussi ceux qui luttent pour la liberté d’expression. Une bonne partie des mouvements de la société civile qui critiquent le gouvernement et disent qu’il y a une autre voie entre la résistance armée et la négociation avec Israël sont menacés.
Silvia Cattori : La collaboration de la direction du Fatah avec les forces occupantes est un aspect particulièrement révoltant. Elle ne peut être passée sous silence. Mais cette direction du Fatah, après toutes les concessions faites à l’occupant, qu’a-t-elle gagné en retour ?
Ziyad Clot : La direction de Ramallah a beaucoup perdu dans cette aventure. En février 2008 quand l’armée israélienne mène des opérations militaires contre la population de Gaza, Saeb Erekat déclare officiellement : « On arrête les négociations ». Or, en secret, les négociations se poursuivent.
L’opinion publique, les gens qui en Palestine connaissent l’incapacité de l’OLP à obtenir l’arrêt de la colonisation, ne croient pas aux promesses faites à la conférence d’Annapolis. D’où le choix des négociateurs de l’OLP à aller le plus souvent en secret à des rencontres avec les Israéliens. Ces dirigeants ne peuvent plus rendre compte de rien. Ils se trouvent dans une position de plus en plus délicate vis-à-vis de l’opinion. J’ai pu voir cela sur le dossier des réfugiés. Il y avait de la part de la direction politique de Ramallah une incapacité criante à rendre des comptes. Ils sont noyés dans leurs contradictions. Mais comment peut-on négocier avec les Israéliens, sous occupation, confrontés à des contraintes insurmontables ?
Je me souviens d’une réunion, en mai ou juin 2008, où nous devions rendre compte de l’avancée des négociations d’Annapolis à des diplomates de l’UE, des États-Unis, des Nations unies. Je me souviens très bien des instructions données à la NSU. Nous étions prévenus que, s’il nous était demandé ce que l’on pensait des discussions sur Jérusalem, on devait répondre que le dossier avançait également mais que nous ne pouvions pas en parler pour des raisons de confidentialité. En réalité, il n’y avait aucun progrès sur Jérusalem, aucune discussion sur les modalités de sa partition… Mais nous étions tenus de donner l’impression que, malgré les difficultés, les choses avançaient.
Il ne fallait surtout pas dire que ce dossier était bloqué parce que, si on disait cela aux « partenaires » américains et européens, ou encore si le peuple palestinien apprenait que Jérusalem n’était même pas réellement sur la table des négociations, les « négociateurs » perdaient toute crédibilité. Or, en réalité, pour tout homme politique israélien, Jérusalem est intouchable. Ehud Olmert et Tzipi Livni ont fait comprendre d’entrée qu’il n’était pas question de mettre Jérusalem sur la table de négociations. Et de préciser que c’est seulement si le « processus de paix » avançait que la question de Jérusalem serait discutée, mais en toute fin de négociation.
Plus grave encore pour la direction du Fatah, le processus d’Annapolis a débouché sur l’invasion et les massacres de Gaza (en décembre 2008-janvier 2009 : plus de 1400 morts et des milliers de blessés graves). Il s’agit d’un tournant pour le Fatah, -historiquement à la tête du mouvement national palestinien au sein de l’OLP- qui a lourdement failli dans son rôle de représentant des Palestiniens.
Silvia Cattori : En somme, ces négociations sont-elles devenues pour ces dirigeants de l’OLP un fonds de commerce très profitable ?
Ziyad Clot : C’est devenu un fonds de commerce, de toute évidence. Profitable ? J’en doute, puisque ces négociations ont largement contribué à saper leur crédibilité auprès de leur peuple. Certains dirigeants de l’OLP sont devenus des professionnels de la négociation. Il y a de nombreuses personnes qui vivent là-dessus.
Mais la réalité, connue des Palestiniens, c’est qu’aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose à négocier. Quand vous regardez la carte, entre la colonisation et Jérusalem-Est qui est sous la totale emprise israélienne, Israël est largement arrivé à ses fins. Jérusalem-Est est devenue pratiquement la capitale réunifiée israélienne et les colons israéliens sont installés en Cisjordanie où cela leur convient. Aujourd’hui, Il y a des intérêts financiers immenses autour de l’Autorité Palestinienne. Il y a des milliers de Palestiniens dans les territoires et en dehors qui en vivent. Plus largement, au-delà de l’Autorité elle-même, il est effarant de constater le nombre de postes qui ont été créés depuis près de vingt ans au niveau des organisations intergouvernementales, au niveau des diplomaties occidentales, au niveau des ONG, pour soutenir ce « processus de paix » et tout ce qui va avec.
La conclusion à laquelle j’arrive est que le « processus de paix » n’est pas seulement un spectacle mais que c’est aussi un « business » avec quantité d’organisations en tout genre et d’individus qui en vivent : des diplomates, journalistes, experts en tout genre -dont je faisais du reste partie lorsque je travaillais comme conseiller juridique auprès de l’OLP- qui ont des intérêts propres à la poursuite dudit « processus de paix ».
Ce sont ces centaines de millions de dollars et d’euros investis chaque année à perte qui -doublés de l’incapacité à condamner Israël pour ses agissements- expliquent cette fuite en avant, alors même que l’objet des négociations -le territoire palestinien, Jérusalem-Est comme capitale de l’État palestinien, l’eau etc,- a malheureusement largement disparu aujourd’hui.
Il est plus que temps de s’interroger sérieusement sur la raison d’être de la poursuite des soutiens au « processus de paix », de se demander s’ils ne desservent pas l’objectif de paix initial, en acceptant de financer une situation d’occupation sans exiger la moindre contrepartie de la part des Israéliens.
Silvia Cattori : Vous êtes parti. D’autres continuent de participer à ce « business de la paix » [6]. Le sort de ces Palestiniens, qui savent et voient tout cela se faire au prix de leurs souffrances, n’en devient-il pas que plus insupportable ?
Ziyad Clot : Tous les Palestiniens ne souffrent pas au même degré de ce « business » de la paix. Même si les conditions de vie en Cisjordanie sont difficiles, même si ce territoire reste sous occupation, il y fait mieux vivre que dans la Bande de Gaza, qui est, elle, exclue de ce « business »…Tristement, la situation que vit la Cisjordanie -et plus particulièrement Ramallah- peut donc sembler être un moindre mal.
Pour en revenir à mon expérience personnelle, j’ai pu démissionner parce que j’ai un passeport français (j’ai donc pu retourner en France quand mon visa n’a pas été renouvelé par les Israéliens) et que cette décision n’engageait que moi (je n’ai pas de famille dans les territoires et de personne à charge). C’était donc sans doute moins difficile pour moi de démissionner.
Il ne faut pas oublier que la majorité des Palestiniens n’ont pas ce luxe. Beaucoup de Palestiniens, beaucoup de gens de qualité, trouvent dans ces organisations présentes sur place des postes intéressants et de bons salaires et je comprends tout à fait qu’ils y restent. Ils s’accrochent à leur terre, par tous les moyens possibles. C’est louable.
On aime aussi toujours se convaincre que l’on peut changer les choses de l’intérieur. Moi-même, j’ai eu la faiblesse de le penser puisque j’ai accepté ce poste de conseiller dans le cadre des négociations israélo-palestiniennes.
La réalité est malheureusement cruelle : ce « business » alimente désormais une vaste entreprise criminelle, dont la population de Gaza souffre le plus. Le « processus de paix » est en fait un « processus de contrôle », générateur de divisions et de fragmentation pour les Palestiniens, dont l’objectif est d’assurer la sécurité d’Israël. C’est cela la situation héritée plus de 15 ans après d’Oslo.
L’OLP a reconnu Israël. Et Israël a exigé que l’ « occupé » palestinien ne devienne pas une « menace » pour sa sécurité, sans pour autant reconnaitre ses droits. Quand l’occupé résiste, il est mis hors-jeu, il est ostracisé.
En définitive, le « processus de paix » est un écran de fumée qui masque très bien ce qu’est la réalité vécue par le peuple palestinien.
Il est même devenu depuis longtemps, et encore davantage depuis 2006, un moteur du conflit israélo-palestinien.
Silvia Cattori : Pour cette majorité de Palestiniens qui, en 2006, a voté pour le mouvement Hamas, et qui a eu à pâtir du fait que le bloc occidental continue de porter à bout de bras la direction du Fatah, n’est-il pas révoltant de savoir que le Mouvement de solidarité international contribue lui aussi à la division inter-palestinienne en apportant un soutien politique et financier uniquement aux forces et ONG considérées comme « laïques », à l’exclusion des ONG caritatives musulmanes du Hamas ?
Ziyad Clot : Je ne crois pas être compétent pour vous dire quel est l’état d’esprit des Palestiniens sur cette question. Et je serais bien incapable de vous dire pour qui voteraient aujourd’hui les Palestiniens, si des élections étaient organisées dans les Territoires. Je sais juste qu’il y a aujourd’hui au sein d’une grande partie de l’opinion palestinienne un très fort ressenti tant à l’encontre du Fatah, que du Hamas.
Au regard de mon expérience, je ne peux vous dire que ceci : ce n’est qu’une fois en Cisjordanie que j’ai acquis la conviction qu’il n’y avait rien de positif à attendre des négociations de paix et de l’Autorité palestinienne. Or une bonne partie des gens que l’on peut rencontrer en Europe, aux États-Unis ou ailleurs, qui sont sensibles au sort des Palestiniens et de bonne foi, pensent encore que ces négociations peuvent aboutir avec l’Autorité comme seul interlocuteur. C’est ce que je constate en voyant des diplomates français, engagés dès la première heure auprès des Palestiniens ; ou des arabisants s’émouvoir quand on mentionne des personnalités du Fatah ou de l’OLP. Il faut se rappeler qu’il a fallu attendre des décennies pour que l’OLP soit acceptée par l’opinion internationale. Et aujourd’hui, quinze ans après leur acceptation internationale comme représentants du peuple palestinien, porter un regard juste, et donc critique, sur cette génération de dirigeants palestiniens « historiques » n’est pas facile pour eux. Ils ont une tendance naturelle à tout leur excuser, à les soutenir envers et contre tout. D’autant que la rhétorique de ces représentants de l’OLP qui gravitent depuis plus de trente ans dans les cercles de l’ONU, de l’UE, ou des mouvements de solidarité, est acceptable pour les militants ou les diplomates lambda de Paris, Genève ou Londres et pour l’opinion publique. Quand ils disent : mon État va être démocratique, libéral, laïc, et je me porterai garant du respect de la liberté de culte et des droits des femmes, etc, leur discours est bien accueilli. Et c’est compréhensible car c’est un bon discours !
Le problème c’est que le résultat des urnes n’a pas été respecté en 2006 et que le discours sur l’État palestinien n’est plus aujourd’hui en phase avec la réalité.
La solution à deux États je n’y crois plus, même si le Fatah comme le Hamas partagent toujours ce même objectif. À un moment donné, j’ai pensé effectivement que cette alternative pouvait apporter un certain nombre de garanties, ne serait-ce que parce que, d’un simple point de vue sécuritaire, demain, s’il n’y a un État unique –un État unique, binational ou une confédération serait la solution qui est la plus à même de prospérer à long terme– c’est un nouveau 1948. Dans un tel cas de figure, les Israéliens auront la main forte et seront en position d’exercer les pires violences sur les Palestiniens qui résident en Israël et dans les territoires occupés. Il faut garder ce risque très présent à l’esprit.
Les Israéliens ont réussi à gravement affaiblir le mouvement national palestinien en le divisant et en rendant son objectif affiché depuis 1988 (la constitution d’un État viable, souverain et indépendant aux côtés d’Israël) irréalisable.
Aujourd’hui, vous avez une fragmentation immense du peuple palestinien ; des composantes en Cisjordanie, à Jérusalem Est, à Gaza coupée de la Cisjordanie. Des composantes dans les camps de réfugiés et dans la diaspora en exil.
C’est une situation qui peut sembler totalement inextricable à court terme. A mon sens, la seule manière de sortir un jour de cette situation est de refonder le mouvement national palestinien sur la base du « one man, one vote ». C’est-à-dire, sur la base de l’exigence que tout citoyen ou tout individu, qu’il soit Israélien ou Palestinien, a droit à la reconnaissance et à l’exercice de l’ensemble de ses droits humains, civils et politiques en Israël/Palestine. Je crois que c’est la seule manière de permettre à ces différentes composantes de pouvoir se réconcilier. Pourquoi ? Parce qu’on est arrivé aujourd’hui à une situation où les intérêts politiques des différentes composantes du peuple palestinien sont devenus divergents.
Silvia Cattori : Pouvez-vous donner un exemple ?
Ziyad Clot : Prenons l’exemple de la population de Gaza assiégée. Son intérêt est la fin du blocus et de pouvoir retrouver un minimum de dignité et de droits ; pour cela, il faut qu’il soit mis fin à cette absurdité du « processus de paix » qui l’ostracise. Donc, l’intérêt de Gaza est aujourd’hui en complète contradiction avec l’intérêt de la direction de Ramallah qui a, elle, intérêt à poursuivre les négociations avec Israël. Donc il y a là une première divergence d’intérêts entre la population de Gaza et la direction de Ramallah. Ou, en tous cas, entre les directions politiques de Gaza et de Ramallah.
Une deuxième contradiction, un deuxième conflit d’intérêts, a émergé depuis que les autorités israéliennes revendiquent la reconnaissance d’Israël en tant qu’« État juif ». Il y a aujourd’hui une direction à Ramallah, qui se languit d’avoir son État, et qui réalise que pour l’obtenir il sera fait pression sur elle pour qu’elle reconnaisse le caractère « juif » de l’État d’Israël. Autrement dit, qu’elle mette sur un siège éjectable toute la population des Palestiniens de 1948 qui résident en Israël et qui sont citoyens de cet État. Ici git un deuxième conflit d’intérêts potentiel entre les Arabes israéliens et l’Autorité Palestinienne de Ramallah.
Une troisième contradiction est celle posée par les réfugiés en attente de pouvoir revenir chez eux. Et cela, mon livre le montre très bien. En gros, à Annapolis, on a dit aux Palestiniens : « On veut bien vous donner un État, mais vous devez laisser tomber le retour des réfugiés car vous savez très bien que cela n’est pas acceptable pour nous ». C’est le troisième grand conflit d’intérêts entre les différentes composantes du peuple palestinien. A savoir que le projet national palestinien de la constitution d’un État, à la lumière de ce qu’il est devenu au gré de l’avancée de la colonisation israélienne et de l’affaiblissement de l’OLP, est en contradiction avec une chose qui demeure fondamentale pour la majorité des Palestiniens : la reconnaissance du Droit au retour, de leur histoire, de leur identité, de leurs droits, etc.
En conclusion, la seule manière de créer un avenir qui soit acceptable par tous les Palestiniens, est de concentrer ses revendications sur les droits individuels de chaque Palestinien dans le cadre d’un État unique, binational ou d’une confédération avec Israéliens. Cela, il s’agirait désormais de s’y préparer au plus vite. Et entre temps, il est essentiel de focaliser toute son attention et ses efforts sur la question de la gestion des risques humains qui pourraient se profiler dans un futur proche. Car si, un jour, l’Autorité Palestinienne doit s’effondrer, je peux vous dire que les risques engendrés vont être immenses. Nul ne peut imaginer ce qui va se passer. Même si je pense que cette Autorité est devenue une assez sombre chose et un obstacle à l’auto-détermination palestinienne, il y a un énorme risque à s’engager sur la voie de son démantèlement. Il serait en tout cas suicidaire de le faire sans une réflexion approfondie et sans la consultation des Palestiniens.
Entretien réalisé le 12 décembre 2010.
Ziyad Clot, jeune avocat français de mère palestinienne, conseiller juridique auprès de la direction de l’Organisation de Libération de la Palestine à Ramallah durant l’année 2008, est l’auteur du livre : « Il n’y aura pas d’État palestinien. Journal d’un négociateur en Palestine » (Editions Max Milo). Son récit dense et touchant, très agréable à lire, est un témoignage clé.
Silvia Cattori
[1] Dès le début des pourparlers d’Oslo, c’est la sécurité d’Israël qui a été mise au centre des discussions et non pas l’exigence pour l’occupant de reconnaitre le droit des Palestiniens à vivre librement sur leur terre.
[2] Adam Smith International (ASI) est un Think tank britannique dont la ligne politique promeut le marché libre et les idées libérales. C’est à l’ASI qu’il a été demandé en 1999 de mettre en place à Ramallah la « Negotiation Support Unit » pour servir de conseil à l’OLP.
[3] Voir : « Empty heads and full pockets », par Khaled Amayreh, Al-Ahram Weekly, 6 décembre 2007. Cet article relève que : « La NSU est financée et effectivement contrôlée par l’Adam Smith Institute (ASI), un think-tank basé à Londres qui est vulnérable aux pressions des milieux pro-israéliens. Ainsi, par exemple, il y a deux ans, l’ASI a obligé la NSU à licencier deux juristes Palestino-Américains hautement qualifiés, Michael Tarazi et Diana Buttu, pour être allés trop loin dans la défense des droits des Palestiniens, en particulier lors des débats télévisés avec des porte-paroles israéliens. »
[4] Voir :
« The Gaza Bombshell », par David Rose, Vanity Fair, 3 mars 2008.
et une traduction française partielle de cet article
[5] La Central Intelligence Agency (CIA), finance et entraîne, avec une intensité accrue depuis 2008, la Force de sécurité préventive et le Service Général de Renseignement en Cisjordanie. Ces deux services de sécurité répressifs à l’usage de la direction du Fatah à Ramallah–placés sous le commandement du général US Keith Dayton- sont responsables de l’arrestation de milliers d’opposants, notamment des partisans du Hamas ; détenus sans procès et soumis à des tortures il n’y a jamais eu, à notre connaissance, aucune mobilisation en leur défense.
[6] International Assistance to the Palestinians after Oslo, a établi que 8 milliards ont été alloués à l’Autorité Palestinienne entre 1994 et 2006 pour son développement et des opérations d’assistance de première nécessité. Ces fonds, qui s’ajoutent à l’aide bilatérale etc, dispensent à Israël de devoir assumer financièrement ses obligations d’occupant. Voir le livre : « International Assistance to the Palestinians after Oslo : Political Guilt, Wasted Money », par Anne Le More, Routlege, 2008.