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La genèse de la crise en Syrie et la guerre perpétuelle des Etats Unis


Elena Ponomareva

8 octobre 2013

Pourquoi les gens détestent les USA ? Selon Charles Austin Beard, « après la victoire sur le Japon en 1945, les USA ont commencé à mener une « guerre perpétuelle pour la paix perpétuelle ». Pour leur part, Ziauddin Sardar et Merryl Wyn Davies comptent 124 interventions étasuniennes dans différentes parties du monde dans la période comprise entre 1890 (l’opération militaire des USA en Argentine) et 2001 (le début des opérations en Afghanistan). L’objectif principal d’une « résolution définitive » de la question syrienne continue d’être la démonstration à la Russie et à tous les autres pays que les Etats Unis contrôlent le monde. Pourtant, pour quelles raisons Washington a attendu une « résolution définitive » de la question syrienne jusqu’à l’heure actuelle ? Pourquoi recourir à son schéma éprouvé et véritable de provocation ? Et pourquoi l’a-t-elle préparé si mal ? Décryptage de la stratégie du chaos en cours…

Durant la Grande Dépression, Franklin Delano Roosevelt, le 32ème président des Etats Unis et un des hommes d’état les plus éminents de la première moitié du XXème siècle, a dit que l’une de ses principales préoccupations était d’éviter que les banquiers et les hommes d’affaires se suicident. Cette préoccupation émouvante est devenue une énorme tragédie pour toute l’humanité : la Seconde Guerre Mondiale fut déclenchée principalement par des industriels et des financiers américains. Plus de 54 millions de personnes sont mortes durant cette guerre, et 118 millions furent blessées.

La Seconde Guerre Mondiale a résolu une bonne partie des problèmes de la constitution étasunienne, mais pas tous : l’Union Soviétique n’a pas seulement survécu, elle est aussi devenue une super puissance. Mais Roosevelt a réussi son objectif principal, ainsi qu’un petit bonus : les Etats Unis sont devenus un centre financier mondial. En juillet 1944, dans la petite localité de Bretton Woods, lors d’une conférence internationale des vainqueurs, on fonda des institutions telles que la Banque Internationale de Reconstruction et Développement (IBRD, et à partir de 1960 Banque Mondiale) et le Fond Monétaire International (FMI). À ce moment, on déclara le dollar des USA comme monnaie mondiale, aussi bonne que l’or. À ce moment, les Usa contrôlaient 70% des réserves mondiales d’or. À l’intérieur des USA, on comptait 129 millions de dollars en économie liquide (une quantité colossale même pour les standards actuels !)

Cet argent « gagné » par les banquiers et les industriels américains sur la souffrance et la mort de millions de personnes, fut un puissant stimulus pour la production de biens de consommation et la construction de capitaux, pour ne pas parler de la position internationale qu’acquirent alors les Etats Unis. Même Z. Brzezinski, un russophobe et ennemi idéologique de notre pays [Russie], a admis : « Paradoxalement, alors que la défaite de l’Allemagne nazie a élevé le statut global des USA, ces derniers n’ont pas joué un rôle décisif dans la déroute militaire de l’hitlérisme. Le crédit dans ce sens en revient à l’Union Soviétique staliniste ». De toute façon, c’est après la dernière guerre mondiale que furent posées les bases d’une hégémonie moderne des USA.

Depuis lors, les USA ont une grande et terrible règle, un unique modèle de comportement : la résolution de ses propres problèmes doit toujours être obtenue aux dépens d’autres pays et peuples. Tout au long de la période d’après-guerre, les USA ont eu recours à l’agression chaque fois qu’ils ont rencontré des problèmes économiques ou qu’il était nécessaire de dévier l’attention des mesures économiques impopulaires à l’intérieur du pays.

Par exemple,, la guerre de Corée fut une réaction à la récession économique de l’après-guerre en 1949. L’invasion du Liban se produit comme conséquence de la récession de 1957-1958. L’agression contre le Vietnam fut la réaction à la crise économique de 1967, et le « lancement » de Carter d’une seconde vague de la guerre froide fut une réaction à la chute [géopolitique] de 1979 [référence à la révolution islamique en Iran et au triomphe sandiniste au Nicaragua]. Ceci fut l’approche d’une certain « Keynésianisme militaire » que Reagan eut au Nicaragua et à la Grenade [île des caraïbes envahie par les USA en 1982].

Pour ne pas parler des interventions des USA/OTAN à grande échelle au 21ème siècle comme en Afghanistan, en Irak et en Lybie. Beaucoup d’érudits et d’écrivains ont également remarqué la nature agressive de la politique extérieure des USA comme une réaction à des problèmes internes. Par exemple, Charles Austin Beard (1874-1948), l’historien le plus influant de la première moitié du vingtième siècle, et un des fondateurs de l’école d’historiographie économique américaine, auteur de quatre volumes de « L’émergence de la civilisation [nord]américaine », croit qu’après la victoire sur le Japon en 1945, les USA ont commencé à mener une « guerre perpétuelle pour la paix perpétuelle ».

En utilisant Beard comme point de départ, l’éminent écrivain libéral étasunien Gore Vidal rassemble plusieurs interventions militaires et autres opérations menées à terme par les USA jusque 2001 dans plusieurs pages de son livre « Comment nous avons réussi à être autant détestés ». L’auteur, « par compassion pour les lecteurs », n’a pas inclus les opérations militaires menées à terme pas la CIA dans plusieurs pays, comme par exemple au Guatemala (1953) ou en Iran (1953), quand Mossadegh fut renversé, ou au Chili, quand Allende fut renversé, etc. Mais le plus important, comme Vidal le fait remarquer, c’est que « dans ces nombreuses centaines de guerres contre le communisme, le terrorisme, les drogues, entre Pearl Harbor et le 11 septembre 2001, nous avions l’habitude de partir en guerre, donner le premier coup ; mais désormais nous sommes les gentils, nous en avons le droit ».

De la même manière, dans leur livre « Pourquoi les gens détestent les USA ? », Ziauddin Sardar et Merryl Wyn Davies comptent 124 interventions étasuniennes dans différentes parties du monde dans la période comprise entre 1890 (l’opération militaire des USA en Argentine) et 2001 (le début des opérations en Afghanistan). Et, comme les auteurs le signalent, les provocations ont toujours occupé une place de choix dans la politique interventionniste des USA. Exemples ? Partout et par tous les moyens.

En 1898, une explosion fut organisée sur le bateau « Maine » [à la Havane], et les espagnols furent accusés. Et le résultat fut une déclaration de guerre des USA à l’Espagne.

Le 7 mai 1915, les USA mirent le Lusitania en ligne de feu des sous-marins allemands. Avec son nom peint sur l’extérieur et aucun drapeau de quelque pays que ce soit, il entra dans une zone désignée par le gouvernement allemand comme « zone de guerre sous-marine ». Sous ces conditions de guerre, le Lusitania fut torpillé par un sous-marin allemand et fut coulé. Près de 1.200 personnes furent tuées parmi les 1.958 qui étaient à bord. Cet incident fut utilisé comme pression informative sur l’opinion publique de beaucoup de pays et les attitudes changèrent drastiquement envers l’Allemagne.

En 1941, Roosevelt était bien informé des préparatifs de l’attaque de Pearl harbor, mais ne fit rien, car il avait besoin d’une raison pour entrer en guerre.

En 1964, l’incident de Tonkin servit de prétexte pour commencer la guerre du Vietnam.

L’explosion des Tours Jumelles le 11 septembre 2001 devint un prétexte pour une intervention militaire en Afghanistan.

Un programme nucléaire mythique fut le prétexte pour la destruction de l’Iraq. Le prétexte nucléaire cerne actuellement l’Iran et la Corée du Nord. Et désormais, les armes chimiques en Syrie.

Arno J. Mayer, professeur émérite d’histoire à l’Université de Princeton, ne put point publier aux Etats Unis son article « Réflexions intempestives sur l’Etat du monde », tandis qu’il le fit dans le journal français « Le Monde ». Citation : « Jusqu’à présent, dans les temps modernes, les actes de terrorisme individuel ont été l’arme des faibles et des pauvres, tandis que les actes de l’Etat et de la terreur économiques ont été l’arme des forts. Dans chaque type de terrorisme, il est, bien entendu, important de distinguer l’objectif de la victime. Cette distinction est cristalline dans l’attaque réussie du World Trade Center : la cible était un symbole important et un centre de pouvoir de la globalisation économique et financière des entreprises » (…) De toute façon, depuis 1947, les USA ont été les auteurs principaux et les pionniers du terrorisme d’Etat « préventif », exclusivement dans le Tiers Monde, et pour la cause très dissimulé. En plus de la subversion non exceptionnelle et le renversement des gouvernements dans sa bataille avec l’Union Soviétique durant la Guerre Froide, Washington a eu recours à des assassinats politiques, des escadrons de la mort et des combattants pour la liberté (par exemple, Ben Laden). Ils ont planifié l’assassinat de Lumumba et d’Allende, tenté sans succès de faire mourir Castro, Kadhafi et Saddam Hussein…et ont toléré la violation des conventions internationales et des résolutions de l’ONU ».

La genèse de la crise syrienne surgit de la nature même de l’hégémonie des USA. Pourtant, pour quelles raisons Washington a attendu une « résolution définitive » de la question syrienne jusqu’à l’heure actuelle ? Pourquoi recourir à son schéma éprouvé et véritable de provocation ? Et pourquoi l’a-t-elle préparé si mal ? Le caractère manipulateur des images de la vidéo distribuée dans le monde comme « preuve » de l’attaque chimique soit disant perpétrée par l’armée syrienne était évident dés le jour suivant !

Le fait qu’il s’agissait d’une provocation fut confirmé le 9 septembre lors d’une réunion informative de la 24ème session du Conseil des Droits Humains de l’ONU nommée « les Droits Humains et les conflits armés : la menace de la force des USA en Syrie et le Droit International ». Comme ce fut signalé dans un communiqué de presse sur les résultats de la réunion, « il y a des éléments convaincants qui montrent que la vidéo et les photos des victimes des attaques chimiques dans la périphérie de Damas le 21 août ont été fabriquée bien avant. Les témoignages de nombreux témoins confirment unanimement que ce sont les rebelles qui ont utilisé des armes chimiques dans l’est du village de Ghouta. Les résultats des enquêtes sur les faits menés à termes par des activistes et les témoignages de témoins présents furent remis à la Commission Internationale Indépendante d’Enquête sur la Syrie ».

Mais pourquoi les USA agissent ainsi ? Cela va contre les principes d’un leader mondial, et l’ONU n’est plus un organisme étasunien.

Comme ce fut mentionné, les USA sont habitués à résoudre leurs problèmes via un banditisme international. Ceci est la racine même de la crise en Syrie, et la raison de son escalade.

En premier lieu, l’économie des USA est en train d’arriver à un « précipice fiscal ». Dans de telles conditions, les promesses qu’Obama a faites durant sa campagne électorale – baisser les impôts, augmenter les salaires et légaliser les immigrants – sont impossibles à tenir. Une situation de stagnation a pris forme dans le pays, conjuguée à une chute de la popularité d’Obama et de son équipe. Les assesseurs et analystes de la Maison Blanche ont vu une sortie de secours dans une « petite guerre victorieuse ». Il serait difficile de trouver un endroit plus adéquat pour cela que la Syrie. Et la résolution des problèmes économiques internes via une intervention militaire est une « vieille » tradition anglo-saxonne.

En second lieu, les forces derrière Obama soutiennent activement et mettent en pratique le projet du « chaos contrôlé », depuis la Mauritanie jusqu’au Kirghizstan ou au Cachemire. L’ « Arc d’instabilité » qui a été initié dans les Balkans doit, en accord avec leur logique, arriver en Russie et en Chine.

Cependant, un « problème » est apparu sur le chemin de la déstabilisation mondiale : la Syrie. Et Damas est un allié de trois grandes puissances en même temps : la Russie, la Chine et l’Iran. Pour la Russie, les syriens ne sont pas seulement des alliés, ce sont des amis, comme Vladimir Putin l’a souligné.

La Stratégie du « chaos » est nécessaire pour des raisons bien spécifiques. Une d’elles et le transit des hydrocarbures. Et ici, le facteur russe surgit à nouveau. Je crois que l’escalade de la crise en Syrie doit être perçue comme une réaction directe à l’intensification de la politique énergétique de la Russie. Le fait est que le 13 août, lors de la visite du président russe à Bakou, des accords importants ont été trouvés au sujet du transit du pétrole : des accords correspondants furent signés entre l’entreprise étatique russe Rosneft et ses partenaires d’Azerbaïdjan, et les formes de leur coopération en ce qui concerne le domaine du complexe de combustible et d’énergie furent définies. La conclusion de cette réunion fut la création d’un accord pétrolier Russe-Azerbaïdjan, c’est-à-dire justement ce que l’Occident craignait et a tenté d’éviter depuis fort longtemps.

La crise en Syrie a été en grande partie déterminée par le problème de transit des sources d’énergie. Comme on le sait, des gisements de gaz ont été découvert dans la région sud de la méditerranée, à la fois sur la plateforme continentale et sur le territoire de la Syrie (Kara). Il y a un « facteur gaz » supplémentaire dans la crise syrienne : si le régime de al-Assad est renversé, le Qatar, qui est un exportateur de gaz naturel liquéfié, sera capable de transporter le « combustible bleu » directement jusqu’à la côte méditerranéenne en passant par la Syrie. Cela doublera, au moins, ses exportations et va du même coup compliquer les exportations de l’Iran. Le renforcement du Qatar sur le marché du gaz provoquera automatiquement un affaiblissement de la position des entreprises russes. Et si on ajoute la mise sous contrôle du gaz algérien (sur lequel les étasuniens travaillent activement), la menace d’un blocage de tout le pétrole de Russie et des exportations de gaz est réelle.

Il y a d’autres raisons pour l’escalade de la crise en Syrie et la position agressive de Washington. Par exemple, le désir de rompre l’axe Téhéran-Damas-Hezbollah, qui cause pour l’instant des problèmes à Israël et aux USA. Cependant, l’objectif principal de cette « résolution définitive » de la question syrienne reste de démontrer à la Russie et à tous les autres pays que les USA contrôlent le monde et que les structures supranationales de gouvernance globale qui se cachent derrière décident ce qui favorise les USA.

Et il me semble désormais que c’est un moment parfait pour rappeler les paroles de Staline, qui aimait répéter : « La logique des circonstances est plus forte que la logique des intentions ». Les provocateurs ne tiennent pas compte de la logique des circonstances. Ils n’ont pas pris en compte le fait que la Russie a changé, tout comme le monde. Le système mono-polaire n’existe plus, et Moscou ne réagit plus aux hurlements de Washington de la même façon qu’il y a 20 ans.

En même temps, nous devons admettre que la crise syrienne est loin d’être résolue, elle est juste un peu congelée. Il reste encore des batailles diplomatiques tendues et éreintantes à mener.

Source originale : Strategic Culture Fondation

Traduction : Sanfelice – Collectif Investig’Action

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