Le « modèle libyen » va t-il se reproduire en Syrie ? (un point de vue chinois)
juillet 20, 2012
Par Ren Yaqiu (revue de presse – Le Quotidien du peuple – 18/7/12)
Alors a crise syrienne s’aggrave jour après jour, le Président russe Vladimir Poutine a, lors de la réunion des ambassadeurs russes qui s’est tenue le 9 juillet, prononcé un discours d’une grande fermeté, disant qu’il était hors de question de voir le « modèle libyen » se répéter en Syrie. Les paroles prononcées par l’homme fort de Moscou sonnent fort et clair. Remarquons également au passage l’envoi en Méditerranée d’une petite escadre de six navires de guerre, venant des flottes du Nord, de la Baltique et de la Mer Noire, pour une «mission d’entraînement ». Quand on sait que deux navires de guerre de l’US Navy croisent aussi en Méditerranée pour des « exercices » et que la destination des navires russes est la base navale syrienne de Tartous, on comprendra aisément qu’il n’y a là aucune matière à plaisanterie. Il est clair que ces exercices, menés en coopération avec la Syrie et qui ont commencé le 7 juillet, sont une façon pour la Russie de montrer ses muscles.
Chacun sait qu’il n’y a pas si longtemps une très médiatique Assemblée Générale des Amis de la Syrie s’est tenue à Paris, à laquelle une centaine de pays et d’organisations régionales ont participé. Lors de la réunion, la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton n’a pas manqué de resservir à nouveau le refrain éculé de «Bachar el Assad doit partir », et menacé sans vergogne la Russie et la Chine, disant que « ceux qui se tiendront aux côtés du régime syrien devront en payer le prix». On ne saurait être plus clair pour manifester son désir d’hégémonie…
Mais, un peu partout dans le monde, nombreux sont ceux qui se refusent à manger de ce pain-là. Le porte-parole du Ministère chinois des Affaires Etrangères a ainsi marqué son opposition aux propos de Mme Clinton, et de son côté Vladimir Poutine s’est montré extrêmement critique envers la manière de l’Occident, conduit par les Etats-Unis, d’«exporter la démocratie» à coups de bombes et de missiles. Et, en réponse aux propos de la Secrétaire d’Etat américaine, la Russie a envoyé des navires de guerre en Méditerranée, avertissant les pays occidentaux et leurs agents de ne pas agir de façon trop inconsidérée.
Aujourd’hui, certains pays occidentaux, dans l’espoir secret de façonner la communauté internationale à leur image, clament haut et fort dans le monde entier que la seule solution à la crise syrienne est le départ de Bachar el-Assad et la mise au pouvoir de l’opposition. Et que celui qui ne serait pas d’accord ou s’y opposerait se rendrait coupable d’un crime de lèse-majesté. Comme si le simple fait que Bachar el-Assad s’en aille devait suffire à résoudre tous les problèmes. Il est manifeste que l’on cherche à reproduire le « modèle libyen » en Syrie. Mais les choses sont-elles aussi simples que cela ? Qu’on veuille bien ouvrir les yeux et regarder d’un peu plus près la situation actuelle en Libye, où les fumées de la guerre viennent tout juste de se disperser. La Nation libyenne est toujours plongée dans une situation inquiétante, marquée par des rivalités tribales, des luttes de factions et des conflits en tout genre, qui menacent l’ordre public. Le chaos est tel que même le célèbre groupe pétrolier Shell Petroleum a annoncé son retrait du pays à la fin du mois de mai. Quelle serait la situation en Syrie si Bachar el-Assad était finalement contraint de partir sous la pression des bombes et des missiles ? Tout ce qu’on peut dire est que les conséquences en seraient désastreuses.
La Syrie est située dans la partie occidentale de l’Asie, avec à sa frontière Nord la Turquie, à sa frontière Est l’Irak, à sa frontière Sud la Jordanie, sans oublier le Liban et la Palestine au Sud-Ouest, et à l’Ouest, la mer Méditerranée et l’île de Chypre. C’est dire si sa localisation est stratégique. Et sur le plan intérieur, la Syrie est également un pays ethniquement et religieusement très fragmenté. C’est dire si la situation est autrement plus compliquée qu’en Libye. En d’autres termes, si ce pays plongeait dans le chaos, ce serait comme allumer la mèche d’un gigantesque baril de poudre dont l’explosion provoquerait des effets désastreux dans les pays voisins et la région, et peut-être même des troubles. La longue période de guerre civile que connaît la Syrie a déjà coûté la vie à 17 000 personnes, en a fait fuir 100 000 vers les pays voisins et laissé 1,5 million d’autres en attente d’une aide humanitaire. Si Bachar el-Assad quittait le pouvoir par des voies non légitimes, il s’ensuivrait un vide du pouvoir, et finalement les troubles s’aggraveraient plus encore. Et le désastre humanitaire deviendrait encore plus profond. Non, décidément, le«modèle libyen» ne doit pas être reproduit.
Un autre problème se pose toutefois : et si le«modèle libyen» se répétait réellement en Syrie? Je pense que cela n’arrivera pas. La première raison est que le peuple syrien ne le veut pas. Jamais il ne permettra à un autre pays de lui imposer un pouvoir politique. C’est le peuple syrien, et lui seul, qui a le pouvoir de choisir celui qui le gouvernera. De plus, l’armée régulière syrienne n’a rien à voir avec celle de Kadhafi. Elle possède des équipements beaucoup plus modernes, comme des missiles guidés précis et des avions modernes. Et on peut également affirmer sans crainte que l’armée syrienne est une armée aguerrie et disposant d’une grande efficacité au combat. N’oublions pas qu’elle a affronté par deux fois l’armée israélienne sur le Plateau du Golan en 1967 et 1973, et qu’elle y a à chaque fois fait bonne figure. Elle constitua aussi une grande partie de la Force arabe de dissuasion au Liban à la même époque. Et tout récemment encore, en vue de se préparer contre des ingérences étrangères, l’armée syrienne a commencé des exercices militaires sur une grande échelle, témoignant d’un moral particulièrement solide.
La deuxième raison est que la Russie non plus ne le veut pas. Au nom de quoi ses intérêts et la seule base militaire extérieure qui lui reste devraient être menacés ? De plus, les liens diplomatiques, militaires et économiques qui unissent la Russie et la Syrie depuis de nombreuses années font qu’elle ne saurait abandonner un vieil ami en période de crise.
De plus, il y a également une autre grande puissance de la région qui ne serait pas d’accord, l’Iran. Les deux pays ont de solides relations d’amitié et de coopération. L’Iran est dirigé par un pouvoir Chiite, et le Président Bachar el-Assad est quant à lui Alaouite, une branche du Chiisme. Ces liens religieux font que l’Iran ne saurait rester insensible face à des frères dans la peine. Une autre chose à laquelle il faut s’intéresser plus profondément est«l’interdépendance». Si l’Iran perd cet allié fiable qu’est pour lui Bachar el-Assad ou qu’un régime pro-américain s’installe dans la région en Syrie, il sera isolé, ce qui faciliterait grandement la tâche des pays occidentaux dans la région. Aussi ne cessera t-il jamais d’apporter son soutien au régime syrien actuel. N’oublions pas non plus qu’en Irak aussi, le pouvoir est aujourd’hui entre les mains des Chiites. Grande puissance régionale, il ne fait guère de doute que l’Irak aussi encouragera une solution politique au problème.
Et finalement, ce sont les peuples et les pays épris de justice qui ne le veulent pas. La Chine, la Russie et d’autres pays soutiennent que la résolution du problème syrien passe par une solution politique basée sur la « proposition de cessez le feu en six points » de l’envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue Arabe, Kofi Annan. La Russie et d’autres pays soutiennent cette solution dans le but de maintenir la paix et la stabilité au Moyen-Orient, et il y a des raisons encore plus profondes. Nous savons tous aujourd’hui que sous le beau nom de l’humanitarisme occidental dirigé par les Etats-Unis se cache en fait une nouvelle forme d’interventionnisme actif. Leur logique est simple, celui qui s’oppose à eux risque de se voir chasser par la force. Et cela même, éventuellement, sans recourir aux procédures d’approbation des Nations unies. Et quant aux conséquences d’une intervention, eh bien peu importe. La Chine et la Russie ont toujours été opposées à ce genre de pratiques, car ce comportement irresponsable ne pourra donner naissance qu’à un ordre international très perturbé et menacer gravement la paix dans le monde. C’est pour cela que ces pays ont toujours refusé de céder aux pressions occidentales.
En fait, du point de vue de l’opinion publique arabe, le départ de Bachar el-Assad n’est pas une option unique. C’est l’Occident qui essaie de donner cette impression, avec derrière l’objectif de pêcher en eaux troubles. La meilleure preuve est ce que l’on a pu voir lors d’un récent débat à la télévision jordanienne où les deux invités avaient des points de vue différents : les noms d’oiseaux ont volé, et la discussion a fini en pugilat. De cela, nous pouvons voir que de nombreux Arabes soutiennent le régime légitime syrien. Et ils sont aussi nombreux à soutenir un règlement politique du problème syrien.
C’est dire si je conseille à ceux qui voudraient répéter le «modèle libyen » de renoncer à cette idée tant qu’il en est encore temps, tant cette façon de faire serait mal accueillie. Que l’on ne se méprenne pas, en disant cela, je ne veux absolument pas dire que j’exprime un quelconque soutien au Gouvernement syrien. J’estime seulement que seuls les Syriens doivent avoir leur mot à dire sur ce qui concerne la Syrie. Ceux qui sont extérieurs à ce pays n’ont aucun droit d’y intervenir. Si certains pays occidentaux le faisaient malgré tout, ils perdraient la face aux yeux des peuples du monde entier. Et finalement, ce sont eux qui finiraient par en payer le prix, et pas les autres pays.
Source :http://french.peopledaily.com.cn/International/7879924.html