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Lettre de Mme Simone Lafleuriel Zakri, franco-syrienne, sur la Syrie dans l’actualité


 De   Simone Lafleuriel-Zakri 

 Retraitée de l’Education nationale, historienne, écrivain,   auteure de :

 -Syrie, berceau des civilisations –  ACR, Paris ;

 -La Botaniste  de Damas- Encre d’orient,  Paris 2011. 

 À paraître en  2013 : «  Mémoires d’un herboriste andalou » .

 Syrie dans l’actualité depuis des millénaires !

Depuis quelques mois, la Syrie est entrée dans l’actualité de ce que, en Occident, on baptisa  sans  rien demander aux intéressés les « printemps arabes ».

Pourtant le cas syrien  ne souffre pas la comparaison ou l’amalgame, on  ne peut rien  comprendre à  son histoire  et aux  secousses  présentes sans  explications très particulières. Très hétérogène, le pays est connu pour sa  mosaïque d’ethnies, de religions et de modes de vie. Il est sous un régime politique aujourd’hui dominé par le Baath : un parti unique nationaliste, pan-arabe et laïc, créé dans les années 1930 et resté, ces  dernières  années, le seul du genre dans le monde arabe pour cause de chute récente de l’Irak baathiste .

 De son  espace de Grande Syrie ou « Bilad Cham » ,restreint par les puissances mandataires de l’après-guerre, à la Syrie actuelle ,qui reste toujours au coeur d’une zone géostratégique très sensible, la singularité du pays fait  l’objet dans toutes les langues, d’innombrables études érudites, peu sont de vulgarisation tant l’exercice est frustrant et difficile à condensé.

 Une terre multimillénaire sous contrôle et ingérence récurrents

Millénaire et brûlante, son histoire fut le plus souvent tragique :  c’est  celle de la vaste aire du Bilad ash Cham dont l’actuelle Syrie n’est qu’une partie atrophiée, comme celle de cette population très hétérogène. Aire et population  sont liées à l’ensemble de l’espace  régional oriental dont  elles constituent le cœur, à la croisée des routes de tous les échanges. De plus, sans cesse et à leur  corps défendant,   elles furent, et sont  encore, liées à  la dimension internationale.

Le  territoire envahi régulièrement depuis  dix mille ans fut et est encore très convoité.  Le pays  est de toutes les  évolutions et  de tous les bouleversements d’un monde qui  lui donne régulièrement des rendez-vous mortels qu’il  soit d’Orient ou d’Occident.

Les envahisseurs arrivèrent de partout et en tous  temps: pharaoniques ou grecs, byzantins ou romains, turcs musulmans ou européens chrétiens , de l’époque des très sanglantes croisades à  la fin du 11e s.  jusqu’au règne des mamelouks succédant au dernier Ayyoubide à la fin du  13s.

À la suite de ce déclin, le déferlement tragique  des Mongols  affaiblit toute la région et l’appauvrit ,  y compris par le massacre et la déportation de ses habitants dont ses meilleurs artisans.   L’invasion , une fois ces  barbares enfin repoussés par Baybars le mamelouk devenu sultan,  prépara  ainsi  le terrain au règne tout puissant des Ottomans.

Ces Turcs, en fin de règne, laissèrent les lieux aux puissances  occidentales pour des Mandats de tutelle qui précèdèrent l’indépendance en 1946 !

Ces mondes étrangers  choisirent le Bilad ash Cham pour terrain de leurs  affrontements  sanguinaires  et en firent  payer un prix  très fort à sa population.  Elle fut  régulièrement massacrée, réduite en esclavage  (épisode tragique des croisades ou  des barbares invasions mongoles). La Syrie est  aujourd’hui tenue pour comptable et  responsable du devenir   d’intérêts étrangers sécuritaires ou économiques qui la dépassent. Ainsi, l’ombre menaçante pour son indépendance et son intégralité territoriale de la découverte  d’importants gisements de gaz plane désormais sur le devenir de toute la région côtière de la Méditerranée .

Un peuple uni pour  sa Syrie 

Il  est surprenant de constater   que ces  Syriens déjà  si  différents entre eux  furent, en permanence, durant des siècles et sans en tirer de grands bénéfices, rattachés en continu  au destin très chaotique de l’humanité. Et ils le sont de nouveau !  Ils se voulaient pourtant  un seul peuple à voulir vivre  ensemble dans ce pays aux frontières délimitées par la force des étrangers ! Les ondes des chocs récurrents qui secouent notre monde n’ont jamais  manqué  de se propager  à travers le vaste espace jusqu’à cette  petite Syrie, en apparence si modeste. Elles ne manquèrent jamais   de l’ébranler et de l’impliquer, y compris dans ses avatars les plus  hasardeux et dramatiques : l’exemple récent étant  la création par les puissances  européennes  de l’Etat d’Israël sur le territoire du Bilad ash Cham.

Victorieuses, ces puissances disposèrent et découpèrent  à leur gré,comme le reste de  la planète,   les  régions du Proche et Moyen-Orient  en fonction des routes  pétrolières et  gazières.  Elles  modelèrent donc le Bilad ash Cham. Elles y découpèrent une petite Syrie sans se soucier des  fatales conséquences  de leurs  décisions. Ce sont pourtant  les raisons  majeures du chaos actuel .

Ces conséquences  doivent entrer dans ses  véritables explications. L’une est que la Syrie baathiste n’a  jamais ménagé et affirmé son appui à la cause palestinienne; marginalisée pour cette solidarité et pousséee par les menaces et pressions occidentales, elle s’est  rapprochée de  l’Iran .

Une autre est que le pays  n’a eu de cesse, depuis les luttes d’indépendance des  années 20, de dénoncer et de combattre  ces ingérences  étrangères et leurs manoeuvres déstabilisantes, y compris en Palestine et, par  d’inévitables ricochets, dans toute l’aire orientale.

un pays  aux frontières  sensibles.

Du grand Bilad ash Cham à la petite Syrie d’aujourd’hui, le pays  est sur la plus orientale des rives de la Méditerranée. La Syrie a des   frontières sensibles qui la sépare de pays tout aussi complexes. Elle  partage sa très longue histoire  tragique  avec l’Irak . Son sort récent glaça d’effroi ses voisins syriens qui accueillirent  des milliers de réfugiés. Aux premiers événements dudit «  Printemps arabe » ,ainsi  baptisé  par  ces    anciens mandataires français heureux  d’annoncer leur retour en Orient, nombre de Syriens ont aussitôt craint de connaître le même sort.  Et c’est ce qui se fait ! À l’époque, ces  exilés irakiens rejoignaient en Syrie et dans leur infortune, quelque 300.000 Palestiniens  expulsés en 1948 et des Libanais  fuyant les  conflits internes et guerres successives depuis les années 80.

Une  longue  frontière de 800 kilomètres sépare la Syrie  d’une  Turquie  qui, de Byzance  à l’empire ottoman, fut omniprésente en Syrie. Elle semblait redevenir  pourtant,   ces temps derniers, son partenaire privilégié et celui de  tout le monde arabe, au point de faire croire,  aux plus clairvoyants et pessimistes,   à un retour à l’esprit des « Jeunes Turcs ». D’autres  y voyaient , et pour toute la région, un modèle possible de développement se référant à l’Islam .

Il faut, aujourd’hui, reprendre certains  faits de cette tragique époque des Mandats :  français  et anglais : deux puissances en constante rivalité sur ce terrain !

Syrie et Turquie une histoire  pour le moins chaotique !

La frontière syro-turque est d’autant  plus sensible qu’elle fut tracée par des accords entre la puissance turque en extinction et une France à l’aube d’une nouvelle guerre. La France  était confrontée aux exigences d’une Angleterre lucide et plus intéressée par les  régions pétrolières (Mossoul) de l’ancien empire ottoman. D âpres marchandages avec le chef des Jeunes Turcs , Mustapha Kemal , aboutit à ce que  la Turquie exige de la puissance mandataire française très velléitaire, en plus du Hatay, au nord-ouest du pays (région d’Alexandrette –Iskenderun, Antioche-Antakiyèh) le contrôle militaire  d’une bande intérieure syrienne profonde d’une dizaine de kilomètres  et  allant vers le nord sur  800 kms de long.  La Syrie sous mandat n’avait le droit que d’y déployer sa police. Ce qui expliquerait, en ces jours d’accord turco- français sur le dossier syrien, bien des  déclarations  troublantes. Par exemple cette récurrente allusion  française , de droite sarkozyste comme de gauche socialiste,   à définir en Syrie un couloir démilitarisé ( !).  Situé dans cette zone, pour raisons humanitaires  habituellement utilisées, il pourrait avoir d’autres utilités moins avouables pour le régime turc actuel, très demandeur envers ses nouveaux alliés et de ses nouvelles amitiés à l’Ouest. Il viserait  les Kurdes amis aussi, en plus du contrôle des régions du nord syrien,une partie de la Jéziré . Dans ce centre du pays syrien assez misérable, s’étaient  installées, après un génocide  et un exil qui  frappa chrétiens syriaques et tribus arabes,des populations non-turcophones, chassées autrefois de l’est anatolien turc !

Avec la Jordanie  et le Liban…

Reste une frontière fragile  avec  la Jordanie, sous l’aile occidentale, en partie bédouine et palestinienne  et la frontière  encore plus sensible avec le Liban, détaché du Bilad esh Cham  après de sanglants et douloureux événements  à l’époque des Etats du Levant sous  Mandat français.

Un Liban indépendant,certes , avec ses propres frontières sur le papier, mais, comme  la Syrie,   victime de  tous ces orages qui  dévastent régulièrement la région. De plus des groupes ethniques ou simplement  des familles élargies coupées administrativement mais toujours ensemble  et solidaires sur le terrain !

Syrie –Palestine

Reste enfin une frontière avec  Israël :  entité  lui, créée  sur la partie sud-ouest du Bilad ash Cham, qui occupe le fertile Golan syrien dont la  population syrienne combat avec courage une occupation qui  s’amplifie.

Ces frontières  multiples,  tracées à la règle, faisaient fi des relations et de réseaux d’échanges séculaires qui assuraient la survie de ces populations.

Artificielles, très  poreuses, séparant arbitrairement des populations qui sont toujours solidaires des deux côtés de ces lignes tirées au  cordeau, ces frontières rectilignes divisent  les familles  et les privent de leurs terres ancestrales. Elles leur imposent des allégeances ou des fidélités qui les  troublent, installent  d’autres groupes  ethniques ou religieux ! 

Une terre  de tous les échanges 

 Le long des côtes, des vallées, des pistes du désert  aux passes  des reliefs  escarpés, de villes devenues  capitales , ces régions sont au cœur de tous les échanges. Elles sont  ces  routes     mythiques de la soie  mais aussi  des épices, du papier, des livres ou de la céramique.Aussi de celles du trafic d’armes, hélas , omniprésent dans les conflits  internes ou externes des pays frontaliersdont l’Irak et le Liban. Ce trafic est  permanent  aux frontières.

Les grandes routes de ces échanges  traversent  la Syrie situé dans cette aire de passage . Elles y ont leurs étapes  motorisées et  alimentent les  centres commerciaux syriens traditionels et   modernes.

Agitées et contestataires

Ces trafics  tout azimuts arrangent bien  des affaires  aux buts  moins avouables. Certaines villes, villages ou quartiers  à la périphérie des  centres historiques ,sont  notoirement connus  pour leurs trafics habituels du  « petit peuple », pauvres, déclassés et marginalisés, en partie mal sédentarisés et à la lisière des zones rurales.Pour  une   minorité,  il y trouve  une forme de survie. La majorité des Syriens  déplore la renaissance  et  l’existence de cette économie informelle qui complique les activités légales.

  Des populations venues de tous horizons ! 

Une façade maritime modeste mais ouverte, des plaines fertiles bien arrosées et peuplées depuis  toujours, une steppe sillonnée de routes marchandes  régionales au  très long cours,  firent  de la Syrie une zone de pénétration commode.  Cette pénétration se fit, se perfectionna, s’actualisa, s’adapta  tout au long   des millénaires, enrichit tout le monde,  les arrivants et les survivants !

La terre syrienne fut, et est,  une terre d’abordage et de civilisation pour des vagues successives de populations diverses , tant par  leur origine que par leur religion.

Ces arrivants paisibles ou ces envahisseurs guerriers, ces colonisateurs  qui se disaient chrétiens d’Occident ou  mandataires, accaparèrent le territoire et  le meilleur de  la  civilisation découverte,  souvent par la force et au prix de terribles destructions et massacres. En retour, elles  donnèrent naissance  à de nouvelles formes de culture  toujours  plus riches et diversifiées.

C’est ce qui se passa quand ces Occidentaux chrétiens  en route pour Jérusalem rêvèrent de conquérir ce riche Orient et  s’y installèrent pour  des années souvent sanglantes !

Cet Occident chrétien ne renonça  jamais à  «  son Orient syrien », comme il ne cessa  jamais de se  donner sur le  Bilad ash  Cham, des  droits  de regard, d’intervention et d’ingérence  : des « droits séculaires (!)  qu’il justifia, comme par le passé, par  l’appartenance à la chrétienté.  Il s’y ajouta après-guerre, la repentance à sa complicité au régime nazi dont les Palestiniens font les frais ! C’est encore le cas  aujourd’hui  de beaucoup  de prises de position des ex-puissances mandataires  dont la française  !Il n’est pas si loin le temps où  De Gaulle, alors simple chef de bataillon, justifiait notre rôle  dans ces « Etats du Levant »  par «  notre  rôle historique dans ces pays » !

Les Syriens , y compris  les plus humbles, ne cessent de s’étonner  de l’intérêt persistant de l’Occident  pour leur pays. Ils s’en inquiètent au point de suivre  avec angoisse   la vie politique à Washington ou  à  Paris , sachant d’expérience et avec raison que cela aura des conséquences inévitables sur  le cours de leur vie.

Une multiplicité de  minorités ethniques et religieuses

Parallèlement à la  région côtière, la montagne s’élève entaillée  de vallées profondes. Grâce à  son  relief escarpé, elle fit ,de tous temps,obstacle aux envahisseurs et servit de refuge  à des minorités ethniques ou religieuses menacées: Ismaéliens, Druze, Chrétiens et Alaouites .

Ces reliefs ,comme ceux de la Syrie du sud, assurèrent la permanence de croyances, cultures, langues -dont l’araméen-  et des modes de vie originaux toujours bien vivants.

Multiconfessionnels 

Les Syriens  sont un creuset de confessions : chrétienne, relevant de  Byzance ou de Rome, grecs  orthodoxes,  catholiques, syriaques,assyriens,nestoriens ;  une   forte  composante musulmane,  majoritairement sunnite  et une minorité chiite  également de plusieurs branches.

Jusqu’à ces derniers  temps, la coexistence en Syrie de toutes ces confessions et minorités semble remarquable.  Même si l’équilibre  peut paraître  fragile et  superficiel,  il semble  tenir bon en dépit des tentatives de déstabilisation  par les ingérences extérieures occidentales  et  régionales dont les pays du Golfe pétroliers et gaziers.   Tous,  étrangers à la Syrie,  n’acceptent guère que ce petit pays  et qu’un Orient   ne soint pas  taillés à leurs  mesures et mis au service  de leurs propres  intérêts.

Diviser les communautés de la région,   les opposer pour mieux régner et fragiliser cette aire  était déjà la politique des  Mandats ! L’esprit  en perdure  avec d’autres stratégies  et des acteurs  mieux équipés.

Ruraux et citadins :   la co-existence   

 Il est courant de dire que le monde des   villes dont Damas au  sud , Alep au nord  et le monde des ruraux  et des bédouins, sont dans une  opposition spécifique à  la Syrie !  Ce clivage  toujours  évoqué   semble perdurer malgré les efforts de rapprochement  fait par le  parti Baath !  Les jeunes officiers  de  toutes ethnies  et confessions,souvent marxisants, avec l’intention de balayer toutes ressemblances avec  le pouvoir post-mandataire, eurent comme objectif  de fondre  cette   société disparate avec un succès mitigé. Il est perceptible pour l’observateur étranger  qu’il y  a  hiatus  !

Ces Syriens   ont pourtant  obtenu ,peu  à peu ,des autorités débordées par ces flux  dynamiques, les équipements  de  base et de bons logements  à bas coût.

Ils  furent aussi les  premiers  à avoir eu envie de participer à  ce qui leur paraît un basculement   radical, qui  leur fournirait  l’occasion d’une revanche ou d’un moyen  de s’imposer   dans la vie  politique. Ces   parties de la société  syrienne  semblaient désorganisées car elles  ont leur propre mode de fonctionnement qui n’est pas sans moyens  de pression !

La contestation   actuelle s’annonça  et se développa   dans certains des centres ruraux du sud,  les plus éloignés des centres du pouvoir. Ces ruraux  étaient solidaires et organisés en  communautés frontalières.  Il  leur était  sans doute aussi plus facile de se mobiliser. Les   citadins découvrirent soudain et avec surprise la contestation  de  ces bourgs  souvent très importants en proie, depuis quelques années, à de graves  avatars climatiques  sévissant  surtout  aux marges du pays  et dans  la  majorité des bourgs  agricoles du centre syrien !

Il faut noter que les paysans, soutenus et subventionnés par le régime, ne sont  pas   pauvres mais les familles doivent répartir les terres entre de  nombreux enfants. De plus, attirés par des biens de consommation , ils  ont de  la peine à  suivre ce mode de vie qu’ils découvrent !

Les lieux de la ruralité  syrienne

La Syrie paysanne et bédouine se déploie  dans tout le pays dans la plaine côtière  verdoyante, maraîchère et fruitière, dans la région nord et frontalière avec la Turquie, dans les plaines ou  plateaux  du centre et du nord-est dont  la Jéziré (plaine de forme  triangulaire entre Tigre, Euphrate et  ses affluents). C’est   la terre du coton ,des  céréales  et de l’anis de nos apéritifs !

Depuis l’Antiquité, il s’y installa  des populations  très variées. Certaines  furent  victimes d’attaques ou de répressions  dans leurs  pays d’origine . D’autres peuples furent contraints à l’exil en Syrie.  La plus connue de ces migrations  résulte  de la déportation  des Arméniens au début du XXe siècle, résidants à  l’est de la Turquie, alors ottomane et sous  pouvoir »Jeunes Turcs ».  Le but  était de se séparer des  populations considérées comme arabes ou acquises aux puissances mandataires ou ennemies(Russie tsariste) : des Arméniens, des chrétiens syriaques orthodoxes , des  bédouins (Arabes), des Kurdes. Certaines de ces familles exilées devinrent de grands propriétaires  terriens cultivant en coton sur de vastes domaines cette Jéziré.

La  France  céda cette bande syrienne,  fin  juillet 1939, à la Turquie en échange d’un accord avec  Ankara de non-intervention des Turcs dans le second conflit mondial qui s’annonçait. Nombre de  familles syriennes conservent précieusement leurs titres de propriétés  agricoles  en Turquie, dans la région Kelis-Gazientep. Elles  gardent d’étroites relations familiales, parlent le turc ! 

Jusqu’à ces dernières années, la Syrie refusait d’accepter  cette amputation de son territoire national qu’elle  considérait comme provisoire.Une normalisation récente et des accords entre les deux pays avaient enfin ouvert les frontières. L’actualité  braque de   nouveau ses projecteurs  sur cette   région frontalière  aux villages syriens sur les crêtes, et les parties  devenus turques,  en plaine,   L’extrême  complexité historique, géopolitique , ethnique  et religieuse  de la situation  n’est jamais évoquée.

Syrie  des marges et Syrie bédouine

La partie extrême de cette société syrienne est sans doute la bédouine : chamelière sur de très grands parcours allant de l’Arabie  à l’Anatolie, ou  moutonnière des pasteurs,  éleveurs de bovins et d’ovins vaquant sur des  parcours limités .  ils sont  nomades et cultivateurs  aux marges du désert et ont connus de profondes mutations.

Même si citadins et bédouins semblent garder entre eux une distance, ces « badous »  sont respectés.  Les décisions prises pour faciliter leur existence furent peut-être inappropriées mais souvent conseillées par des instances internationales qui, elles-mêmes, tâtonnaient dans la résolution  de problèmes spécifiques dont sécheresses récurrentes, puits et sources  surexploités, surpâturages, etc.  Ces populations semblent observer un modus vivendi avec   le pouvoir et la société des villes dont certains disent  avec malice  qu’elle est, elle-même tribale,  y compris dans ces plus  chics  quartiers ! 

Les chefs  bédouins  restés puissants  dans  l’espace nomade  sont  influents  dans  la politique   du pays.  Le régime  se doit  de s’assurer et de leur soutien et de leur fidélité. Par la fréquentation de dizaines d’années des structures éducatives, administratives et religieuses, l’identité tribale de ces populations s’allie à l’identité nationale arabo-musulmane.

Chiites et sunnites :   le nœud du problème ?

En  Syrie, les sunnites, majoritaires, sont établis dans les villes et les riches plaines. Les   Kurdes , non arabes,  communauté  importante en Syrie du nord et en Jéziré, dans  certains quartiers  des villes, sont  une ethnie de religion sunnite , certains   sont  zoroastriens . Les villes les réunissent souvent  dans leurs quartiers  et en communautés solidaires. Ils  gardent le contact avec les membres de leur clan éloigné des  lieux d’origine.

Les chiites  sont environ 16% des syriens, partisans d’Ali, cousin et gendre  du prophète Mohammed , fondateur de l’islam, qui doit perpétuer son héritage .

De Ali se réclament  les duodécimains : une  minorité en Syrie. S’y ajoutent  les Ismaéliens, les Druzes, dissidents des premiers, surtout installés dans la région syrienne  frontalière de la Jordanie ;   les Nizari ou Alaoui ,branche d’Ismaéliens situés dans les parties montagneuses du pays .

La  population musulmane syrienne est en plein essor. Si la transition démographique est en marche et encouragée d’ailleurs par le gouvernement  actuel,  l’évolution n’est pas  aisée.  La famille  syrienne  reste  nombreuse  y compris  la  Kurde.  Les  minorités druze, alaouie, et   chrétienne, s’affaiblissent.

C’est un problème lourd pour le pays  d’accueillir, éduquer et former cette importante et très jeune population si  composite et lui trouver  de vrais emplois  en dehors de l’administration. Il convient encore de la garder unie alors que chaque  groupe s’ingénie à  donner à  ses propres jeunes,  l’éducation et  l’école de sa communauté ou de sa classe sociale.

Les Alaouites :

Ce groupe fait l’actualité  et  pour   deux raisons au moins. D’abord, leur origine et religion. Connu  sous le nom d’alaouite que lui donna la puissance mandataire française, ils  sont plutôt   installés  sur la  côte  et dans la chaîne de ces montagnes  bordant le rivage nord-ouest. D’origine sémitique, très  indépendant, ils seraient   descendants  d’un  agglomérat de tribus anciennes. Sédentarisés, ils se replièrent dans la montagne  pour  échapper à de multiples persécutions de la part d’autres factions dont les Druzes et les Ismaéliens. Rebelles  toujours, sous   domination ottomane ou sous mandat, ils  refusent de se soumettre. La France  décida ,mais sans suite , de lui délimiter un territoire sous gouvernorat français. Ce fut, proclamé en juillet 1922, « l’Etat des Alaouites » avec pour capitale Lattaquié, sur la côte. Pourtant le   peuplement  de  leur région,  comme partout en Syrie d’hier et d’aujourd’hui, ne fut jamais homogène.  Des  sunnites et des chrétiens peuplèrent majoritairement les  villes de la côte.   Les Alaouites  durent partager leurs collines  avec  des Ismaéliens, des Tcherkesses, des Arméniens et des Crétois ,si l’on en croit les archives du temps du mandat. Majoritairement  agriculteurs, ils  étaient relégués sur des terres ingrates  et   le plus  souvent réduits  à l’état de serfs. Ils furent enrôlés , comme  les Druzes, dans  l’armée par les mandataires.

Les Alaouites sont  hétérodoxes. Leur nom  fait   référence à Ali. Au XIe, siècle, ils suivirent les prescriptions d’Ibn Nosaïr : un prédicateur irakien d’où leur   nom de Nosaïri que les Français du Mandat écartèrent pour celui d’alaouites ».  Ils sont souvent assimilés aux 25 millions d’Alevis de Turquie dont ils sont proches. Ce qui devrait poser problème quant aux orientations actuelles   du régime turc.

S’ils s’affirment  musulmans, les Alaouites rejettent la charia. Ésotériques comme les autres chiites : druzes ou ismaéliens, ils n’initient  que certains   garçons et sont tenus au  secret. Ils croient en un Dieu suprême en trois divinités ( comme les Syro phéniciens) .  Ils ont comme  livre sacré : le Coran. Ils respectent  tous les fondateurs de la religion. Leur croyance   semble  être   un syncrétisme de traditions spirituelles et prend    sa source dans les  cultes antiques des Phéniciens de la côte  où   ils étaient  installés. Comme les Druzes et les Ismaéliens, ils croient à la résurrection des âmes  imparfaites   (métempsychose). Mais les Alaouites ne sont pas tous d’accord concernant leurs cultes. Certains observent  les rites ésotériques de la religion d’origine et  du ciel, de la lune, du soleil et, pour les Chaïbis, de  l’air. Les garçons entraient dans l’armée pour  tenter de faire évoluer leur condition sociale.  Leur organisation plus clanique que tribale subsiste; ces clans  sont soudés plus pour raison de solidarité et de pragmatisme  que d’attachement à leur origine et même à leurs croyances.

Reste de la part de la majorité sunnite une certaine méfiance , sans vraiment avoir été  avouée auparavant , contre ces  Alaouites. Aujourd’hui , le rejet de ces chiites par certains extrémistes  musulmans très intolérants  s’affirme  de nouveau  et constitue pour cette minorité un  réel danger ! On ne connaît pas avec certitude , l’importance de la population alaouite (sans doute11%).  En Syrie laïque, l’appartenance a une religion n’entre pas dans les statistiques et ne figure pas sur les cartes d’identité.

La  famille reste endogame et l’adhérence au clan  n’en fait pas des partenaires privilégiés par l’élite industrielle et marchande sunnite . Cette dernière veille à garder la haute main sur l’économie du pays, même quand elle tisse des liens avec ceux des  Alaouites qui sont arrivés, eux,    au pouvoir.

L’axe  entretenu des  chiites alaouites  au pouvoir avec  l’Iran, le nouvel Irak  et les chiites libanais semble insupportable à l’axe sunnite rival et majoritaire qui se renforce aujourd’hui aux dépens de la Syrie. Cet axe privilégié par les puissances occidentales  va de la Turquie aux pays du Golfe. Les deux recouvrent  des axes  à forts  relents   de pétrole  et   de gaz ! La deuxième raison de la méfiance et  de la rupture d’avec les Alaouites  est politique.

Le Baath et l’accession au pouvoir suprême   

L’ascension de la communauté alaouite se fait  vers 1930, sans que leur religion joue un rôle,  en raison de la participation de ses fondateurs aux luttes contre l’occupant ottoman et pour l’indépendance. Ils   sont de cette   élite  éduquée qui  se dit nationaliste et  adhère à  l’unité syrienne. Elle participe aux  péripéties post-mandataire de l’Etat syrien et à la création de ce parti Baath  nationaliste, arabe, socialiste et révolutionnaire qui regroupe des Syriens de toutes origines et confessions . Elle ne tarde pas  à supplanter la bourgeoisie incapable de s’unir dans les années 1950-60.

Né dans les années 1930 en Syrie et en Iraq, le Baath domine la vie politique  à partir de 1963  alors que la Syrie va de coups d’Etats en guerres intestines, affronte Israël soutenu par les Occidentaux, se rapproche de l’URSS, s’allie ou divorce de l’Egypte de Nasser ou de l’Irak baasiste, devenu ennemi. Au pouvoir et  dominé par divers leaders issus des luttes pour l’indépendance, le Baath  est repris en main en 1970 par un énième coup d’état  d’un  officier alaouite qui devient général  : Hafez al Assad, père de l’actuel président.

Le nouveau régime s’entoure d’une  clientèle d’intérêts hors appartenance religieuse. Il  veut renforcer la classe moyenne du pays, fédérer l’ensemble des communautés et  des tribus, intégrer les minorités marginalisées.  Dès le début, il  s’oppose violemment aux Frères musulmans  hostiles, entre autre, à la conception laïque du Baath. A l’extérieur, il s’affirme pro- palestinien avec toutes les conséquences qui en découlent pour la Syrie qui se voit rejeter dans « l’axe du mal » ! La Syrie est alors honnie des  grandes puissances occidentales, des USA ,de l’UE et  d’Israël.

La population syrienne, depuis  des années,  ne se réfère  plus  à ce parti vieilli, lourd, déconsidéré et dépassé  qui n’arrive plus à encadrer la jeunesse . Ces  dernières années,  la société syrienne et ses jeunes se voulaient unis en un seul peuple. Ils désiraient gommer leurs  particularismes et n’être qu’un ensemble moderne de citoyens réclamant les mêmes droits  pour tous , par-delà leurs confessions  ou origines. De nouvelles  classes d’affaires et d’entrepreneurs très actifs  travaillaient à l’international. Ils  tiraient  la Syrie vers un modèle social moderne qui laissait loin derrière elle  une partie de la population sans avenir :  salariés modestes, jeunes diplômés, fonctionnaires,  ruraux désorganisés . Ces derniers, particulièrement  touchés par les aléas climatiques ou travaillant  de trop petits domaines, ne pouvaient plus rester  sur leurs terres ancestrales.

Les  classes influentes proches du pouvoir tiennent à leurs  positions et réclament  leur part de pouvoir  dont une partie  se sentait  écartée. Depuis les récents événements, les minorités se sentent menacées, prises entre les luttes  entre pseudo-opposants et le pouvoir. Tous   redoutent ces ingérences étrangères , agissant aux frontières ,qui  sont à l’œuvre pour  faire éclater le pays et tenter de réorganiser  cette région  à leur   façon.

Simone Lafleuriel- Zakri     Novembre 2012

 

 

 

 

 

 

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