L’histoire se répète à Aqrab et Marrakech?
décembre 15, 2012
Par Louis Denghien
Un air de déjà vu
Sept mois plus tôt, tout près d’Aqrab, à Houla/Taldo, un précédent massacre, d’ampleur comparable, avait déchaîné l’indignation des mêmes commentateurs de l’actualité syrienne, attribuant la mort d’une centaine de civils, femmes et enfants compris, à l’armée syrienne puis aux miliciens chabihas pro-gouvernementaux. Avant que des médias russes, mais aussi allemands, établissent que dans leur grande majorité les victimes appartenaient à des familles chiites, alaouites, et liées pour certaines à une personnalité du régime syrien. Après que la commission d’enquête de l’ONU, présidée par le Brésilien Pinheiro ait rendu un faux jugement de Salomon évoquant des « responsabilités partagées » entre le pouvoir et les insurgés dans ce massacre de Houla, la presse française a « évacué » le sujet, passant à autre chose et à d’autres accusations, contre le gouvernement et l’armée syriens.
Mais, c’est à noter, même à présent, quand ils font, ce mercredi, un parallèle entre Aqrab et Houla, l’AFP et Libération refusent de reconnaître leurs mensonges – ou, si l’on est charitable, leur erreur – sur ce massacre de Houla, et parlent encore des « soupçons » portés à l’époque par l’ONU contre le pouvoir de Damas dans cette affaire, sans s’étendre sur les développements ultérieurs de l’enquête. Quant à Reuters, elle parle carrément de victimes « sunnites« à Houla !
Il y a chez ces zélateurs de la pensée unique comme une impossibilité mentale et structurelle de faire leur mea culpa, et de dire à leur public qu’ils se sont trompés. On peut dire que cette structure mentale est celle d’un cerveau totalitaire: un totalitarisme policé, cool et cravaté, mais un totalitarisme quand même.
Pour en revenir à cette tuerie d’Aqrab, beaucoup de zones d’ombre subsistent. R.A.Rahmane reconnait lui-même que les versions du drame sont contradictoires, et il demande la mise en place d’une commission d’enquête internationale. Du côté du gouvernement, on ne confirme pas ce massacre. Reuters cite le témoignage d’un alaouite habitant le village voisin de Massiaf, selon lequel la tuerie a été perpétrée par des insurgés venus précisément de Houla à 8 kilomètres d’Aqrab : les islamistes auraient d’abord pris des otages puis auraient attaqué un poste de chabiha dans le village, provoquant des tirs de riposte. Selon une technique éprouvée, les rebelles produisent des témoignages d’enfants rescapés accusant les chabiha d’avoir pris les habitants comme bouclier humain.
Outre qu’on voit mal pourquoi des chabiha auraient mis ainsi en péril la vie d’alaouites, il est bien évident que ce sont les rebelles qui, dans cette affaire, ont pris en otage des civils, appartenant à une communauté promise au massacre ou à l’exil par les bandes islamistes. On espère donc que l’OSDH a exagéré le bilan de cette tuerie, mais on n’a guère de doute sur les responsabilités de celle-ci.
On prend les mêmes et on recommence
L’autre actualité syrienne du jour, c’est la reconnaissance par Washington de la Coalition de Doha comme « représentant légitime » du peuple syrien. Là encore, c’est une nouvelle, mais ce n’est pas un événement : les États-Unis rejoignent, avec un léger différé, les pays du Golfe, la France, la Grande-Bretagne et un ou deux pays européens. Et tous nous rejouent, à quelques mois de distance, le scénario du CNS. Mais comme le CNS, la Coalition de Doha n’a qu’une légitimité diplomatique occidentale limitée et non populaire syrienne.Et pas plus que le CNS, elle n’a d’autorité sur les bandes armées, de plus en plus dans l’orbite du radicalisme djihadiste. Ce n’est évidemment pas une coïncidence si Obama reconnaît l’opposition de Doha au moment où il met à l’index le Front al-Nosra, branche « syrienne » d’al-Qaïda : il s’agit d’entretenir, vaille que vaille, le distinguo entre « bons » et « mauvais » opposants. Mais, hélas pour l’administration Obama, ce sont les mauvais qui donnent la mesure sur le terrain.
Obama a bien pris soin d’indiquer que la Coalition devait à présent donner des assurances expresses quant au respect des minorités et aux droits des femmes. Mais comment un gouvernement en exil sans troupes ni autorité peut-il donner pareilles garanties ? Une fois encore, les Occidentaux se bâtissent une réalité virtuelle, la réalité vraie étant compliquée, incontrôlable et « décevante » de leur point de vue.
La Russie a immédiatement réagi mercredi à ce geste attendu de Washington, par la bouche de Sergueï Lavrov, qui s’est dit « surpris« , considérant que cet engagement diplomatique des Américains auprès de la vitrine politique de l’opposition radicale syrienne impliquait un engagement militaire auprès des rebelles, par le biais de livraison d’armes – ce que Washington dément officiellement. Toutes choses qui, selon Lavrov, vont contre l’esprit et la lettre des accords de Genève du 30 juin 2012, qui prévoyaient les condition d’un dialogue inter-syrien, incluant Bachar al-Assad et son gouvernement.
En effet, le chef de la diplomatie russe n’est certainement pas tant « surpris » par l’attitude d’Obama/Clinton. Il a d’ailleurs estimé mercredi que Washington pariait sur une victoire militaire des rebelles. Pari non seulement risqué – vu la prééminence des bandes radicales anti-occidentales – mais, selon nous, impossible : une rébellion déjà incapable au départ de battre l’armée syrienne, est en outre incapable de triompher politiquement si elle a le visage du fanatisme le plus rétrograde, intolérant et massacreur. Le Front al-Nosra et ses épigones djihadistes peuvent toujours s’emparer de bases militaires ou de quartiers plus ou moins abandonnés, chacun de leurs « succès » enfonce un peu plus l’opposition et la « révolution ».
Parce qu’on ne gagne pas avec des repoussoirs, tout simplement. En bref, Obama brasse de l’air. Et le sommet de Marrakech dit « des Amis de la Syrie » , ce mercredi, sera une nouvelle manifestation d’hypocrisie et d’ingérence, bien sûr, mais aussi d’impuissance gesticulante. Comme au « bon vieux temps » du CNS…