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Qatar en Syrie : la France doit ouvrir les yeux !


 

Par : Frédéric Pichon

Trop longtemps, la France s’est méprise sur les intentions des rebelles syriens et de leurs soutiens arabes, au premier rang desquels le Qatar. Au point de ne pas envisager le risque d’un nouvel Afghanistan.

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La rébellion syrienne tient maintenant tête au régime depuis un an et demie et fait mentir ceux qui, des deux côtés, par cynisme ou par idéologie, avaient prédit la défaite de l’un ou l’autre camp. Passons sur les communiqués officiels, forcément triomphateurs, de l’armée syrienne.

Mais il faut faire ici une mention particulière à tous ceux qui, journalistes, universitaires ou politiques, décrivaient une armée syrienne libre aux quasi « mains nues », manquant cruellement d’équipement, démentant sur les plateaux télé ou dans la presse que des flots de matériel et d’armes affluaient par les frontières poreuses (et en particulier du Liban), pendant que les rebelles exhibaient leurs exploits sur Youtube, à grand renfort de chars T72 détruits.

De la même façon, ce ne sont que mépris et dénégations qu’ont récoltés ceux qui alertaient il y a plus d’un an déjà de l’infiltration massive des djihadistes dans le camp des rebelles. Il ne fallait pas brusquer les opinions publiques alors même que la mission des observateurs de la Ligue Arabe avait dans son rapport de janvier 2012 souligné l’armement performant des rebelles et que les armes continuent d’être vendues à des pays tiers qui les fournissent ensuite aux différents groupes armés.

Hard et soft power

Derrière ces gigantesques approvisionnements se trouve la formidable puissance financière du Qatar, davantage multinationale que pays, émirat héréditaire plutôt que démocratie et qui joue un rôle déterminant depuis deux ans qu’a débuté le « printemps arabe ». En Libye, le Qatar a financé l’achat d’armes par les rebelles à des pays tiers comme la France, puis a fait intervenir ses Mirages et ses forces spéciales.

Mais le Qatar, c’est aussi le soft power : la chaîne Al-Jazeera a été en pointe dans la mobilisation de la rue arabe et musulmane contre le régime de Damas, et ce à plusieurs niveaux : dans le traitement médiatique du conflit en lui-même (y compris à coup de « fakes » retentissants) mais aussi par les prêches enflammés dont certains prédicateurs tels que le sheikh Al Qaradawi ont le secret, et qui se sont retrouvés dans les studios climatisés de la chaîne à faire du combat contre Bachar el Assad une œuvre pieuse, renouant avec des accents que l’on croyait réservés au régime iranien dans ses diatribes contre Israël.

En Syrie, c’est le voisin iranien, menaçant et tout proche qui est visé par les puissances sunnites du Golfe. Et sur le moyen terme, c’est aussi une façon, comme pour l’Arabie Saoudite, encore plus exposée à ce danger, de différer la survenue d’un « printemps arabe » domestique, qui viendrait déstabiliser des régimes dont on peut dire qu’ils ne possèdent, à l’heure actuelle, aucun mécanisme démocratique ni préoccupation en termes de droits humains : l’exportation du terrorisme a souvent été de la part de ces pays un moyen d’assurer l’ordre intérieur.

Quant à la situation à Bahreïn, dont peu de médias se soucient, elle est l’illustration même de ce que feront ces pays chez eux en cas de révolte populaire : envoyer les chars et réprimer les manifestations.

Parallèle afghan

Mais après tout, les relations internationales n’interdisent pas de rechercher son intérêt et en l’occurrence, ces pays jouent assez finement et logiquement leur carte dans un environnement compliqué par la rivalité sunnites/chiites et par les appétits énergétiques des grandes puissances et des pays émergents.

Mais la France dans tout cela ? Assurément nos responsables, à défaut de se plonger dans un manuel d’histoire contemporaine, pourraient avec profit revoir le film de Mike Nichols « La guerre selon Charlie Wilson ». La nouvelle de l’équipement des rebelles en missiles Stinger, généreusement financés par les Saoudiens, vient confirmer ce que nous écrivions en juin dernier : le parallèle avec l’Afghanistan et le petit matin du 11 septembre 2001 s’impose de plus en plus.

La France à la remorque

La surenchère verbale un tantinet grotesque atteinte ces jours-ci par le Ministre des Affaires Etrangères Laurent Fabius fera-t-elle oublier que la France n’a aucune vision stratégique dans cette affaire ? Qu’elle s’est mise, avec une remarquable continuité par delà l’alternance politique, à la remorque d’une politique dont on peine à voir les effets bénéfiques, si ce n’est de juteux investissements (défiscalisés) et des contrats de travail pour d’anciens ministres ou responsables politiques tels que Dominique de Villepin, avocat en titre du Qatar et qui appelait mi- août à l’utilisation de l’option militaire ?

Une très grande proximité illustrée par Laurent Fabius qui depuis la Jordanie annonce un scoop : de hauts responsables syriens feront défection dans les jours qui viennent, à l’instar de l’ancien premier ministre Riyad Hijab et d’un ambassadeur, tous deux réfugiés…au Qatar. Notre ministre a-t-il vu passer les valises de billets promis aux transfuges par le fonds spécial crée par le Qatar à cet effet ?

* Frédéric Pichon est diplômé d’arabe et de sciences-politiques. Docteur en histoire contemporaine,  spécialiste de la Syrie et des minorités, il est chercheur associé au sein de l’équipe EMAM de l’Université François Rabelais (Tours).

 

Source : atlantico

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