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Sur les accusations de Lakhdar Brahimi à l’ONU…


 par Louis Denghien

 
IRIB La Syrie tient, avec l’Iran et le Mali, la «vedette» de l’Assemblée générale des Nations-Unies ce mardi.

Allon, tout de suite à l’essentiel : que risque ce pays à cette occasion. À part de nouvelles condamnations morales de pays amoraux, pas grand chose. On  n’est pas, malgré la solennité médiatique de l’événement, au Conseil de sécurité. Et Damas, comme Téhéran, pourra faire valoir son point de vue, éventuellement compter ses amis.

À propos de prisons syriennes

Lundi, c’était au Conseil de sécurité justement qu’on parlait de la Syrie. Les 15 entendaient un rapport du nouvel émissaire international, l’ex-diplomate algérien Lakhdar Brahimi. Celui-ci s’était distingué, notamment de son prédécesseur Kofi Annan, par un ton ferme et une volonté d’indépendance vis-à-vis du Qatar, voire de l’Occident américain. Il a rencontré Bachar al-Assad le 15 septembre, et les discussions se sont déroulée dans un climat semble-t-il courtois et sans agressivité ni tension.

Mais lundi, devant le Conseil de sécurité, Brahimi s’est fait plus sévère envers le gouvernement syrien. Il a affirmé que les prisonniers politiques syriens subissaient des « formes médiévales de torture » et que du reste un millier d’entre eux environ étaient morts dans les divers centre de détention. Ajoutant encore que de nombreux Syriens hésitaient à aller se faire soigner dans les hôpitaux, de crainte d’être arrêtés comme suspects par les agents du régime.

En dépit d’un choix politique clair, ce site s’est efforcé de ne pas donner dans la langue de bois, triomphaliste ou angéliste. Nous avons écrit ici que les prisons syriennes, tout particulièrement dans le contexte de lutte anti-terroriste actuel, devaient avoir d’avantage à voir avec celles – turques – évoquées dans le film Midnight Express qu’avec la prison modèle – si tant est qu’elle existe, même en Occident. Dans une société de culture et de traditions autoritaires, et confrontée à une crise dramatique, certainement les détenus politiques sont l’objet de brutalités : nous n’avons pas chicané Pierre Piccinin sur cette partie de son témoignage (voir notamment notre article « À propos de l’affaire Piccinin », mis en ligne le 25 mai 2012).

Mais tout de même, il y a dans le rapport Brahimi un systématisme gênant, et des affirmations péremptoires, car invérifiables : sur quelle base peut-il déclarer qu’un millier de détenus sont morts en prison – implicitement sous les coups de leurs geôliers ? Bien évidemment, l’émissaire de l’ONU reprend là des chiffres fournis par l’OSDH ou d’autres sources « militantes » comme on dit à l’AFP ou chez Reuters. Certainement là encore, des prisonniers sont morts victimes de mauvais traitement : on ne peut que le condamner moralement mais à condition de ne pas oublier le contexte dans lequel ces exactions interviennent : combien de soldats et policiers peuvent oublier que des camarades des détenus, ou peut-être ces détenus eux-mêmes, ont tué leurs camarade, parfois dans des conditions horribles ? La guerre, en dépit des « progrès » technologiques  et du mythe (américain) de la frappe chirurgicale, ce n’est pas beau ni propre. Ce l’est moins encore quand c’est d’une lutte à mort entre deux projets politiques, dont l’un est structuré par le fanatisme religieux, qu’il s’agit.

On peut être sceptique aussi quant à la thèse, abondamment développée par les opposants, que les hôpitaux sont – et ne sont que – des annexes de la sécurité militaire : nous doutons que les chirurgiens et médecins syriens soient autant de moukhabarats, que les hommes et les femmes du Croissant rouge syrien soient des dénonciateurs. Mais de quoi parle-t-on, au fait ? Qu’y a-t-il d’étonnant, ou de choquant à ce que, dans les zones qu’elles contrôlent, les forces de sécurité considèrent les rebelles blessés et soignés dans un hôpital comme des prisonniers de guerre ? Ce sont eux qui ont à craindre quelque chose : les milliers de malades « ordinaires », ou les civils blessés dans les combats ne sont pas recherchés. Là encore, Lakhdar Brahimi relaie un peu vite la propagande des opposants.

Et puisqu’on parle de pratiques « médiévales » (pauvre Moyen Age, à certains égards plus raffiné culturellement que notre modernité !), Lakhdar Brahimi aurait peut-être pu avoir un mot sur les décapitations, exécutions et violences exercées assez couramment par les rebelles sous influence d’une idéologie politico-religieuse assez archaïsante, elle aussi.

Qui est raisonnable, et qui ne l’est pas

Brahimi ne l’a pas fait. Peut-être ne peut-il justement pas tout faire, ou tout dire. Sa mise à distance des Qatari, et son refus des anathèmes envers Damas le rendent déjà suspect aux yeux des Occidentaux. Il doit certainement, devant un Conseil de sécurité dominé par le camp américain, donner des gages, pour ne pas paraître trop aligné sur les positions russe et chinoise. C’est sur le long terme qu’on doit le juger, sur la façon dont il gère sa mission impossible.

Sa mission, ses difficultés, Lakhdar Brahimi les a évoquées sans langue de bois devant les 15. Il juge la situation en Syrie « extrêmement grave » et se détériorant « de jour en jour« , se dit confronté à une « impasse« . Face à cette impasse, il reconnait n’avoir pas de plan structuré « à la Annan », juste « quelques idées« . Pour autant, il ne désespère pas de « trouver une ouverture dans un avenir pas trop éloigné« . Et dans cet espoir, il va retourner très vite dans la région.

Brahimi s’est quand même prononcé en faveur d’un « changement » politique net en Syrie : « Je refuse de croire que des gens raisonnables ne comprennent pas qu’on ne peut pas revenir en arrière, qu’on ne peut pas retourner à la Syrie du passé ». Mais Bachar al-Assad l’a bien compris le premier, sans quoi il n’aurait pas mis fin à la suprématie du Baas, modifié la constitution, autorisé des partis dirigés par des opposants ayant été emprisonnés sous son règne ou celui de son père. Ou encore laisser se tenir à Damas un congrès de ces opposants .

Encore faut-il, pour conduire cette mutation historique, avoir affaire justement à « des gens raisonnables » : Brahimi croit-il vraiment que les bandes armées sous influence religieuse et étrangère ou les politiciens du CNS sous la coupe des émirs et des néoconservateurs américains sont des « gens raisonnables ? Certainement pas. Au nom de quelle « morale internationale immanente », Bachar devrait-il abandonner son pays à ces fous et à ces fantoches ?

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