Il serait naïf de croire que l’assassinat de l’éminent dignitaire religieux syrien Mohammad Saïd Ramadane Al-Bouti est exclusivement du à ses positions politiques, en raison de son soutien à la légitimité du régime en Syrie.
Pour les connaisseurs de la Syrie, il faut creuser en profondeur pour les déceler, en dehors du conflit entre le pouvoir et l’opposition, dans le conflit idéologique latent entre les écoles islamiques.
Dès le début des évènements, en 2011, la plupart des religieux syriens ont gardé le silence, lequel n’a été rompu que par Sheikh Al Bouti qui a déclaré haut et fort que ce qui se passe a pour objectif de détruire la Syrie. C’est à ce moment-là que les religieux sont sortis de leur mutisme, adoptant une position similaire, estimant que le danger ,qui menace la Syrie et commence à dévoiler ses réels objectifs , est « une menace contre le courant islamique modéré et soufi , ce qui se passe constitue un danger pour l’Islam des pays du Levant ».
« Les wahhabites se sont répandus en Syrie. Ils chassent et exterminent tous ceux qui ne sont pas d’accord avec eux », constate un enseignant de l’université de la charia à Alep (elle a été détruite)…
Selon lui, le fait de parler d’un conflit confessionnel relève d’une vision très superficielle et très étroite de ce qui se passe. « Il est vrai que les minorités sont prises pour cible. Mais il ne faut pas généraliser dans un Etat majoritairement sunnite. Le conflit confessionnel se limite à une zone géographique étroite dans les frontières où se trouvent ces minorités. Mais dans une vision plus large des évènements de la guerre en Syrie, il est clair aussi que les Sunnites sont également visés. Tous les mausolées et sanctuaires soufis sont détruits, les religieux de ce courant sont tués », a-t-il décrit. Avant de conclure : « c’est une guerre de l’extrémisme contre l’Islam modéré, lequel constitue la caractéristique essentielle des pays du Levant ».
Sachant que Sheikh Al Bouti, considéré comme l’un des plus grands sheikhs soufis des temps modernes, a exprimé une position très claire à l’encontre du wahhabisme.
Dans une intervention intitulée « Les trois clous britanniques pour démembrer l’unité islamique » , publiée sur son site en 2003 , il a soutenu que « le wahhabisme a été confectionné par les Britanniques dans le but d’éradiquer l’Islam de l’intérieur afin que les Musulmans s’insurgent les uns contre les autres et que l’Islam soit éradiqué par les Musulmans eux-mêmes ».
Tous les religieux soufis étaient de cet avis. Certains d’entre eux l’ont payé de leur vie.
« Le courant soufi perd ses oulémas », constate l’enseignant de l’université d’ Alep, qui indique qu’un nombre important de ces religieux de ce courant ont été assassinés ces deux dernières années : dont entre autre l’imam de la mosquée Anas Ibn Malek à Damas, Sheikh Ahmad Aouf Sadek, tué le 15 février 2012, l’imam de la mosquée Amena Bint Wahab à Alep, Abdel Latif Chami, qui a été kidnappé alors qu’il dirigeait la prière durant le mois de Ramadan, le 25 juillet dernier,
le directeur du legs à Raqqa, cheikh Abdallah Saleh, abattu le 30 janvier dernier, l’imam de la mosquée mohammadi à Mazzé, quartier de Damas, Sheikh Adnan Saab, sans oublier Sheikh Ahmad Karmouz, et le dernier qui a été abattu dans le quartier aleppin Sheikh Maksoud, Sheikh Hassan Seifeddine. Il a été décapité et sa tête a été plantée sur le minaret de la mosquée dans laquelle il priait.
Des mausolées et des sanctuaires soufis ont également été détruits ou vandalisés dans plusieurs régions syriennes, surtout à Alep, qui est la ville soufie par excellence et qui compte quelques 200 centres soufis inscrits à la direction du legs, sans compter les dizaines qui ne le sont pas.
Parmi ceux qui ont été saccagés, nous en citons les suivants : les takiehs (petites mosquées soufies) du Croissant, la tombe de Sheikh Abou Baker Al-Wafai, les zawiya (petites mosquées soufies) d’Asliyya , de Moulawiyya dans l’ancien jardin, Akiliyya et Baaj, et les sanctuaires Abdel Kader Jilani, ( fondateur de l’école soufie Kadiriyya) et du haj Khalil Tayyar qui a été bombardé.
Dans sa définition, le wahhabisme est un mouvement islamique politique fondé dans la région du Najd en Arabie, au XVIIIème siècle, par Mohammad Ibn Abdel Wahhab et Mohammad Ibn Saoud.
Sans tarder, Mohammad Ibn Abdel Wahhab a déclaré le jihad, sous forme de razzias, au cours desquelles il s’est emparé des biens de ses adversaires musulmans, soi-disant confisqués comme butins.
Le mufti de Lattaquié Sheikh Zacharia Salwayet opère une distinction entre le wahhabisme et le salafisme, assurant qu’il n’existe aucun lien entre eux. « Le wahhabite regarde toujours le mauvais côté des autres, il cherche en lui ce qui lui permet de l’excommunier et de le tuer. ce qui n’est pas le cas chez les salafis (les anciens religieux) intègres », fait-il remarquer.
Toujours selon Sheykh Salwayet, ce conflit remonte à bien loin « depuis le conflit entre le Bien et le Mal », car d’après lui le fait d’xecommunier les autres est « un mal absolu ». Et de poursuivre : « Dieu n’a point autorisé de tuer. Aucun musulman ne peut prononcer de verdict d’apostasie à l’encontre d’aucun autre musulman. L’apostat est celui qui se déclare ainsi de son propre gré »….
Selon le chercheur syrien expert dans les mouvements jihadistes en Syrie, l’avocat Abdallah Ali, « le conflit revêt deux visages : le premier est sanguinaire et s’illustre à travers les affrontements militaires, les liquidations et les fatwas de mort contre les religieux du courant islamique modéré, dont l’assassinat de Sheikh Al Bouti est l’illustration. Il y a aussi l’introduction , par le courant des partisans du courant salafiste jihadiste , d’un certain nombre de religieux , principalement saoudiens , dans les provinces syriennes pour enseigner aux membres des milices armées et les civils qui les soutiennent les principes de l’école wahhabite ».
Maitre Harb donne l’exemple des principes du religieux saoudien wahhabite, Othamn Nazeh, doctorant en philologie .
« Ce cheikh effectue de nombreuses sessions culturelles dans les provinces de Lattaquié, Alep et Idleb, pour enseigner le recueil de Mohammad Ibn Abdel Wahhab et compte édifier un centre religieux pour enseigner la doctrine wahhabite.
Dans les circonstances actuelles, il est difficile de définir à quel point le wahhabisme s’est répandu en Syrie. Les tentatives d’infiltration de cette doctrine dans le pays, malgré les réticences du pouvoir, remontent à plusieurs années.
C’est après l’invasion de l’Irak que le salafisme jihadiste est apparu en Syrie. Son porte-parole le plus célèbre en Syrie a été le religieux aleppin Mahmoud Koll Agaci ( Abou Kaakaa), tué en 2007 par ses partisans après avoir suspendu ses activités jihadistes. Un grand nombre de jihadistes sont revenus en Syrie pour y mener la guerre après avoir acquis une expérience importante.
A noter que les combattants d’Al-Qaida s’appuient, tant sur le plan idéologique que pour la stratégie militaire ,sur les ouvrages de références d’un nombre d’importants dirigeants salafistes jihadistes . Abou Bassi At-Tartoussi, particulièrement actif dans la province d’Idleb, est considéré comme le guide spirituel d’un certain nombre de milices, avec à leur tête Fajr el-Islam (Crépuscule de l’islam) et Ahrar esh-Sham »(Libres du Levant).
Les prévisions sur la fin de ce conflit divergent de part et d’autres. Alors que les partisans du soufisme mystique assurent que le courant jihadiste va perdre la bataille en Syrie. Il se peut qu’il ne parvienne pas à éradiquer le soufisme mais l’environnement qui se forme à l’heure actuelle de par l’emprise des courants religieux sur les rouages du pouvoir dans plusieurs États arabes risque d’avoir pour conséquence leur prolifération.
« L’histoire de la région verra dans les années suivantes la perduration du conflit entre les courant extrémistes et modérés. Et ce jusqu’à ce qu’on atteigne une nouvelle phase charnière de l’histoire », a prédit l’avocat Ali. |