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Un happy end qui arrange tout le monde. Ou presque…


Scarlett HADDAD | 23/10/2013

Éclairage

L’affaire des détenus libanais de Aazaz a donc connu son happy end, mais les secrets des tractations n’ont pas encore été entièrement révélés. Ils le seront sans doute un jour, même si le directeur de la Sûreté générale a déclaré, dans l’ambiance de joie qui régnait samedi soir à l’aéroport, qu’il gardera certains éléments pour lui. Le général Abbas Ibrahim sait forcément de quoi il parle puisque de l’avis de tous, il a joué un rôle primordial dans la libération des détenus et le succès de cet « échange » est en grande partie le sien, puisque sa ténacité, sa discrétion, sa sagesse et son sens de la diplomatie et des responsabilités ont contribué à cette fin heureuse.

Il faut toutefois ajouter aux raisons de ce happy end un contexte régional et une situation sur le terrain qui ont soudain rendu possible cette libération, après un an et cinq mois d’entraves, d’embûches et de rendez-vous manqués. Une source sécuritaire qui a suivi de près le dossier affirme que depuis les derniers développements en Syrie, et surtout depuis que le groupe l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL ou Daëch) proche d’el-Qaëda, a décidé de prendre le contrôle de la région syrienne limitrophe de la Turquie, chassant pratiquement la brigade de la Tempête du Nord de l’Armée libre de Syrie qui y était installée, les neuf pèlerins libanais enlevés étaient devenus un poids pour leur geôliers. Comme les combattants de l’EIIL étaient en train de prendre le dessus, le sort des pèlerins libanais détenus par la brigade de la Tempête du Nord était en danger, les islamistes proches d’el-Qaëda pouvant les liquider sans demander l’autorisation. Ce qui aurait fortement embarrassé les dirigeants turcs, surtout à la veille d’élections municipales, puis législatives en 2014, d’autant que deux pilotes turcs ont été enlevés par les proches des pèlerins, en guise de représailles, et l’opposition turque en faisait des choux gras. Craignant que l’affaire échappe à tout contrôle, les dirigeants turcs auraient demandé au nouvel émir du Qatar d’intervenir pour faciliter la clôture de ce dossier.

Pour le nouvel émir, c’était une opportunité intéressante, surtout au moment où il cherchait à modifier la politique régionale de l’émirat, ayant eu un entretien téléphonique prolongé avec le président iranien, et tenté de rétablir le contact avec le Hezbollah dans un premier temps et plus tard éventuellement avec le pouvoir syrien. L’émir Tamim a donc envoyé au Liban son chef des services de renseignements, le général Ghanem Kabissi, ainsi que son ministre des AE Khaled ben Attiya en mission d’exploration. Le général Kabissi est resté à Beyrouth plusieurs jours pour étudier les possibilités d’aboutir à un accord. En parallèle, le président de la Chambre, Nabih Berry, a demandé au chef de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, au cours de sa dernière visite au Liban, d’intervenir auprès des dirigeants turcs, d’autant que l’ambassadeur palestinien à Ankara Nabil Maarouf est très influent sur place.

Le contexte général s’étant brusquement débloqué avec les nouvelles données politiques et sur le terrain dans le dossier syrien (les derniers cent combattants de la brigade de la Tempête du Nord s’étant finalement ralliés à l’EIIL), le scénario a donc été mis au point et les tractations se déroulaient de façon quadripartite entre la Turquie, le Liban, le Qatar et la Syrie. Le problème, c’est que le pouvoir syrien ne voyait pas les bénéfices qu’il pouvait tirer de la libération de prisonnières,proches des terroristes, détenues dans ses geôles, puisqu’il était le seul à ne rien recevoir en contrepartie. La Turquie, elle, retrouvait les deux pilotes enlevés et se débarrassait d’un dossier qui était en train de devenir un poids pour elle. Le Qatar retrouvait un rôle sur la scène régionale, celui de médiateur , et le Liban en finissait avec un dossier qui lui pourrissait la vie et affaiblissait la crédibilité de l’État, alors que le Hezbollah sortait gagnant, puisque les pèlerins étaient libérés, sans qu’il fasse la moindre concession politique. Il restait donc à convaincre le pouvoir syrien. La source sécuritaire précitée précise à ce sujet que le secrétaire général du Hezbollah s’est entretenu à ce sujet avec le président syrien pour lui demander d’accepter de relâcher les prisonnières réclamées par l’ASL. D’ailleurs, le quotidien syrien progouvernemental al-Watan ne s’est pas privé, le lendemain, de préciser que la Syrie a accepté l’échange, bien qu’elle n’en tire aucun bénéfice, par fidélité et loyauté à ses alliés…
Le principe était donc acquis.

Il ne restait plus qu’à coordonner les détails de l’opération. Les avions du Qatar ont été envoyés en Syrie et en Turquie, alors qu’un avion turc attendait à l’aéroport de Beyrouth pour ramener les deux pilotes chez eux. Ceux-ci ayant un peu tardé à arriver à l’aéroport de Rayack, d’où ils ont été transportés par hélicoptère à l’AIB, hajj Wafic Safa (Hezbollah) et Ahmad Baalbacki (Amal), chargés de la coordination, ont été immédiatement alertés pour accélérer le mouvement et les avions ont pu décoller en quasi-simultanéité.

Le feuilleton qui a duré dix-sept mois a finalement été clôturé. Il reste toutefois d’autres personnes enlevées comme Hassan Mokdad (dont la capture avait donné naissance à l’aile armée du clan Mokdad) et bien sûr les deux évêques, sans parler des Libanais portés disparus depuis les années de guerre. Fort de ce succès, le général Ibrahim a promis de s’occuper de tous ces dossiers, mais sa tâche ne sera pas aisée. Pour les ex-détenus de Aazaz, il y a eu ce qu’on appelle le fameux « momentum » favorable.

Il s’agit désormais qu’il puisse se prolonger et ouvrir la voie à de nouvelles données politiques régionales. Pour l’instant, rien n’indique cela et la seule certitude annoncée, c’est que l’un des évêques, qui est aussi le frère du patriarche grec-orthodoxe, est encore en vie, mais il serait aux mains d’un groupe formé de Tchétchènes…

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